MARJANE SATRAPI: Mollahs barbants

Après sa publication en bande dessinée, l’histoire vécue de Marjane Satrapi est adaptée au cinéma, sous forme de dessin animé: un regard plein d’intelligence et d’humour.

Très jeune déjà, Marjane se fait réprimander à cause de son goût pour la „décadence occidentale“

Bandeau blanc serrant sa tête, le poing levé et lançant des slogans contre le chah. C’est une des premières scènes représentant Marjane Satrapi, dans „Persépolis“, le dessin animé tiré de la bande dessinée éponyme. Nous sommes en 1978 à Téhéran, capitale iranienne, et Marjane participe, depuis le salon familial, à une grande manifestation contre le chah qui défile à travers les rues de la ville. Ses parents lui intiment alors l’ordre d’aller se coucher. Non pas qu’ils soutiennent le régime. Au contraire, ces libéraux éclairés se réjouissent de la chute imminente de la dictature pro-américaine. Mais Marjane n’est alors qu’une petite fille de neuf ans, et à cet âge, on se couche tôt, même pendant les évènements historiques.

„Persépolis“, co-réalisé par Marjane Satrapi et le dessinateur de bédés Vincent Paronnaud, alias Winshluss, retrace la vie de l’auteure jusqu’à son départ définitif de la République islamique iranienne pour la France. Déjà, la sortie des quatre albums de 2000 à 2003 avait créé une sensation et valu à Satrapi une renommée internationale certainement méritée. La version cinématographique a confirmé la performance en obtenant notamment le prix du jury du dernier festival de Cannes.

C’est que „Persépolis“ est une ´uvre d’une remarquable habileté. Par sa manière notamment de lier un récit personnel et vécu assez romanesque à la „grande histoire“. Le dessin animé passe ainsi en revue la fin du régime impérial et prend en compte les diverses factions politiques qui lui étaient opposées (avec les espoirs, vite déçus, de l’extrême-gauche). Puis viennent l’instauration du régime théocratique, la guerre contre l’Irak, jusqu’à la banalisation du pouvoir clérical dans les années 90. Le film offre, en une heure et demie, un aperçu global de l’évolution de l’Iran de ces trente dernières années, sans pour autant assommer le public de faits, ni l’abrutir par trop de simplifications.

Il faut dire que l’environnement familial de Satrapi lui offre une toile de fond très utile: sa famille, en commençant par ses parents et sa grand-mère, est empreinte d’humanisme libéral, tandis qu’un oncle et certains amis des parents sont franchement marxistes. Ces derniers ont connu les geôles et les tortures des régimes successifs.

Libéré du joug du chah, l’Iran subit bientôt celui des mollahs, ce qui frappe de façon doublement sévère les femmes, surtout celles qui, comme la jeune adolescente Marjane, n’entendent pas se laisser baillonner, à défaut de ne pouvoir refuser le foulard symbole de l’oppression sexuelle. Si ses parents préfèrent rester en Iran, ils ne peuvent par contre pas supporter que l’indépendance d’esprit de leur fille pâtisse de la domination des barbus.

Ainsi commence le premier exil de Marjane vers l’Europe, où elle poursuit sa scolarité secondaire au lycée français de Vienne en Autriche. En pleine puberté, la petite „extraterrestre“ iranienne découvre un monde nouveau à travers une bande d’ami-e-s anarchisant-e-s. C’est également dans la capitale autrichienne qu’elle fait ses premières expériences avec le genre masculin – hors mariage évidemment -, chose impossible dans son Iran natal. Mais après quelques péripéties malheureuses en Europe, elle retourne chez ses parents à Téhéran pour y entamer des études en arts plastiques, en s’exerçant à peindre des femmes voilées de la tête aux pieds, comme elle. L’amour aussi, elle le rencontre, mais ce n’est qu’après un mariage qu’il peut être vécu en public. Celui-ci ne sera toutefois que de courte durée et cette dernière expérience lui fait définitivement quitter l’Iran.

„Persépolis“ est une ´uvre toute en nuances. L’Iran des mollahs n’y est certes pas épargné, mais Satrapi donne une image juste d’une société complexe, prise entre modernité et archaï sme religieux et surtout loin des clichés orientalistes. C’est sûr, une telle oeuvre ne fait pas le lit du „choc des cultures“. De toute façon, comme elle l’a dit elle-même dans une récente interview parue dans les „Inrockuptibles“: „Le vrai choc des cultures, il se situe entre les cons et les pas cons“. Et l’Iran est loin d’être le seul pays où ces premiers sont au pouvoir.

À la Cinémathèque.

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