Space business : Parcours dangereux

Pour la communauté spatiale, la priorité est de partir enfin dans l’espace. Mais cet empressement peut faire oublier les nombreux risques que cela comporte et qu’on devrait chercher à mitiger.

Photo : Raymond Klein

L’espace est un endroit à haut risque, nul n’en doute. « Les échecs, c’est bon signe », a affirmé Pete Worden, ex-directeur du centre Aimes de la NASA et membre du CA de SpaceResources. Il répondait à une question du public sur les risques financiers, mardi dernier dans le cadre de la conférence NewSpace Europe au Kirchberg. Pour Worden, « s’il n’y a pas d’échecs, c’est que vous ne prenez pas assez de risques ». Il a donné comme exemple la Silicon Valley, où « la capacité de survivre aux échecs a été la clé du succès ». Et les riches investisseurs, les high net worth individuals (HNWI), « capables de prendre des risques que les gouvernements ne peuvent pas prendre ».

Profits et poussières

Assister à un événement autour de l’économie spatiale, comme NewSpace Europe, est une expérience ambiguë. D’un côté, la majeure partie du public est constituée d’hommes en costume cravate qui échangent des cartes de visite – comme lors d’un vulgaire meeting du secteur financier. C’est que, pour voyager dans l’espace, il faut beaucoup d’argent – cette culture-là a donc contaminé ce qui, au départ, était une communauté d’ingénieur-e-s et de scientifiques. Néanmoins, lors des discussions, les participant-e-s font preuve d’ouverture d’esprit et montrent à quel point ils et elles sont passionné-e-s par ce projet extraordinaire qu’est la conquête spatiale.

C’est ainsi que, malgré la tendance naturelle à « positiver », les discours recueillis à NewSpace Europe permettent de faire le tour des dangers liés à l’exploitation commerciale de l’espace. Le premier étant, bien évidemment, le risque financier. C’est ce qu’a rappelé aux space aficionados luxembourgeois l’affaire de « Planetary Resources », avec 12 millions d’euros investis et perdus par l’État. Une analyse de cette affaire et une mise en contexte du space business se trouvent dans l’article « Lune promise ».

Au-delà de ce risque conjoncturel d’entreprises malchanceuses, le risque structurel n’est pas à négliger : quels projets commerciaux dans l’espace sont économiquement viables ? La réponse de Ben Corbin, du Science and Technology Policy Institute qui conseille la Maison Blanche, lors de son intervention de mardi, n’a pas été très rassurante. Selon une étude sur la rentabilité d’activités commerciales dans le cadre d’une station spatiale en orbite basse, seuls trois secteurs sur une vingtaine pouvaient générer des bénéfices considérables. Et seuls les scénarios avec des estimations basses pour les coûts et élevées pour les revenus permettraient de rentabiliser une station spatiale commerciale. On comprend mieux l’idée de mettre en place une sorte de protectionnisme pour les entreprises spatiales, lancée le second jour par certains participants à la table ronde sur l’économie lunaire.

Déréguler à mort ?

Un autre risque est apparu suite à des propositions d’envoyer des personnes sur Mars avec un aller simple. Cette idée – mourir pour la gloire – semble fasciner plus d’un membre de la communauté spatiale. Suite à une question du public, Johann-Dietrich Wörner, directeur de l’European Space Agency (ESA), a affirmé son opposition à une telle entreprise sur base de considérations éthiques. Mais le risque individuel encouru à l’avenir n’est pas limité à ce cas de figure extrême : avec la privatisation des expéditions spatiales et la pression économique, quels seront les standards de sécurité pour les équipages ? Le secteur spatial finira-t-il par ressembler au secteur du transport maritime ? À contempler la manière dont l’investisseur spatial Jeff Bezos traite les employé-e-s d’Amazon, on peut s’attendre à un certain degré d’indifférence de ce capitaine-là pour le sort de ses matelots.

Ben Corbin (IDA STPI) ; photo de Raymond Klein

Remplir des centaines de formulaires de la NASA pour envoyer quelque chose dans l’espace est perçu comme un obstacle au développement par les pionniers du space business. Peu étonnant que, lors de la table ronde sur l’économie lunaire, on appelle à la dérégulation, à ce que les agences spatiales « dégagent la voie ». Chaitanya Gopal de la société PTScientists a donné l’exemple d’un ticket de bus de Luxembourg à Berlin, qu’on vous vend sans vous demander ce que vous allez faire là-bas – « est-ce qu’on ne peut pas procéder de la même manière dans l’espace ? »

Le sujet de la contamination à l’aller, avec mise en danger d’éventuels écosystèmes extraterrestres, n’a pas été abordé, mais Jim Keravala d’OffWorld a rappelé que la Lune était unique et avait une signification culturelle pour de nombreux humains. « Même si nous ne le disons pas, la communauté du space business est très attachée à la protection de l’environnement », a-t-il affirmé. Pour ensuite expliquer que l’exploitation minière serait invisible depuis la Terre, tandis que d’autres intervenants soutenaient que, vu l’urgence écologique sur Terre, on n’avait pas le choix, il fallait rapidement soumettre la Lune à une exploitation commerciale.

Trous noirs

Autre risque écologique, plus global, lié à une éventuelle dérégulation : la contamination au retour, avec la mise en danger de la Terre entière. Wörner a, dans le contexte général des normes de sécurité, incité à la prudence en rappelant qu’un risque est évalué comme le produit de la probabilité qu’il se produise et du dommage potentiel. « Quand il s’agit d’une vie humaine, ce dommage est important ; pour l’humanité entière, il l’est bien plus, même si les probabilités d’accident sont très faibles. » Clairement, ce type de risque global est aussi présent lors des projets de déviation de trajectoire d’astéroïdes. Les placer en orbite terrestre pourrait résulter en une collision accidentelle – et fatale – avec la Terre.

Enfin, la conquête spatiale comporte aussi un risque géopolitique. Certes, la commercialisation de l’espace peut être vue comme une alternative souhaitable à une éventuelle militarisation. Mais si l’espace devient un enjeu économique, on n’échappera justement pas à la militarisation. Pete Worden, évoquant l’idée « stupide » d’une Space Force, a néanmoins renvoyé au rôle traditionnel de l’US Navy en tant que protectrice de la liberté du commerce. Plus crûment, Jim Keravala a évoqué une période intermédiaire où les États-nations chercheraient à occuper des positions stratégiques dans l’espace et à obtenir une supériorité militaire. Mais après, avec la fin de la rareté des ressources, on pourrait passer à un autre modèle de société mondiale. « L’avenir est ce que vous en faites », a conclu Keravala. Nous rajouterions : à condition que l’avenir survive aux méfaits du présent.


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