Pour mobiliser contre l’épandage chimique par voie aérienne, une pétition a été déposée à la Chambre. Qui sont les militants contre cette « pollution » un peu particulière ?
« C’est depuis le 18 janvier 2016 que les programmes d’intervention climatique et atmosphérique me préoccupent. Ce matin-là, à huit heures – il avait neigé et le ciel était clair – j’ai regardé par la fenêtre, et j’ai vu des traînées blanches », raconte d´une voix calme la femme impeccablement coiffée et maquillée, assise devant moi. Agnès d’Aboville, la cinquantaine, est l’initiatrice de la pétition 626 « contre les épandages aériens ». Ce matin de janvier, elle a vu neuf avions, l’un après l’autre, traverser le ciel en laissant une grille de nuages artificiels. « Cette forme m’a rendue sceptique. Elle indique, pour moi, qu’il s’agit d’une occurrence organisée. Et ce qui m’a stupéfait encore plus, c’est que les traînées étaient très épaisses, persistantes. Une heure après, le ciel était voilé pour le reste de la journée ».
J’ai été voir Agnès d’Aboville chez elle pour en savoir plus sur ce qui la préoccupe, elle qui est convaincue de l’existence et de la dangerosité des « chemtrails ». Ce nom, une contraction de « chemical trails », est utilisé par celles et ceux qui s’inquiètent des traînées d’avions supposées contenir des produits chimiques. Qui sont ces militants anti-pollution?
Agnès d’Aboville habite à l’est du pays dans un quartier qu’on a sorti de terre il y a deux ans. Son bloc d’appartements n’est pas du bon marché ; en suivant la tendance, il y a d’énormes baies vitrées. Un avantage aux yeux de mon interlocutrice : « De chez moi j’ai une vue à 360 degrés qui me permet de bien observer le ciel. » Elle regrette que les gens n’ont plus l’habitude de regarder le ciel. « S’ils n’étaient pas tout le temps devant leur écran, ils pourraient voir eux aussi qu’il y a quelque chose qui cloche. » Ces dernières années, Agnès d’Aboville a géré un cabinet de formation et de conseils pour entreprises et particuliers. Elle travaille chez elle, où elle vit seule – son mari est « parti » depuis « longtemps » et ses enfants ont grandi. Elle a aussi publié des livres dans le domaine des ressources humaines comme « Trouvez du travail : les règles de A-Z » et « Les manipulateurs pervers narcissiques : comment protéger son entreprise ».
Contrôler le climat, décimer l´humanité
La militante m’explique qu’elle est du genre à s’interroger quand elle remarque des phénomènes étranges. Ainsi, après sa découverte de janvier, elle s’est rendue sur internet pour s’informer. « Là, j’ai compris qu’il s’agissait de géo-ingénierie. » Agnès d’Aboville a trouvé beaucoup d’analyses différentes. En Inde par exemple, il s’agit de produits qui rendent les femmes stériles. « Dans d’autres pays, le but est de contrôler le climat », résume-t-elle la pluralité d’informations autour des chemtrails.
À première vue, la pétition semble avoir pris un bon départ. Fin juin, elle comptait déjà plus de 1.000 signataires. Puis, après une petite hésitation, Agnès m’indique que la plupart des signataires ne sont pas des résidents – ce qui fait que leur signature ne compte pas. En fait, à la fin du processus, on restait loin des 4.000 signataires requis pour déclencher un débat à la chambre. « Mais au moins j’ai sensibilisé les gens au problème, c’est déjà ça », se console-t-elle.
Difficile pourtant de trouver des articles et des informations sérieuses qui ne classifieraient pas la hantise des chemtrails comme une théorie du complot. Quand je lui en parle, je suis surprise qu’Agnès d’Aboville ne me fasse pas la leçon, mais réplique : « Je suis mal placée pour répondre à cette question. » Puis, tranquillement, elle se rend vers son living pour me sortir un bouquin : « La guerre secrète » de Claire Severac. Pour l’auteure, de nombreux projets prétendument humanitaires serviraient en fait l’objectif d’une oligarchie mondiale souhaitant réduire l’humanité à 500 millions d’individus. Pour Claire Severac, qui se décrit sur son site comme « déchirée entre son amour pour la musique, l’écriture et l’actualité mondiale », il s’agirait du plus grand génocide de l’histoire qui se déroulerait dans la désinformation la plus totale.
Devancer les antagonistes et faire sa propre documentation
« Il y a des antagonistes qui disent, que la moyenne d’âge et la population ne cessent d’augmenter. » Agnès d’Aboville devance une possible critique de la thèse principale de Claire Severac. Et qu’en pense-t-elle ? « Je ne peux pas répondre, parce que je ne suis pas une scientifique ». Elle regarde le ciel à travers la vitre, puis dit, d’un air rassuré : « Mais non, cela ne peut pas être de la vapeur condensée. » Elle sort son « iphone » et « scrolle » à travers une série de photos – sa documentation de l’existence des épandages chimiques. Puis « zoome » sur une des images : « Vous voyez ces crêpelures qui scintillent ? Elles contiennent des nanoparticules de baryum. » Je dois admettre que, présentée sur une photo fortement pixélisée, la forme bizarre que prennent les traînées, combinée aux réflexions du soleil, rend plausible l’idée qu’il s’agit d’autre chose que simplement d’eau condensée. Avant de partir la militante me passe le numéro d’un ami, qui, selon elle, pourra m’en dire plus sur le sujet.
