Réduction du temps de travail : Un peu de flexibilité, patron !

En France comme au Luxembourg, on ne jure que par la compétitivité. À quand une RTT généralisée, afin que tous profitent des gains de productivité ?

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Patrons ou salariés, qui dessine les contours de l’organisation du travail ? (Illustration : CGT Airbus 31)

La flexibilité des conditions de travail permet d’augmenter la compétitivité. C’est ce qu’affirme le patronat, et ce n’est pas faux. Mais cette flexibilité se fait sur le dos de qui ? Et qui profite de la compétitivité ? « Alléger » le Code du travail, est-ce vraiment la voie royale pour combattre le chômage ? C’est ce type d’interrogations qui, en France, a favorisé la mobilisation contre la loi El Khomri et conduit au mouvement de contestation généralisée Nuit debout (voir p. 4 et woxx 1369).

Pendant ce temps, au Luxembourg, on a assisté à l’échec des négociations sur la réforme du plan d’action national « emploi » (PAN), visant à la fois à élargir et à mieux encadrer les possibilités de flexibiliser le temps de travail (woxx 1364). C’est le ministre du Travail Nicolas Schmit qui a tranché : flexibilité dans certaines limites, mais aussi compensations, notamment sous forme de jours de congé supplémentaires (woxx 1369). Or, au Luxembourg comme en France, le débat officiel n’a guère abordé une question qui, traditionnellement, est liée aux enjeux de la flexibilité et du chômage : la réduction du temps de travail généralisée (RTT).

Et pourtant ! Notre confrère hexagonal « Alternatives économiques » vient de lancer un appel intitulé « Ensemble, remettons la réduction du temps de travail au cœur du débat public ». L’initiative part du constat qu’il n’y a « quasiment aucune chance que l’évolution spontanée de l’économie permette de faire reculer le chômage à un rythme suffisant pour éviter les risques d’explosion auxquels la société française est confrontée aujourd’hui ». Afin d’éviter cela, « il faut travailler moins pour travailler tous et mieux » – en s’inspirant de l’introduction des 35 heures dans les années 2000 tout en tirant les leçons des difficultés de leur mise en œuvre. L’appel a été signé par près de 200 personnalités du monde universitaire et politique, représentant un large éventail des formations de gauche, depuis le PS jusqu’au Parti de gauche en passant par les Verts et le PCF.

Appel à travailler moins

La RTT est une idée quelque peu décalée par rapport au débat sur la « réforme » du Code du travail français, extrêmement technique et aux enjeux complexes. Faut-il tout régler par la loi ou laisser négocier librement les partenaires sociaux ? Le fait de faciliter les licenciements va-t-il encourager l’embauche ? L’introduction prévue du « compte personnel d’activité » constitue-t-elle un premier pas en direction d’une flexibilité au service des salariés ? La loi El Khomri, tellement contestée que le gouvernement français a dû la faire adopter sans débat, est en tout cas symptomatique de l’orientation générale de la social-démocratie européenne : être à l’écoute du patronat, revenir sur la logique du pacte social et de l’État-providence, miser sur les promesses de croissance liées à la mondialisation et aux nouvelles technologies.

Les 35 h, un mauvais partage ?

Or, justement, Jeremy Rifkin, réputé être le gourou de la troisième révolution industrielle, est aussi particulièrement favorable à une réduction du temps de travail – celle-ci permettrait de concilier progrès technique et bien-être social. Il semble que les décideurs politiques, aussi bien au Luxembourg qu’au niveau de l’Union européenne, apprécient certaines des idées de Rifkin plus que d’autres.

