Des entreprises respectueuses des droits humains et de l’environnement : sur le principe, les têtes de liste aux élections législatives sont pour une loi contraignante. Dans le détail et sur la façon d’y parvenir, les réponses sont plus nuancées d’un parti à l’autre.
Quelle serait la meilleure coalition possible pour imposer aux entreprises le respect des droits humains et environnementaux ? La réponse est Marc Baum (Déi Lénk), Sven Clement (pirates), Paulette Lenert (LSAP) et Sam Tanson (Déi Gréng), selon la coalition d’ONG Initiative pour un devoir de vigilance.
Ce scénario résulte d’un questionnaire adressé il y a plusieurs semaines par ce collectif d’ONG aux sept têtes de liste des partis représentés à la Chambre. Presque tout le monde y a répondu, sauf Xavier Bettel, qui a refilé la patate chaude au vice-président du DP Lex Delles. Pour sa part, Fred Keup, le chef de file de l’ADR, n’a pas donné du tout suite aux questions. Mais « leurs positions sur certains points sont connues, grâce à leurs déclarations dans d’autres contextes », signale Jean-Louis Zeien, porte-parole de l’Initiative pour un devoir de vigilance, lors de la présentation à la presse des résultats de cette consultation, jeudi 21 septembre.
Le collectif de 16 organisations de la société civile s’est constitué il y a cinq ans pour demander l’adoption d’une loi nationale et européenne obligeant les entreprises à respecter les droits humains et environnementaux, ainsi qu’à apporter réparation aux victimes lorsque ces droits sont violés. Cette revendication s’inspire des Principes directeurs établis par les Nations unies en 2011 dans le but de responsabiliser les entreprises dans l’ensemble de leurs activités.
Se défendant de vouloir « tirer un bilan des cinq dernières années », Jean-Louis Zeien regrette néanmoins l’immobilisme du Luxembourg : « Le gouvernement sortant n’a pas voulu prendre ses responsabilités comme l’ont fait la France et l’Allemagne », deux pays qui ont adopté une législation nationale en la matière. Sur le papier, le ministère des Affaires étrangères s’était engagé à faire avancer ce dossier dont il a la tutelle. En réalité, il a surtout gagné du temps tout au long de la législature, pour finalement aboutir à un pacte volontaire, lancé avec l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL). « Ce n’est rien d’autre que du socialwashing et du greenwashing », déplore le porte-parole de la coalition.
Le Luxembourg se défausse sur l’Europe
Jean-Louis Zeien a rappelé qu’avec des dizaines de milliers d’entreprises établies au Luxembourg, dont de nombreux sièges de multinationales, le pays est singulièrement exposé à la problématique. Il a cité les exemples de Socfin, holding notamment contrôlée par Vincent Bolloré, accusée, entre autres, d’accaparement de terres en Afrique et en Asie. Ou encore le sidérurgiste Ternium, dont la responsabilité est engagée dans la disparition de deux militants des droits humains, au Mexique, le 15 janvier dernier.
Jusqu’à présent, le Luxembourg s’est toujours défaussé sur une future directive européenne pour justifier son refus de légiférer sur le plan national. Un texte est en négociation au niveau européen, mais sa finalisation est rendue difficile par certains gouvernements et un intense lobbying patronal, qui tentent d’en amenuiser la portée, sinon de le faire capoter.
Le collectif luxembourgeois a donc d’abord demandé aux têtes de liste si elles sont malgré tout favorables à une loi nationale si la directive européenne ne voit pas le jour. Luc Frieden (CSV) et Lex Delles y sont opposés. En commentaire, le candidat libéral prévient de « risques substantiels » pour le pays s’il avance de façon « unilatérale » et plaide pour un « level playing field » au niveau européen, afin de ne pas pénaliser la compétitivité de l’économie luxembourgeoise. Soit l’argument brandi à toutes occasions. Bien que n’ayant pas répondu, l’ADR s’est déjà positionné contre une législation nationale en l’absence de texte européen. « Voilà ce que Luc Frieden, Lex Delles et Fred Keup ont en commun », ironise Jean-Louis Zeien.
