Mendicité
 : Rassurer les commerçants

Le conseil communal de la Ville de Luxembourg a adopté, cette semaine, deux articles visant à réprimer certaines formes de mendicité.

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La mendicité organisée, elle n’existe pas depuis hier… « Mendiants dans le cloître de la cathédrale de Barcelone », Jean Charles Davillier, 1874. (Photo : Universidad de Sevailla / Flickr)

« Depuis quelque temps, la mendicité est devenue extrêmement fréquente en quelques localités, surtout de la part d’individus étrangers. » La phrase, qui se lit comme un article de presse écrit pendant la fameuse période estivale, est tirée d’une circulaire adressée aux bourgmestres et officiers de police du Luxembourg et date de…1840 ! De nos jours comme en 1840, le sujet de la mendicité refait surface dans le débat public de façon régulière.

Si la commission juridique de la Chambre prévue pour vendredi dernier, pendant laquelle un « échange de vues » sur le sujet de la mendicité aurait dû avoir lieu sur demande du CSV, a été reportée, le conseil communal de la Ville de Luxembourg a, lui, bien eu lieu ce lundi 23 novembre. La mendicité y figurait à l’ordre du jour.

La polémique lancée en août par une lettre ouverte houleuse de l’avocat Gaston Vogel (woxx 1332) aura bel et bien des retombées, du moins sur le territoire de la Ville de Luxembourg. Le conseil communal a adopté à une large majorité – seul Déi Lénk a voté contre -, lundi, deux articles qui seront ajoutés au règlement de police de la capitale. Si l’initiative émanait du DP, qui dit avoir collaboré étroitement avec le CSV, les Verts l’ont acceptée, tout en sachant qu’elle ne changera pas grand-chose sur le terrain.

Le premier des articles interdit toute forme de « mendicité organisée ou en bande » ainsi que celle effectuée par des mineurs ou des majeurs accompagnés par des mineurs. Le deuxième interdit, lui, « d’importuner ou de harceler les passants, automobilistes ou autres conducteurs, de sonner aux portes pour importuner les habitants et d’entraver les entrées d’immeubles et d’édifices publics ou privés, les entrées de commerces et les passages ».

Il s’agirait de « deux sortes de comportements différents » qui seraient visées par les deux articles, pour la bourgmestre Lydie Polfer. Deux sortes de comportements d’ailleurs allègrement mélangées dans le débat depuis août. S’il y a, selon Polfer, d’un côté le problème de la « mendicité organisée », il y aurait de l’autre côté le phénomène de groupes de personnes qui importuneraient les passants, notamment à hauteur du magasin « Alima » en ville.

« Asociaux » et autres énergumènes

Ces « asociaux » (« Asozialer ») – c’est ainsi que les a qualifiés la bourgmestre – ne pratiqueraient la mendicité que comme prétexte afin de pouvoir harceler commerçants et clients. C’est du moins ce qu’a relevé Tom Krieps, conseiller socialiste. C’est avant tout à ce regroupement de personnes, « souvent alcoolisées, voire droguées », que s’adresse l’article interdisant le harcèlement des passants. Des personnes qui, en partie, refuseraient d’avoir recours à des structures d’accueil pour SDF, pour diverses raisons.

Aucun mot, en revanche, sur la composition du groupe et l’histoire de certains des individus visés. Car si le groupe squatte la rue à un endroit assez stratégique, c’est aussi qu’il est composé de personnes qui ont souvent été chassées d’autres endroits.

Ainsi, bon nombre sont dans la rue depuis de longues années et faisaient partie du groupe, composé de beaucoup de jeunes et moins jeunes SDF, qui avait occupé une vieille maison abandonnée dans la rue Mansfeld, à Clausen, en 2009. Ils s’étaient fait déloger quelques mois plus tard, sans que des solutions n’aient pu être apportées à leur situation. Aujourd’hui, certains d’entre eux se sont aussi installés dans des tentes au Dernier Sol à Bonnevoie.

Avant de squatter l’avenue de la Porte-Neuve, ils se rassemblaient square Jan Palach, aux abords de la place d’Armes, un peu à l’abri des regards. Un carrousel y a été installé avant que l’endroit ne devienne un chantier. Le centre Hamilius, pendant de longues années un point de rencontre, a lui aussi été rasé.

Si le genre de comportement visé par le conseil communal est déjà réprimé par certaines dispositions du règlement de police, voire du Code pénal, « cela n’a jamais été fait de façon aussi précise » a souligné Mathis Prost, DP, à l’origine de la proposition de modification du règlement de police communal. Pour Maurice Bauer, CSV, il s’agit aussi de protéger les commerçants qui souffriraient du tapage causé par le groupe visé : « Certains commerces ont déjà engagé des vigiles », a-t-il expliqué, avant de mettre en garde devant les risques d’une situation où des concernés se feraient justice eux-mêmes.

