Mémoire : Boulonnons nouveau

Avec le plongeon libérateur de l’esclavagiste Edward Colston dans les eaux du port de Bristol, la discussion autour des statues et symboles est relancée. Le déboulonnement simple risque d’amener une amnésie collective et non souhaitable.

Photo : Richtung22

Détruire les images et représentations de souverain-e-s mal-aimé-e-s est un acte vieux comme la civilisation humaine. Déjà au 13e siècle avant notre ère, le pharaon égyptien Akhenaton en a fait les frais. Après une réforme religieuse orientée vers le monothéisme qui a mal tourné, les statues du père du pharaon Toutankhamon furent défigurées et ses emblèmes effacés des murs des temples. Et cette manie nous a accompagné-e-s depuis, les « Bilderstürmer » protestant-e-s du 16e siècle, les destructions commises en marge de la Révolution française ou encore les démontages de milliers de statues de Lénine en ex-URSS en sont le signe. Chaque fois qu’une société se crispe ou se contracte pour passer à une nouvelle étape, c’est aux symboles de l’ancien monde de passer à la trappe.

En ce sens, faire tomber les statues de Colston, de Christophe Colomb, de Léopold II de Belgique ou de Colbert est un acte libérateur. Pendant trop longtemps, la glorification sans questionnement a dissimulé la vérité historique très crue de leurs actes. Pour une personne britannique d’origine africaine, passer chaque jour sous la statue de quelqu’un qui a fièrement réduit en esclavage ses ancêtres est sans aucun doute insupportable. On assiste donc à une mise en question de la culture de mémoire, culture par laquelle les sociétés se définissent. Et dans ce cadre, ne compte pas uniquement ce qui est dit, mais surtout ce qui n’est pas dit. Dans le cadre de Léopold II, rappelons qu’il n’y a pas si longtemps que toutes et tous les petit-e-s Belges apprenaient à l’école les « bienfaits » de la colonisation du Congo, sans mentionner la mort de plus de 10 millions de personnes. Encore en 2005, le gouvernement de Nicolas Sarkozy, à peine sorti d’une « crise des banlieues » sans précédent, a tenté de faire voter une loi qui aurait mis en valeur « l’œuvre accomplie » par la France dans ses anciennes colonies. On le voit, l’aveuglement et la négation de la violence du colonialisme – dont les clichés se répètent à l’identique dans le racisme quotidien – ne datent pas d’hier non plus.

Photo : Wikimedia_Kenneth C Zirkel

Pourquoi ne pas mettre à jour ces monuments au lieu de les détruire ?

Le problème avec toutes les furies iconoclastes de l’histoire, c’est qu’elles n’ont jamais été des réussites. 3.300 ans après la destruction des monuments à sa gloire, nous connaissons toujours les réformes d’Akhenaton, tout comme Versailles et la folie des grandeurs des rois de France restent présents. Alors pourquoi ne pas mettre à jour ces monuments au lieu de les détruire ? Ajouter des plaques aux statues de Léopold II qui expliqueraient ses crimes, le racisme sans borne qu’il a propagé et l’impunité qui s’est ensuivie ? On pourrait aussi penser à les altérer, ajouter des symboles ou encore les déboulonner pour les intégrer à de nouveaux ensembles, plus justes historiquement et plus représentatifs de la société d’aujourd’hui.

Car en faisant disparaître tout simplement les symboles de l’oppression, il y a risque d’amnésie pure et simple. Mieux vaut alors les réintégrer dans une vision plus juste, pour que jamais on n’oublie les atrocités commises. Dans ce sens, l’action du groupe d’artistes-activistes de Richtung 22 cette semaine a été bien pensée : enfermer le colonialiste Nicolas Cito au lieu d’arracher sa plaquette le remet à sa juste place, et surtout, ça pousse à réfléchir !


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