MICHAEL WINTERBOTTOM: Des chocs malsains

« The Shock Doctrine » est un documentaire dédié aux idées de l’intellectuelle américaine Naomi Klein et la preuve qu’on n’a pas besoin d’un Michael Moore pour se révolter.

Pas beau à voir : Salvador Allende gisant dans son sang, une des premières victimes de la doctrine de choc.

Certes, Naomi Klein est depuis longtemps une figure de proue de la gauche américaine et altermondialiste. Faire un film sur elle, et que sur elle, devient alors plus qu’un acte militant, à savoir un parti pris dans l’herméneutique de la crise actuelle et de la situation mondiale tout court. Mais Michael Winterbottom relève le défi de façon aussi méthodique que souveraine : il ne fait pas dans la « pipolisation » de la femme intellectuelle, mais suit son raisonnement – presque phrase par phrase – en l’illustrant soit avec des images d’archives, soit avec des interviews de témoins de l’époque.

L’idéologie de la doctrine de choc ne réside pas directement dans les thèses farfelues et dangereuses de la célèbre « école de Chicago » – ou plutôt le département des études économiques de l’université de Chicago, où le prix Nobel Milton Friedman a pondu ses « idées » sur le marché libre – mais dans la psychiatrie. Plus précisément dans des essais de thérapie mêlant électrochocs et privation sensorielle au Canada du débuts des années 1950. L’idée était de choquer tellement les patient-e-s, qu’ils en acceptent de changer d’opinion et d’adapter des idées préconçues pour eux. Ces expériences ont été un échec et les patient-e-s remboursé-e-s, mais cela n’empêcha pas Friedman et ses acolytes de penser la doctrine de choc à un tout autre niveau : celui d’un pays entier.

Le premier à en faire les frais était le Chili. Agacés par l’engouement populaire suite à l’élection de l’homme de gauche Salvador Allende à la présidence et surtout inquiets pour leurs intérêts économiques, les Etats-Unis, par le biais de la CIA et avec l’aval du président Nixon, renversent Allende dans un coup militaire orchestré le 11 septembre 1973. La suite est beaucoup moins connue : les adeptes de l’école de Chicago – les Chicago Boys – se sont rendus au Chili pour conseiller Pinochet dans ses réformes économiques. Les conséquences sont désastreuses, l’inflation augmente au galop tout comme le taux de chômage et le pouvoir d’achat de la population s’évanouit littéralement. Pour masquer cet échec cuisant, le régime de Pinochet recourt à la terreur et à la répression qui coûteront la vie à des dizaines de milliers de personnes. Même une expérience similaire au Brésil ou en Argentine n’a pu faire reculer Milton Friedman de ses convictions. Le premier vrai choc pour lui viendra à la réélection du président Nixon. Celui-ci s’était aussi fait conseiller par les Chicago Boys et les résultats ont été les mêmes : en 1972, la pauvreté était omniprésente aux Etats-Unis et la situation guère encline à une amélioration. Nixon, pas con après tout, fait volte-face et se retourne vers les bonnes vieilles méthodes keynésiennes – que Friedman déteste comme le diable l’eau de messe – et gagne les élections haut la main. Pourtant, ce ne fut pas la fin des idées de Friedman, tout au contraire. L’avènement de Ronald Reagan aux Etats-Unis tout comme celui de Margaret Thatcher au Royaume-Uni étaient autant d’occasions d’essayer d’imposer la dérégulation totale pour faire « évoluer » la civilisation. Avec les résultats qu’on connaît : guerre des Malouines et destruction presque totale de la structure syndicale anglaise, émeutes frôlant la guerre civile. Suivent encore les derniers épisodes – mieux connus du grand public – de l’application de la doctrine : les guerres « contre le terrorisme » et les plans de rigueur imposés à l’Occident depuis le début de la crise de 2008 qui est loin d’être terminée.

« The Shock Doctrine » a le mérite de ne pas être doctrinal justement. Il laisse au spectateur le libre choix de son interprétation des faits, tout en lui livrant des clés de lecture intéressantes pour comprendre ce qui sous-tend la politique financière et économique mondiale. Dans un temps où des soi-disant « experts » nous inondent la cervelle quotidiennement de leurs réflexions souvent contradictoires, voire farfelues, une initiative telle que le film de Winterbottom ne peut être que saluée en tant que clarification nécessaire. A voir absolument avant sa disparition de nos écrans !

A l’Utopia


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