En fait, comme le constate le syndicaliste Mohammed Oussedik, nouvelles technologies et crise économique ont déjà réduit la durée totale du temps de travail. « Mais ce partage s’opère de la manière la plus brutale qui soit », estime-t-il, « entre les chômeurs et ceux qui ont un emploi, et entre le temps de travail choisi et négocié et celui qui est imposé et subi. » Oussedik donne comme exemples de cette mauvaise RTT les contrats zéro heure au Royaume-Uni et les temps partiels en Allemagne. Et énonce sa solution : « La semaine de 32 heures, couplée avec un programme majeur de formation, permettrait de réduire les inégalités entre les travailleurs. »

1372stoosMais est-ce aussi simple ? Après tout, la RTT des années 2000 a laissé un goût amer, y compris à gauche et parmi les syndicalistes. Dans son dossier consacré au sujet, « Alternatives économiques » réhabilite cette expérience : 350.000 emplois auraient été créés, ce qui aurait favorisé le redémarrage de l’économie française. Les entreprises en auraient également profité : baisse des cotisations sociales et allongement de la durée d’utilisation des machines grâce aux possibilités d’horaires plus flexibles. De plus, cette RTT a favorisé un investissement équitable entre hommes et femmes du côté de la vie privée. Au contraire, le boom du temps partiel, comme en Allemagne, s’adresse surtout aux femmes et les aide dans la « conciliation de la vie professionnelle et familiale » – ce qui revient en général à abandonner les ambitions de carrière et à s’occuper seule du ménage.

Et au Luxembourg ? Même si le sujet de la RTT n’est pas souvent abordé, le principal syndicat en a fait un de ses chevaux de bataille. Ainsi, en juin 2015, l’OGBL a sorti une brochure intitulée « Le temps de travail est temps de vie ». Dans le cadre des négociations sur la réforme du PAN, le syndicat rappelle que « la flexibilisation du temps de travail introduite à l’époque est restée jusqu’à aujourd’hui sans contrepartie ». « Que l’augmentation de la productivité entraîne pour les uns du surmenage et pour les autres du chômage » est qualifié d’inacceptable. Comme le Luxembourg, avec 41 heures, est dans le trio de tête européen en termes de travail hebdomadaire des salariés à temps plein, l’OGBL estime qu’il faudrait une RTT générale, qualifiée de « réforme progressiste en faveur d’une amélioration de la qualité de vie et de l’épanouissement personnel ». En outre, l’OGBL demande une sixième semaine de congés payés en tant que premier pas dans cette direction. Et l’introduction de comptes épargne-temps qui permettent une gestion plus flexible des droits de congé par les salariés.

La RTT au grand-duché

Cette dernière proposition se retrouve également dans le programme électoral du LSAP de 2013. Pourtant, Nicolas Schmit, sans doute impressionné par le refus catégorique du patronat de tout ce qui ressemble à une RTT, ne l’a pas repris dans son compromis pour la réforme du PAN. Pour le reste, le programme socialiste ne mentionne aucune autre forme de RTT. Même tableau du côté des Verts – comptes épargne-temps, mais rien de plus – alors que ce parti était à ses origines très sensible à des utopies de type « travailler moins, vivre mieux ».

Pour retrouver la revendication d’une réduction du temps de travail hebdomadaire, il faut se tourner du côté de la gauche radicale : aussi bien Déi Lénk que le KPL se sont prononcés en 2013 en faveur de la semaine de 35 heures sans diminution du salaire. Notons que, pour les deux partis, cela constitue une mesure parmi d’autres, loin derrière des propositions telles que l’interdiction de certains licenciements ou la retraite à 60 ans.

D’où vient cette timidité des partis établis en matière de RTT ? Se peut-il qu’ils suivent le raisonnement défendu par l’ancien premier ministre Jean-Claude Juncker : « Réduire le temps de travail au Luxembourg créerait effectivement des emplois… pour les frontaliers ! » Il y a dans cette façon de voir les choses une certaine logique – après tout, le chômage luxembourgeois est bien plus structurel que conjoncturel. Cependant, les postes supplémentaires créés par une RTT se trouveraient aussi dans les secteurs qui offrent des chances d’insertion aux résidents mal formés. Et surtout, il n’y aurait rien de honteux à créer des emplois pour nos concitoyens de la Grande Région. Le Luxembourg tire de nombreux bénéfices de sa position de pôle d’emploi transfrontalier – il est donc coresponsable des équilibres économiques et sociaux qu’une RTT contribuerait à maintenir.


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