Politique culturelle : Contre le prestige

Revoir la politique culturelle à travers le spectre du woxx/GréngeSpoun est un vaste projet. Pourtant, la création du Mudam est le spectre idéal à travers lequel l’évolution de notre petit hebdomadaire devient lisible.

Même presque trente ans après sa création, les batailles internes et externes autour du Mudam sont loin d’être finies (Photo : Wim Delvoye/Mudam)

Dans un article écrit pour un symposium, l’ex-directeur du Mudam Enrico Lunghi écrivait que « son » musée était le « symptôme de changements structurels dans la société luxembourgeoise ». Ce qui est certes un peu subjectif, mais pas forcément faux. La création du Musée d’art moderne grand-duc Jean a en effet été accompagnée de tellement de scandales et de polémiques qu’elle illustre le passage d’un pays d’abord rural, puis industriel à une place financière internationale – avec tous ses rebondissements, ses argumentaires petits-bourgeois et une opposition féroce, laquelle venait entre autres du fraîchement fondé journal des Verts alternatifs.

Une autre raison pour laquelle le Mudam est une bonne illustration de l’évolution du woxx est le parallélisme temporel. C’est en 1989 que le gouvernement d’union entre conservateurs et socialistes Santer-Poos décide de créer un centre d’art contemporain, une année donc après la fondation du GréngeSpoun. Si au début de ce projet, le journal « pas comme les autres » n’écrit que relativement peu à son sujet, les choses vont changer avec l’apparition de l’architecte I. M. Pei – connu à l’époque pour sa pyramide du Louvre. Quand en 1991, la première maquette est présentée, le rejet public ne se fait pas attendre et les journalistes du GréngeSpoun rejoignent le chœur des opposant-e-s.

Vu que la séparation entre politique active et journalisme critique était encore loin d’être une réalité dans l’équipe de l’époque, il n’est guère surprenant qu’à côté d’articles condamnant le palais démesuré proposé par Pei, des actions plus concrètes voient le jour.

Du côté des articles, le ton reste le même, et c’est assez souvent le journaliste et auteur Rosch Krieps qui s’attaque au gouvernement et essaie de semer la zizanie entre conservateurs et socialistes (qui craignaient effectivement l’ire de leur base devant les dimensions gigantesques que prenait le projet à cette époque). Par exemple début 1992, quand il pose la question pas si innocente d’une « Graben-Krieg in Sachen Pei ? ». Il y accuse notamment les socialistes de vouloir gagner du temps et de faire taire la polémique, alors qu’en même temps, plus de 10.000 citoyen-ne-s ont signé une pétition contre le « Pei-Palast ». Mais l’ancien rédacteur du Lëtzebuerger Land n’est pas le seul à s’attaquEr à la mégalomanie de la première mouture du Mudam. Ainsi, un édito de mi-1992 table sur la résistance populaire contre le projet, qui serait nécessaire pour maintenir la pression sur le LSAP, sans laquelle celui-ci irait vite se coucher devant le CSV.

Dualité dans l’approche

Intéressante aussi, la dualité qui transparaît dans les articles sur – voire contre – le Mudam. Ainsi, dans tous les articles que nous avons pu lire dans les archives, aucun ne met en cause le fait que le Luxembourg avait besoin d’un musée d’art contemporain – la critique se fait contre le « Protz-Projekt ».

Un son de cloche qu’on retrouve aussi dans une brochure politique des Verts publiée en supplément du GréngeSpoun, datant de février 1992. Sous une photo le montrant avec une moustache qui fait plutôt penser à un acteur porno, voire à Obélix, François Bausch, encore loin d’être ministre des Infrastructures et du Développement durable avec vue imprenable sur le Mudam depuis ses bureaux, laisse courir ses pensées autour de l’année culturelle 1995. Il y attaque notamment le caractère antidémocratique de la décision de bâtir ce musée et aussi son coût (sept milliards de francs luxembourgeois). Pour le François Bausch de l’époque, il est évident que la culture doit être là pour toutes et tous et que la place financière a été construite « auf Kosten unseres architektonischen Patrimoniums ».

C’est surtout l’idée de la culture pour toutes et tous qui est intéressante dans ce contexte. Car en parallèle se déroulait une autre bataille, qui remplissait régulièrement les colonnes du GréngeSpoun : celle de la Kulturfabrik, qui n’était encore qu’un squat à l’époque, avant d’être institutionnalisée en 1998. Mais ça, c’est une autre histoire.

L’approche plus militante se traduit par des initiatives comme « D’Fanger ewech vun den 3 Eechelen » et « Stoppt de Bagger » – dont les communiqués sont tous publiés dans le journal des Verts alternatifs et dont la critique est toujours vue comme pertinente par les journalistes Renée Wagener et Richard Graf, même vingt ans après, comme ils l’ont répété dans une interview datant de mars 2008.

Après ces premières batailles et le succès relatif de l’année culturelle 1995, le ton devient bien moins virulent dans l’hebdomadaire, qui change de nom fin 2000 pour devenir le woxx. Cela pour plusieurs raisons : d’un côté le projet redimensionné qui n’intègre plus les restes de la forteresse Thüngen (qui abrite maintenant le musée Dräi Eechelen), de l’autre l’arrivée progressive de l’art contemporain dans le quotidien des Luxembourgeois-e-s – par exemple par le biais de la création du Casino – Forum d’art contemporain.

Certes, notre canard a toujours accompagné les nombreuses polémiques entourant la construction du musée (et les fameuses pierres Magny Doré). Par exemple fin août 2003, quand Richard Graf a critiqué vivement les déboires et les hypocrisies accompagnant la construction du Mudam – dénonçant au passage la stupidité petite-bourgeoise (« Schildbürger hätten es nicht besser hinbekommen »). L’article est aussi remarquable dans le sens où il passe en revue les batailles qui ont précédé. Un signe que le Kulturkampf entre pro-Mudam et anti-Mudam semble s’être du moins tassé.

Fin du Kulturkampf

Cela aussi probablement parce que le monstre « Pei-Musée » a un visage depuis l’année 2000 en la personne – extravagante – de sa directrice Marie-Claude Beaud. Pourtant, il faudra attendre mai 2006 avant que le woxx n’aille l’interviewer – ce qui n’empêche pas que cet entretien laisse déjà présager les relations difficiles que la directrice entretiendra avec la société luxembourgeoise, comme le laisse présumer la petite phrase : « Comme le disait un ami luxembourgeois : ‘En proportion, il y a moins de cons (au Luxembourg ndlr), mais vous les rencontrez plus souvent.’ C’est vrai qu’il y a toujours la même proportion de gens plus ou moins partout qui ne veulent pas comprendre. »

Une relation donc plus réaliste s’est tissée entre le woxx et le Mudam, qui a continué les années suivantes, même après le départ de Marie-Claude Beaud et l’’assassinat médiatico-politique d’’Enrico Lunghi sous la première mouture de la coalition bleu-rouge-vert. Des événements que nous avons suivis de près, tout comme la tentative de se débarrasser du curateur Clément Minighetti que le woxx a révélé en début de cette année.

Par conséquent, le woxx est toujours resté critique par rapport au Mudam, sans pour autant se positionner en ennemi de l’art contemporain. Tout au contraire : nous avons toujours fustigé le facteur bling-bling qui se cachait et se cache toujours derrière ce projet devenu institution – et nous le ferons encore à l’avenir, c’est promis !


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