Maintien en service de Doel 1 et Doel 2 : Une histoire belge

Comprendra qui voudra : la justice européenne constate l’illégalité de deux centrales nucléaires belges, mais se prononce quand même en faveur de leur maintien en service.

Photo : CC_BY-SA 30 Wwuyts_Wikimedia

En 2015, les deux asbl Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen avaient saisi la Cour constitutionnelle de Belgique d’un recours en annulation contre une nouvelle loi permettant la prolongation de l’activité des deux centrales nucléaires Doel 1 et Doel 2, situées au bord de l’Escaut, à proximité d’Anvers et de la frontière avec les Pays-Bas. Cette loi amendait le calendrier d’arrêt progressif de toutes les centrales nucléaires belges après 40 années d’exploitation, décidé en 2003.

Comme d’autres pays européens, la Belgique s’apprêtait à l’époque à sortir du nucléaire, mais n’avait de fait depuis lors lancé aucun programme de substitution pour s’approvisionner en électricité via d’autres sources. En conséquence, lorsque les premières centrales ont atteint l’âge fatidique de 40 ans en 2015, la dépendance aux centrales nucléaires n’avait pratiquement pas baissé.

Il a alors été décidé de prolonger la durée de vie des centrales en les modernisant. Ce qui a été contestée par les deux organisations écologiques. Elles critiquaient notamment le fait que ces modernisations – par ailleurs très discutables – n’étaient pas soumises aux mêmes procédures existant pour de nouvelles centrales comme prévu, par exemple, par la convention d’Espoo sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière, par la convention d’Aarhus sur la participation du public en matière d’environnement et par la directive concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement dite « convention EIE ».

La Cour constitutionnelle de Belgique a alors demandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’analyser « si l’adoption d’une loi prolongeant la durée de la production industrielle d’électricité par des centrales nucléaires requiert des évaluations des incidences sur l’environnement ».

L’arrêt prononcé ce lundi par la CJUE donne bien raison aux associations plaignantes : « Les travaux réalisés sur les deux centrales (…) destinés à les moderniser et à garantir le respect des normes actuelles de sécurité sont de nature à affecter la réalité physique des sites concernés. » La CJUE statue par ailleurs que « ce projet doit être considéré comme étant d’une ampleur comparable, en termes de risques d’incidences environnementales, à celui de la mise en service initiale des centrales. Par conséquent, un tel projet doit impérativement être soumis à l’évaluation de ses incidences environnementales », prévue par la même directive EIE.

De plus, les centrales en question étant situées à proximité de la frontière belgo-néerlandaise, « un tel projet doit également être soumis à la procédure d’évaluation transfrontière ». Ces évaluations auraient dû intervenir avant l’adoption de la loi prolongeant la durée de vie des centrales en cause.

Des centrales illégales

La CJUE constate donc que la prolongation de Doel 1 et Doel 2 était bel et bien illégale. Mais elle estime en même temps que la juridiction belge peut exceptionnellement maintenir les centrales en fonctionnement, « si ce maintien est justifié par des considérations impérieuses liées à la nécessité d’écarter une menace réelle et grave de rupture de l’approvisionnement en électricité (…) à laquelle il ne pourrait être fait face par d’autres moyens et alternatives ». Ce maintien en service exceptionnel ne devrait cependant couvrir que « le laps de temps strictement nécessaire pour remédier à cette illégalité ».

Autrement dit : bien que le pouvoir public belge ait effectivement oublié de veiller à l’approvisionnement en électricité alternatif pendant plus de 15 ans, ce même pouvoir public peut donc maintenir en service des centrales illégales et prendre tout son temps pour réaliser les enquêtes et autres démarches a posteriori. En invoquant des besoins économiques « impérieux », cette jurisprudence européenne risque de rendre dorénavant caduc le principe même que des enquêtes environnementales doivent être menées avant d’autoriser la construction ou la modernisation d’ouvrages industriels.


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