La Tunisie est en pleine crise du tourisme. Plusieurs facteurs, économiques, sécuritaires et stratégiques sont en cause.
Le soleil, la mer bleu turquoise, des sites historiques exceptionnels, mais pas de touristes : la Tunisie peine à sortir la tête de l’eau trouble que constitue la crise du tourisme. En cette période économiquement difficile, la jeune démocratie pourrait bien boire la tasse. Avec 5.330.913 nuitées entre janvier et juin 2016, la Tunisie enregistre une baisse de 37,3 pour cent par rapport à la même période en 2015 et de 51,8 pour cent par rapport à 2014. Ces chiffres négatifs deviennent une habitude, alors que le tourisme représente quasiment 7 pour cent du PIB du pays et plus de 400.000 emplois.
La sécurité est un des facteurs aggravants de cette crise. Dans le rapport annuel 2015 de la Banque centrale tunisienne, Chadly Ayari, le gouverneur, évoque effectivement la « résurgence du terrorisme et son corollaire immédiat, le choc sur le tourisme » comme deux des facteurs d’une année 2015 économiquement difficile. Entre mars 2015 et mars 2016, le pays a été frappé à quatre reprises par des attaques : le musée du Bardo à Tunis le 18 mars 2015 (24 victimes), la plage de Port El-Kantaoui, près de Sousse, le 26 juin 2015 (38 victimes), le bus de la garde présidentielle à Tunis le 24 novembre 2015 (12 victimes) et la ville de Ben Guerdane (près de la frontière libyenne) le 7 mars 2016 (13 victimes).
Revendiqués par l’organisation État islamique, ces attentats exercent encore un impact sur le tourisme tunisien. Preuve en est, à Sousse, l’un des plus grands sites du pays : « Entre le 21 juin et le 31 décembre 2015, nous avons reçu 401.871 touristes pour plus d’un million et demi de nuitées », compte Foued Eloued, commissaire régional au tourisme. « Cela correspond à une baisse de 35 pour cent des arrivées et de 61,6 pour cent des nuitées par rapport à 2014. 17 hôtels ont fermé l’année dernière. Mais cette baisse d’activité a aussi touché les taxis, l’artisanat… tout est lié », ajoute-t-il.
Le nouveau marché russe
Dans la médina de Sousse, Mohamed, un vendeur de bijoux, se désespère : « Je ne vends quasiment plus rien. » Âgé de 45 ans, le Tunisien se pose des questions sur son avenir. À neuf kilomètres de là, à Port El-Kantaoui, Ahmed porte le même désespoir. Il est chargé d’attirer les touristes sur un bateau pirate pour des excursions en mer. « Avant, on remplissait le bateau jusqu’à 45 personnes. Maintenant, on part dès qu’il y a dix clients. Parfois même juste huit. » Dans la marina, on croise pourtant des touristes. Ceux-ci sont majoritairement russes. Et pour cause : en 2016, le nombre de visiteurs russes a augmenté de 237 pour cent. Foued Eloued y voit une conséquence des problèmes politico-sécuritaires entre la Russie et la Turquie et l’Égypte, deux pays appréciés des touristes russes.
Mais les compatriotes de Vladimir Poutine ne semblent pas combler le vide laissé par les Allemands et les Britanniques qui représentaient jusque-là 50 à 60 pour cent de l’activité touristique de Sousse. Saïd, chauffeur de taxi, regrette : « Les Russes ne dépensent rien. Ils comptent chaque dinar dépensé. Les Anglais étaient beaucoup plus généreux en pourboires. » Le Royaume-Uni a instauré des restrictions de voyage après l’attentat de Sousse, où 30 de ses ressortissants ont péri. Résultat, seuls 1.500 d’entre eux ont visité la région pendant la première moitié de 2016, soit une baisse de 98 pour cent.
Pourtant, beaucoup a été fait pour améliorer la sécurité. À Sousse, des policiers sont visibles à chaque carrefour. La police touristique patrouille sur les plages. Les hôteliers ont engagé des gardes et installé de nouvelles caméras de surveillance. Des mesures importantes qui n’ont pas eu les effets escomptés sur la fréquentation. Alya Mheni, propriétaire de l’hôtel Hannibal Palace de Port El-Kantaoui, pense que cela ne change pas grand-chose : « Quand vous avez envie de voyager, vous voyagez ! Le terrorisme est de toute façon partout. Nous avons des Anglais qui viennent malgré tout, parce qu’ils connaissent l’établissement. Ils invitent des amis qui voient qu’il n’y a pas de souci. »
Le problème, c’est également l’image qui a été renvoyée de la Tunisie suite aux attaques terroristes. Rezig Oueslati, directeur général de l’Office national du thermalisme et de l’hydrothérapie, évoque ainsi « une campagne que la Tunisie ne mérite pas. Il s’agit de concurrence illégitime. Mon opinion personnelle, c’est que les tour-opérateurs font de la manipulation de masse ». Il est vrai qu’un touriste anglais qui souhaite partir en vacances en Tunisie ne peut plus passer par un voyagiste et que les vols charters entre la Grande-Bretagne et la Tunisie ont tous été suspendus.