3.000 PV classés sans suite

1347stoosDans sa lettre ouverte publiée en août et reprise à gogo par de nombreux médias, Gaston Vogel visait un autre groupe dérangeant à ses yeux : les mendiants organisés, agissant en bande, venus de la « lointaine Roumanie ». Un sujet repris lui aussi lors du conseil communal du 23 novembre : « Nous avons affaire ici à des activités criminelles, dirigées en partie depuis l’étranger et très difficiles à prouver », a expliqué Gilles Rod, Déi Gréng.

Difficile à prouver, c’est le cas de le dire : c’est ce qu’a révélé René Lindenlaub, directeur régional de la police, lors d’une réunion conjointe de la commission de l’action sociale, de la santé et du troisième âge et de la commission du contentieux, du règlement et de la sécurité. Sur 3.000 procès-verbaux dressés par des agents de police, la totalité – sans exception – auraient été classés sans suites par le parquet. Une des raisons en serait, selon Lindenlaub, le fait que beaucoup des contrevenants n’auraient pas d’adresse fixe au Luxembourg, voire pas d’adresse fixe tout court.

Pire encore : suite à la publication de photos montrant prétendument des mendiants agissant en bande organisée par Gaston Vogel, six à huit agents du Srec (Service de recherche et d’enquête criminelle) auraient été déployés pendant trois semaines afin de surveiller des mendiants à Luxembourg-ville.

Le tout « pour finalement constater que la majorité des mendiants filmés à cette occasion ont utilisé l’argent collecté pour s’acheter à manger et à boire » et « qu’aucune affaire avec un mineur n’a pu être détectée ». Un résultat « quelque peu décevant » pour Lindenlaub, qui a profité de l’occasion pour exprimer ses regrets quant à l’abrogation, en 2008, du délit de mendicité simple. Mais si aucun jugement n’a pu prouver que mendicité organisée il y avait, cette dernière ne serait-elle pas un simple fantasme ?

Pour Lydie Polfer, il s’agirait d’« un problème d’application des textes ». Car des textes réprimant la mendicité organisée existent bel et bien : ainsi, le Code pénal prévoit une amende allant de 25 à 250 euros pour « tous ceux qui mendieront en réunion, à moins que ce ne soit les conjoints, l’un des parents et leurs jeunes enfants, l’aveugle ou l’invalide et leur conducteur ». De même, des articles répriment la traite des êtres humains, autre fait parfois associe aux activités des mendiants de la ville.

Dès lors, les articles ajoutés au règlement de police communal ne relèvent-ils pas du double emploi ? C’est du moins le point de vue de Tom Krieps, qui est allé plus loin : le nouvel article qui prévoit l’interdiction de mendier en présence de mineurs pourrait même être en contradiction avec les indications du Code pénal qui, lui, autorise les parents à mendier en présence de leurs enfants.

Un signal envers les commerçants

« Si aujourd’hui 3.000 procès-verbaux sont classés sans suite, pourquoi cela ne se passerait-il pas aussi avec les procès-verbaux dressés sur base du règlement de police ? », a-t-il demandé, en ajoutant : « Nous créons ici un pot-pourri de mesures qui ne seront pas applicables. Il s’agit tout au plus d’un signal envers les commerçants. »

C’est aussi le point de vue de Joël Delvaux, conseiller Déi Lénk, qui a ajouté que priorité devrait être accordée aux projets sociaux comme le « bistrot social », dont les statuts ont été votés par le conseil communal lors de la même séance. Pour Déi Lénk, dont les deux conseillers Guy Foetz et Joël Delvaux ont publié une lettre ouverte à la suite de la décision, la mendicité est un phénomène global, lié au système économique, et qui ne pourra pas être éradiqué avec des moyens répressifs.

Une notion quasi absente du débat : celle des origines sociales et économiques de la mendicité. Si Gilles Rod, Déi Gréng, a souligné que « la pauvreté n’est pas un crime », la mendicité a pour lui tout d’un phénomène naturel : « Depuis qu’il y a des humains, il y a des gens qui doivent mendier pour survivre. »

« Si toutes les instances se rendent compte qu’il y a un problème, qu’il y a une situation inacceptable et que, dans un État de droit, nous ne pouvons pas agir, alors nous sommes sur une voie très dangereuse », a conclu Lydie Polfer. Bien entendu, la situation inacceptable, ce ne sont pas les conditions économiques et sociales qui poussent des gens à mendier, mais plutôt les mendiants eux-mêmes. Du moins lorsqu’ils sont en groupe.


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