L’Initiative pour un devoir de vigilance a ensuite interrogé les candidates et candidats sur le niveau d’exigence qu’une loi nationale devrait imposer aux entreprises dans le domaine des droits humains et environnementaux. Elle leur a donc soumis sept questions précises en leur donnant la possibilité de justifier leurs réponses par un commentaire (voir infographie ci-contre). Marc Baum, Sven Clement, Paulette Lenert et Sam Tanson ont répondu positivement à toutes les questions. Luc Frieden à cinq questions sur sept, alors que Lex Delles n’a répondu par l’affirmative qu’à deux questions.
Le candidat du DP s’oppose notamment au principe du renversement de la charge de la preuve en faveur des victimes, pour leur assurer un accès effectif à la justice du pays où est domicilié le siège de la société. Sa réponse va à contre-courant de la position officiellement défendue par le grand-duché à Bruxelles, dans les négociations sur la future directive. Une position d’ailleurs saluée par l’Initiative pour un devoir de vigilance comme un « bon point ».
Quid des fonds d’investissement ?
Spécificité luxembourgeoise oblige, le collectif est particulièrement attentif aux réponses données par les têtes de liste sur la responsabilité du secteur financier. Au cœur de la polémique figurent les fonds d’investissement, pour lesquels le Luxembourg occupe la deuxième place mondiale. Faut-il ou non les inclure dans une loi sur le devoir de vigilance ? Les ONG sont pour, tandis qu’à Bruxelles, les représentants du gouvernement y font obstacle. Si Déi Gréng, Déi Lénk, LSAP et pirates y sont également favorables, « la surprise » vient en revanche de Luc Frieden, selon les mots de Jean-Louis Zeien. Le candidat du CSV a en effet répondu par l’affirmative. Incontestablement, il cherche à lisser son image de représentant des seuls intérêts du business.
Si la socialiste Paulette Lenert est pour l’inclusion des fonds d’investissement dans le devoir de vigilance, elle la conditionne néanmoins à l’étude des « risques y relatifs et en procédant par étapes afin de permettre au secteur de s’adapter à la nouvelle donne ». Soit une démarche ressemblant à la politique « des petits pas » menée ces cinq dernières années, sans que cela aboutisse à l’adoption d’une loi. Quoi qu’il en soit, l’Initiative pour un devoir de vigilance veut en priorité retenir sa réponse positive à cette demande, qui se trouve ainsi appuyée par cinq candidat-es.
Le fait de voir Déi Lénk et les pirates rejoindre en tous points les revendications des ONG n’a rien d’étonnant. Le 16 mai dernier, les député-es Nathalie Oberweis et Sven Clement avaient conjointement déposé à la Chambre une proposition de loi sur le devoir de vigilance des entreprises. Celle-ci avait été élaborée en étroite collaboration avec la société civile. Leurs réponses à ce questionnaire sont donc en parfait accord avec leur engagement du printemps dernier.
C’est moins clair pour Déi Gréng et le LSAP, qui ont gouverné ces dernières années sans voir la cause défendue par les ONG réellement avancer, alors même que le dossier était géré par le socialiste Jean Asselborn, aux Affaires étrangères. Lors du dépôt de la proposition de loi par Déi Lénk et les pirates, verts et socialistes avaient botté en touche en disant attendre l’adoption de la future directive européenne. L’apparent revirement révélé par ce questionnaire semble surtout confirmer ce qui n’est qu’un secret de polichinelle : au cours de la législature, c’est bien le DP qui, au sein de la coalition, a freiné des quatre fers pour empêcher l’adoption d’une loi nationale qui engagerait les entreprises sur les droits humains et environnementaux. Proximité avec les milieux d’affaires oblige. Les réponses données par Lex Delles au questionnaire des ONG vont d’ailleurs dans ce sens.
« Tout le monde est d’accord sur les grands principes des Nations unies, mais personne ne fait rien quand il s’agit d’agir sur le fond, de passer de la théorie à la pratique », déplore Jean-Louis Zeien. « Quand bien même la directive européenne ne verrait pas le jour, le prochain gouvernement devra prendre ses responsabilités en adoptant sa propre loi, comme l’ont fait ses voisins. » L’Initiative pour un devoir de vigilance attend dès lors « de la prochaine coalition qu’elle prenne une position claire, en faveur d’une loi efficace, car au 21e siècle le respect des droits humains doit faire partie de l’ADN des entreprises ».