Gus Van Sant
 : Ça roule !


Le film de la maturité ? Pour « Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot », le réalisateur Gus Van Sant ne sursature pas son public avec son langage cinématographique parfois lourd, mais raconte une belle histoire en toute sobriété.

Une amitié qui va ouvrir de nouvelles perspectives à l’ancien pilier de bar : John Callahan et son thérapeute Donnie.

La vie de John Callahan n’a pas été de tout repos : adopté bébé par une famille d’agriculteurs de Portland, dans l’Oregon, rejeté par une mère irlandaise et catholique, il se complaît dans sa misère et dans son alcoolisme, cultivé telle une religion. À l’âge de 21 ans arrive l’accident qui va désormais changer sa vie : au cours d’une virée de bar en bar, il laisse le volant de sa Coccinelle à un pote qui confond un poteau avec une sortie d’autoroute. Quand il se réveille, Callahan est devenu tétraplégique. Au lieu de changer immédiatement de mode de vie, il s’enfonce encore plus dans son autocommisération et – désormais flanqué de Tim, son auxiliaire de vie toujours défoncé – vit dans un appart dégueulasse croulant sous les bouteilles d’alcool. Ce n’est qu’après une épiphanie qu’il commence à chercher de l’aide auprès du gourou-travailleur social Donnie et que sa vie bascule enfin dans le bon sens. Il se découvre un talent de caricaturiste sarcastique et donquichottesque dans sa croisade contre le politiquement correct.

S’il est inhabituel de commencer une critique par le casting du film, il faut pourtant passer par là pour « Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot ». Tout simplement parce que Gus Van Sant nous en met plein la vue avec des acteurs intéressants qui viennent de contextes très différents. À côté de Joaquin Phoenix, excellent dans le rôle principal, on a droit à un Jonah Hill méconnaissable qui sait briller dans un rôle sérieux. Et puis avec Jack Black, qui côtoie le fantasque et atypique Udo Kier dans un film avec deux stars du rock indépendant – Beth Ditto et Kim Gordon (respectivement ex-Gossip et ex-Sonic Youth), on aurait tendance à oublier Rooney Mara dans le rôle de l’infirmière amante de Callahan.

Et ce casting déplace un peu le regard du spectateur de ce qui devrait être au centre du film : l’incroyable talent d’autodérision de John Callahan, qui est passé du statut d’handicapé et de loque alcoolique à celui de dessinateur parmi les plus aimés de sa génération (celle d’avant nous forcément, vu que le film se passe entre les administrations Carter et Reagan, Callahan souffrant aussi des mesures d’austérité mises en place par le cow-boy néolibéral). C’est cette histoire d’un homme qui, au lieu de se laisser submerger par sa haine contre le monde et soi-même, émerge totalement grâce à sa plume qui est au centre de « Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot ».

En ce sens, le film de Van Sant est aussi une œuvre typiquement étasunienne, en ce qu’elle reprend le schéma du rêve américain : l’underdog qui arrive à sortir de la mêlée en passant par une discipline qu’il s’impose lui-même. Une sorte de rêve qui n’est pas encore totalement brisé à l’époque où joue le film. Vers la fin des années 1970 soufflait encore un dernier petit vent de liberté sociétale aux États-Unis et dans le monde occidental, et dans un sens, « Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot » est aussi un hommage à cette période de transition où la quête du bonheur personnel et sociétal a été remplacée par une austérité à crédit qui a aplati l’homme occidental.

En additionnant tout cela, on se rend compte que Gus Van Sant n’a pas abandonné son écriture complexe qui veut rendre compte des multiples facettes de la réalité : au contraire, il a affiné son art de raconter et l’a rendu plus accessible. Et c’est tant mieux.

Au Kinepolis Kirchberg. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XX


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