Il est juste de critiquer le régime iranien et ses ambitions nucléaires. Mais la manière dont la communauté internationale gère le problème de la prolifération est tout aussi critiquable.
Le gouvernement iranien vient de faire enlever les scellés de l’usine nucléaire d’Ispahan. La production d’hexafluorure d’uranium, nécessaire à l’élaboration d’uranium enrichi, peut redémarrer. Certains pays, les Etats-Unis en tête, souhaitent empêcher cela: avec de l’uranium enrichi, on peut fabriquer des bombes atomiques. Mais on l’utilise aussi comme combustible dans les centrales nucléaires. Le gouvernement iranien insiste bien entendu sur son droit de développer la production d’énergie nucléaire „à des fins pacifiques“, comme n’importe quel autre pays.
Difficile d’adopter une attitude cohérente quand d’un côté, on est attaché à l’égalité des droits entre nations, et à l’émancipation des pays du Sud, mais que de l’autre, on n’éprouve aucune sympathie ni pour le régime iranien, ni pour le nucléaire, fût-il „civil“. Il serait absurde de dénoncer les dangers de l’énergie nucléaire et de réclamer le démantèlement des armes atomiques en Occident, et de militer pour que l’Iran puisse avoir ses propres centrales, voire ses propres bombes. Néanmoins l’idée qu’un petit groupe de pays aurait droit au nucléaire civil et militaire, d’autres au civil seulement, et certains pays „à risque“ à rien du tout, est également inacceptable.
Notons d’abord que l’Iran a une raison très plausible de vouloir procéder lui-même à l’enrichissement d’uranium: le pays dispose de réserves de cette matière première et souhaite légitimement les mettre en valeur lui-même. Les déclarations américaines insistant sur l’importance d’empêcher l’Iran de développer des armes atomiques sont facilement contrées par Téhéran: les Etats-Unis n’ont pas de leçons à donner, étant le seul pays à avoir réellement utilisé la terrible arme nucléaire, il y a 60 ans presque jour pour jour.
Certes, le régime iranien jouit d’une réputation douteuse, surtout depuis l’élection récente d’un conservateur religieux comme président de la République islamique. Néanmoins, malgré ses dérapages verbaux, le régime a prouvé durant ses 25 ans d’existence qu’il sait s’insérer dans le jeu diplomatique international. Les grandes puissances ne donnent d’ailleurs pas l’exemple en matière de rationalité: à plusieurs reprises, des frappes militaires ont été ordonnées par les Clinton, Yeltsine, Bush et Poutine pour des raisons de politique intérieure plutôt qu’en vertu d’une politique étrangère cohérente. Le danger émanant de l’uranium enrichi iranien est donc très relatif.
Ce n’est pas une raison de plaider pour un droit à l’enrichissement d’uranium, voire un droit à la bombe pour tous les pays au monde. Mais il convient de s’insurger contre le deux poids, deux mesures appliqué au détriment de l’Iran en matière d’industrie nucléaire. Et contre des mesures disproportionnées à son égard, pouvant aller jusqu’à l’invasion militaire comme dans le cas de l’Irak. Surtout, le débat autour de l’Iran est l’occasion de rappeler la manière dont les grandes puissances nucléaires traitent la question de l’armement atomique.
Alors que l’Iran est soumis à d’intenses pressions pour qu’il se plie au traité de non-prolifération nucléaire (TNP), la communauté internationale prend des gants avec la Corée du Nord, qui s’est dégagée du traité. Quant aux trois puissances nucléaires qui n’ont jamais signé le traité, l’Inde, Israël et le Pakistan, leur programmes nucléaires ne sont même pas contestés. Or le TNP, en vigueur depuis 1970, s’est donné comme objectif de limiter l’arme atomique aux cinq Etats nucléaires historiques. En échange, les autres pays ont reçu l’accès au nucléaire civil, ainsi que la promesse d’un désarmement nucléaire progressif.
Ce dernier engagement, réaffirmé en 2000, serait sans doute le meilleur argument à opposer aux régimes désireux d’acquérir la bombe. Malheureusement, lors de la conférence de révision du TNP en mai de cette année, la France et les Etats-Unis ont bloqué toute avancée dans ce domaine. Difficile de critiquer des pays qui développent leur armement nucléaire, alors que ceux qui détiennent ce même armement ne font rien pour le réduire. Ainsi, plutôt que de se prononcer pour ou contre l’enrichissement d’uranium en Iran, il convient de réclamer un plan pour le contrôle et le démantèlement progressif des arsenaux nucléaires.