L’ami en question habite dans un village aux alentours de Luxembourg-ville. Quand j’arrive, il fait beau dehors. Le living de Henri Poincaré (nom changé par la rédaction) donne l’impression qu’il a beaucoup voyagé : dessins indiens et meubles avec des reliefs de personnages chinois. En effet, l’expert en produits dérivés a travaillé pour une grande banque française entre autres au Mexique et à Singapour. Au contraire d’Agnès d’Aboville, il a été rendu attentif aux chemtrails à travers internet. Néanmoins il affirme que, « à l’œil nu il est possible de repérer des sortes de drones qui effectuent ces épandages ». Henri explique que les chemtrails se sont multipliés depuis 1996, suite à la publication du texte « Weather as a Force Multiplier: Owning the Weather in 2025 », rédigé par sept militaires de l’université de l’Air américaine. Ce document est dans la lignée d’une recherche plus large de l’armée américaine sur les armes climatiques, la guerre environnementale ainsi que dans celle des travaux de scientifiques sur la géo-ingénierie. Sur le blog écologie de lemonde.fr Audrey Garric date l´émergence des théories des chemtrails avec justement la publication de cet article spéculatif.
Henri Poincaré explique qu’il participe à des conférences sur le sujet et insiste sur les personnalités politiques qui s’y impliquent. À Gent, c’est le politicien du parti chrétien-démocrate, Peter Vereecke qui a fait partie des organisateurs. D’autres politiciens, comme l’Italien Alexandro di Pietro du parti centriste Italia dei Valori, défendent publiquement la théorie. Alexandro di Pietro était le procureur adjoint de Milan lors de l’opération « mains propres », les fameuses enquêtes judiciaires dans le monde politique et économique des années 1990.
Les écolos luxembourgeois se distancient
Pour ce qui est des relais politiques au Luxembourg, Agnès d’Aboville a essayé de se faire entendre auprès de Déi Gréng : « Je suis allée à une de leurs conférences et j’y ai soulevé la problématique. Mais ni Carole Dieschbourg ni François Bausch ne comprenaient de quoi je parlais. » En me racontant l’épisode elle prend un dépliant des Verts et montre du doigt Camille Gira. « C’est lui qui a alors pris la parole et expliqué, d’un air plutôt mécontent, qu’il s’agissait de traînées de condensation », résume-t-elle l’intervention.
Si le sujet semble laisser froid les Verts luxembourgeois, des militants écolos américains et français sont moins hésitants. Peut-être parce que le documentaire « What in the world are they spraying ? » de 2010 de Michaël Murphy met en cause Monsanto. La multinationale est soupçonnée de pratiquer des épandages massifs de métaux lourds pour éradiquer l’agriculture bio et forcer tous les agriculteurs à acheter des semences OGM. Une association d’idées qui s’adresse bien aux écolos plutôt qu’à la droite et à l’extrême droite, viviers traditionnels des théories du complot. Mais les données et analyses avancées dans le documentaire sont erronées, selon des scientifiques. Les analyses ont été faites avec de l’eau dormante, qui naturellement contient plus de métaux. Une étude réalisée par 77 scientifiques et financée par l’université de Californie, l’institut Carnegie de Stanford et l’ONG « Near Zero », qui vient d’être publiée début août, a elle aussi souligné qu’il n’y a pas d’indices pour l’existence des chemtrails.
Une guerre silencieuse
Henri Poincaré désespère de ses concitoyens : « Même après la diffusion de ce documentaire et la documentation scientifique abondante, les gens n’y croient pas. Ils ne peuvent pas concevoir qu’un gouvernement puisse leur vouloir du mal. » Constatant que les institutions officielles démentent systématiquement l’existence des épandages chimiques, il soupire : « Que pouvons-nous faire ? » Pense-t-il que le gouvernement luxembourgeois est impliqué ? « Non, et à mon avis le gouvernement ignore la réalité de cette guerre silencieuse.»
Quelle guerre ? Comme son amie, Henri Poincaré croit que le but de ces opérations est de décimer la population mondiale par des maladies ou des manipulations climatiques. En 2003, les Etats-Unis auraient provoqué une canicule pour punir les Français de ne pas avoir participé à la guerre d’Irak. N’est-ce pas une opération compliquée et coûteuse pour nuire à un pays ? Et pourquoi n’y a-t-il eu aucune enquête de journaliste sur ce sujet ? Plus généralement, les chemtrails m’apparaissent comme un moyen assez imprécis pour tuer des hommes. Les officiers militaires ne mettraient-ils ainsi pas aussi en danger leurs proches ? « Il y a des moyens pour se protéger. Et puis ce sont des gens qui se fichent totalement du bien-être des autres », assure l’expert anti-chemtrails. Se protège-t-il ? Surprise, il ne le fait pas, car le sujet « ne le préoccupe pas quotidiennement ».
Le sujet n’en reste pas moins d’actualité pour Henri Poincaré. Dehors, le temps s’est gâté pendant notre entretien, des nuages se sont formés et il pleut désormais. Cette persistance du mauvais temps depuis début mai n’est pas anodine : « Cette météo est voulue. Elle cause des inondations qui détournent l’attention des gens des problèmes économiques, notamment en France. » Avant de partir, l’expert me donne le même conseil qu’Agnès d’Aboville : « Pour se convaincre de l’existence des chemtrails, le mieux est d’observer soi-même le ciel. »
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