RÉSULTATS ÉLECTORAUX: Blanche-Neige et les sept nains

Alors que débutent les négociations en vue d’une coalition noire-rose, l’analyse des résultats du scrutin montre une chose étonnante : la continuité de l’évolution du paysage électoral nous a amenés au bord d’une rupture.

Quoi de mieux pour l’audimat qu’un premier ministre en rage ? Jean-Claude Juncker en direct lors de la soirée électorale.

« J’ai tout lu ce qui s’est écrit ces derniers mois (…) je garde tout en tête. Si c’était avec Monsieur Alvin Sold qu’il faudrait former une coalition, je ne le ferais pas. » Décidément, pour un chef de parti qui vient de remporter un triomphe, Jean-Claude Juncker est de bien mauvaise humeur, lors du grand débat de la soirée électorale. Tout en affirmant le contraire, il s’attache à humilier ses adversaires politiques, en particulier le rédacteur en chef du Tageblatt, proche du LSAP : « Il nous a traités comme si nous étions des laquais du grand capital, et a accusé le parti socialiste de nous soutenir. (…) il s’est en fait retourné contre les socialistes. Il ne doit pas être fier de lui ce soir. » Juncker a-t-il mal digéré les récentes attaques contre son parti – et les moins récentes, dans le contexte de la loi sur l’euthanasie, puisqu’il évoque la « fraternisation anti-CSV au parlement » ? Ou bien serait-il vorace à tel point que les 26 mandats ne lui suffisent pas et qu’il a besoin d’enfoncer encore les perdants ?

Ces élections 2009, si elles ne semblent entraîner aucun changement politique important, sont tout de même remarquables à plus d’un titre. Le CSV ne remporte pas une victoire, mais un triomphe, et il faut remonter le temps jusqu’en 1954 pour retrouver un score chrétien-social de 26 députés. Il est vrai qu’à l’époque, cela représentait carrément la moitié des sièges à la Chambre. D’un autre côté, le nombre réduit de partis établis en 1954 – ni Verts, ni ADR – facilitait un tel exploit. En 2009, c’est plutôt le climat d’insécurité économique qui a favorisé le grand parti populaire, comme l’a si bien formulé Gast Gibéryen, leader du ADR : « En temps de crise, les poussins se serrent autour de la mère poule. »

Pertes historiques

Du côté des perdants, les choses sont moins nettes. Les résultats extrapolés en début de soirée, avec un DP perdant deux sièges et un LSAP stable ont conduit les commentateurs à sous-estimer les pertes socialistes. Pourtant, sur base des résultats finals, le LSAP a perdu bien plus de points de pour cent que le DP : 1,81 contre 1,07. Quant à l’ADR, avec moins 1,82 points, il n’a guère cédé plus que les socialistes, et a souffert sans doute de la candidature de son ex-député Aly Jaerling, qui a recueilli 0,81 pour cent des voix.

Les scores des trois perdants peuvent être qualifiés d’historiques. L’ADR n’a pas fait aussi mauvais depuis le premier scrutin auquel il a participé, en 1989. Pour les libéraux, il faut remonter à 1964, quand le parti, refondé en 1955, était tombé à 10,6 pour cent – avant de connaître son âge d’or dans les années 70. Enfin, le LSAP, après un premier score plancher de 22,3 pour cent en 1999, a atteint son niveau le plus bas d’après-guerre avec 21,6 pour cent. Notons que les socialistes avaient établi une quasi-parité avec le CSV durant les années 50 et 60 – et qu’en 1984 encore, ils arrivaient à faire moitié mieux qu’aujourd’hui.

« Nous avons l’habitude des petits creux. » Jean Asselborn s’est voulu rassurant lors de la soirée électorale. Or c’est plutôt un abîme qui s’ouvre sous les pieds des socialistes. Même si leur statut de deuxième parti du pays n’est pas mis en question, et qu’ils restent au gouvernement, ils devraient s’inquiéter. Une partie de leurs pertes vont à Déi Lénk et au KPL, plus attractifs pour une partie de l’électorat de gauche. Ces deux partis sont d’ailleurs les véritables vainqueurs du scrutin de dimanche dernier – ensemble ils gagnent plus de points de pourcentage que le CSV. Et quand on considère les résultats relatifs, le retour de la gauche radicale est encore plus spectaculaire. Alors que les chrétiens-sociaux gagnent un vingtième du nombre de voix de 2004 en plus, les communistes gagnent plus de la moitié, et la Lénk les trois quarts. Il est vrai que les scores actuels de cette gauche contestataire restent en-dessous de cinq pour cent, alors qu’entre 1954 et 1974, le parti communiste atteignait le double voire le triple.