L’erreur du tourisme de masse
La sécurité n’est pas l’unique facteur causant la détérioration de l’image de la Tunisie en tant que destination de vacances. Le tourisme de masse, choisi comme principale stratégie dans les années 1970, a également fait des dégâts. « Les hôtels ont été construits sans réflexion. On a triplé, voire quadruplé la capacité d’accueil et on a fait appel à la masse parce qu’on cherchait des bénéfices immédiats », explique Brahim Mââmouri, directeur commercial de l’hôtel Hannibal Palace à Port El-Kantaoui. Résultat, la Tunisie apparaît comme une destination bas de gamme, offrant des séjours tout compris (vol, hôtel et restauration) pour quelques centaines d’euros. Pas rentables pour les établissements. « Certains hôtels sont pleins. Mais à quoi ça sert, s’ils ne peuvent pas payer les employés ? », interroge Brahim Mââmouri qui conclut : « Notre tourisme est cancéreux. Il a besoin d’une opération pour enlever ce qui est sale. »
Mohamed Ali Toumi, président de la Fédération tunisienne des agences de voyages approuve : « Nous avons de belles plages et du soleil toute l’année à deux heures de Paris, c’est très bien. Notre produit balnéaire est excellent, mais il est insuffisant. Il ne faut pas fonctionner avec un monoproduit. Nous avons perdu beaucoup de temps. Il était difficile de changer les choses dans cette période d’après-révolution où tous les problèmes étaient ensemble sur la table. Maintenant, nous avons un gouvernement stable et une assemblée, il faut s’y mettre. Si on veut monter en grade, il faut se diversifier. » Et le responsable de détailler toute la gamme de produits que peut offrir son pays : la route des vins, la culture et l’histoire, le tourisme dans le Sahara, le sport, la santé…
Cette dernière branche semble justement très prometteuse pour la Tunisie. « Nous avons souffert des attentats. Mais le tourisme spécialisé remonte plus rapidement. Au niveau de la santé, il y a une motivation importante des clients qui, une fois qu’ils ont pris leur décision, ne changent plus d’avis », explique Houssem Ben Azouz directeur général de l’agence spécialisée Cosmetica travel et président de la Fédération interprofessionnelle du tourisme tunisien. De plus, la Tunisie offre de beaux atouts aux patients étrangers : « Notre pays a de très bonnes compétences. Nous avons des établissements modernes et confortables, un bon rapport qualité-prix et des médecins formés en France », explique Rezig Oueslati, de l’Office national du thermalisme et de l’hydrothérapie.
Le tourisme santé comme espoir
Cette branche comprend en réalité différents secteurs. Il y a le thermalisme « avec des soins préventifs et curatifs », détaille Rezig Oueslati. « Nous sommes en plein boom. » Près de 98.000 curistes ont visité la Tunisie en 2015, une baisse de 7,5 pour cent par rapport à 2014. Un résultat négatif à relativiser, si on le compare à la chute de plus de 44 pour cent du nombre de nuitées enregistrée par le tourisme tunisien en 2015. Dans ce contexte, les projets de développement sont nombreux. La Tunisie vise une augmentation de 8 pour cent du nombre de curistes chaque année jusqu’en 2020. Un contrat de 350 millions d’euros a été signé avec l’Autriche pour construire un village du thermalisme.
Autre secteur à profiter du filon, les établissements médicaux, comme la clinique privée Pasteur à Tunis, qui accueille plus de 45 pour cent de patients étrangers. « Il y a deux catégories de patients étrangers », explique Mondher Ben Ameur, le directeur médical. « Les Africains (Algériens, Soudanais, Nigériens, Libyens…) qui n’ont pas les structures adéquates dans leur pays. Et les Européens pour la chirurgie esthétique. Parmi ces derniers, le nombre de patients a diminué après les attentats, mais ils reviennent peu à peu. » Karim Yaqoub, chirurgien facial à la clinique Pasteur, reconnaît une baisse de 30 pour cent de ses clients depuis 2010 : « C’est antérieur aux problèmes de sécurité. Pour moi, c’est plutôt la crise économique mondiale qui nous a fait du mal. »
Alexandre Canabal, lui, ouvrira en octobre prochain la première résidence pour personnes âgées, dépendantes ou malades d’Alzheimer au sein d’un hôtel cinq étoiles (équivalent à quatre étoiles en Europe) d’Hammamet. Le lieu sera réservé aux Européens francophones. Pour lui, le succès est garanti : « Il y a un million de malades d’Alzheimer en France. 105.000 cherchent une place. Même si on crée quelques milliers de places par an, on est loin du compte ! » Plein d’ambition, le Français compte ouvrir une résidence par an pendant cinq ans et une tous les deux ans ensuite. Son objectif est clair : le haut de gamme. Avec piscine et repas préparés par un chef. Marié à une Tunisienne, il espère aussi aider son pays d’adoption : « Cette première résidence va employer 400 personnes et c’est une solution aux hôtels qui sont vides. »