Alors que le modèle actuel de construction européenne connaî t une de ses plus grandes ratées, le Luxembourg politique et social parfait sa mutation.
Nous vivons tout de même une drôle d’époque. En pleine présidence luxembourgeoise – même si elle touche à sa fin – les deux principaux partis de l’opposition violent le sacro-saint cessez-le-feu et tirent à boulets rouges sur le gouvernement. Cette attitude est d’autant plus étonnante que ni les libéraux, ni les Verts n’avaient mis en doute cette logique d’union nationale. Actuellement, la nervosité du DP est palpable, et elle ne l’est pas sans raison.
Présidé par un jeune cadre aussi glissant qu’une anguille, ce vieux parti de notables se braque à droite et va jusqu’à qualifier son ancien allié, avec lequel il a pourtant collaboré sous la dernière législature, de „force d’occupation“… Déchiré dans la capitale, le DP voit, dans les derniers sondages publiés par un grand quotidien, son électorat fondre comme neige au soleil au profit des Verts, décidément très tendance auprès des jeunes urbains aisés et cosmopolites.
A la pointe de la communication politique, les Verts ont désormais toutes les raisons de passer à l’offensive. Dans l’antichambre du paradis politique, ils peuvent se payer le luxe de qualifier l’actuel exécutif de „gouvernement de transition“ et de se voir adoubé quelques jours plus tard par le CSV au rang de partenaire privilégié. Le LSAP, qui gouverne sans conviction, a dû apprécier.
„Transition“ est certainement le mot juste pour qualifier l’actuelle carte politique nationale. Il faut toutefois relever qu’elle se déroule dans un contexte de crise sociale, politique et économique. Au Luxembourg comme en Europe.
L’irruption sur la scène politique d’un parti supplémentaire candidat au gouvernement se fait au moment où apparaissent des incertitudes sociales inédites dans leur ampleur depuis trois décennies. Le chômage, phénomène encore mineur il y a une quinzaine d’années, est désormais un problème réel et l’augmentation de son taux ne permettra plus longtemps au Grand-Duché de figurer en dernière position européenne. Un autre souci matériel de taille s’ajoute à la nouvelle précarité du marché du travail: devant l’inactivité des gouvernements précédents et actuel, le logement est devenu un luxe de plus en plus inabordable pour les salaires modestes.
François Bausch voit la crise sociale s’annoncer pour la rentrée politique. Lors d’une conférence de presse, il accuse le gouvernement de laisser pourrir le dossier des retraites, risquant ainsi de laisser le patronat s’en emparer. Faute de proposition gouvernementale, ce dernier fera pression en direction d’une privatisation. Et de dénoncer les baisses d’impôts sur les bénéfices des sociétés. Thèse centrale: la baisse d’impôt ne fait qu’engager le Luxembourg dans une course au dumping qu’il ne peut gagner. Les établissements d’entreprises se font attendre et les recettes ne sont pas au rendez-vous. Résultat: l’Etat se verra à terme dans l’impossibilité d’assurer le financement public des services sociaux.
Encore taboue à la sortie de la guerre froide, la critique ouverte du libéralisme économique est enfin permise. Même le CSV ne s’y trompe pas: Michel Wolter, le président du groupe parlementaire, a souligné mercredi devant la presse son attachement au caractère publique des systèmes sociaux. Les états-majors des partis de pouvoir commencent donc à prendre acte du refus populaire croissant d’un système économique établi.
Finalement, la contagion du non en Europe a déclenché un imbroglio politico-diplomatique qui ne fait que révéler les erreurs historiques de la construction européenne. Nus comme des vers, les rois et reines de l’Europe payent le prix de leur mépris de la démocratie et d’une politique qu’ils disaient sans alternative. Ce discours ne prend plus. Une alternative est souhaitée, mais nul ne semble savoir laquelle exactement. C’est le propre d’une phase de transition.