En termes d’équilibre droite-gauche, le rapport de force a bougé de moins d’un point. Pour les décennies passées, on constate une remarquable stabilité avec une gauche frôlant les 40 pour cent des voix, le reste allant à une droite au sens large autour du DP et du CSV. Cela ressemble à un système de vases communicants, dans lequel le LSAP pâtit actuellement des succès vert et rouge foncé, alors que les chrétiens-sociaux profitent de l’effritement du centre et du bord droit de l’échiquier politique. Cependant, le renforcement du CSV aux dépens du DP a aujourd’hui une autre signification qu’il y a trente ans. A l’époque, on aurait pu parler de virage à droite, mais en 2009, les libéraux sont moins progressistes que leurs prédécesseurs, et les chrétiens-sociaux moins conservateurs. D’un parti fondant sa domination sur le catholicisme populaire, le CSV est devenu une machine à intégrer des élites et des électorats aux orientations libérales et sociales. D’un côté, les positions libérales de Nancy Kemp-Arendt en matière d’euthanasie ont permis à la députée et à son parti de gagner des voix au centre, de l’autre, un personnage comme Luc Frieden continue à offrir aux électorats les plus conservateurs une alternative par rapport au vote ADR.

Le renforcement du CSV conduit également à ce que, pour la première fois, celui-ci a véritablement le choix entre trois partenaires de coalition. Une coalition noir-verte disposerait d’une majorité « arithmétiquement raisonnable » de 33 sièges. Cependant, les Verts n’ont pas remporté de gains significatifs, et Juncker – malgré son aversion pour Monsieur Sold – semble préférer reconduire la coalition sortante. Celle-ci se retrouvera sous la double pression des deux autres « non perdants » du scrutin : les Verts en matière écologique, et les « Lénk » en matière sociale.

Reconduire une coalition sortante est une chose, recomposer une équipe gouvernementale sortante en est une autre. Deux ministres, dont l’action a pu déplaire aux commentateurs et commentatrices politiques, semblent avoir plu aux électeurs et électrices : Jean-Marie Halsdorf et Jean Asselborn, ce dernier faisant un tabac en voix personnelles malgré l’affaiblissement de son parti. Notons que les 1.807 voix supplémentaires recueillies par Halsdorf ne sont pas directement dues au succès de son parti, puisque celui-ci a en même temps perdu des suffrages de liste.

Gouvernement de la simplicité arithmétique

Aux antipodes de ce duo de ministres confortés par le scrutin, on trouve Fernand Boden et Lucien Lux. Là encore, les résultats sont sans appel : Boden perd plus de 2.071 voix, alors que son parti se renforce dans sa circonscription, tandis que les 9.754 voix perdues par Lux sont bien plus importantes que la perte de 3.647 bulletins au niveau des suffrages de liste du LSAP. Lux a démenti les rumeurs le donnant directeur des CFL, mais ne sera pas reconduit comme ministre, pas plus que Boden. Si la succession du chrétien-social avait été préparée par la mise sur orbite d’Octavie Modert en 2004, le socialiste partira sans successeur désigné. Le député Marco Schank, connu pour son engagement environnemental a fait un excellent score dans le Nord. Peut-être deviendra-t-il le premier ministre CSV pour ce ressort.

Au-delà du passage annoncé de Luc Frieden aux Finances, et de son remplacement éventuel à la Justice par Jean-Louis Schiltz, il est difficile de spéculer sur l’identité des futur-e-s occupant-e-s des fauteuils ministériels. Côté CSV, on peut même s’attendre à voir apparaître deux nouvelles têtes, l’une en remplacement de Boden et l’autre à travers un renforcement du CSV au sein de l’équipe gouvernementale. Constituée de neuf chrétiens-sociaux et de six socialistes, si elle restait de taille inchangée, le nombre de fauteuils roses pourrait y passer à cinq. Ce qui simplifierait les discussions sur les nominations au sein du LSAP, les membres du gouvernement sortant, Lux mis à part, n’ayant pas été désavoués par le scrutin.

A contrario, le maintien des six postes socialistes se payerait par des concessions supplémentaires de la part du LSAP au niveau des contenus – on peut s’attendre à un remake des négociations de 2004, en pire. De toute façon, les socialistes sont très affaiblis face à un CSV surpuissant, et cela se retrouvera au niveau des contenus de la politique gouvernementale. Après le « gouvernement de la raison arithmétique », on passera au « gouvernement de la simplicité arithmétique » : les noirs pèsent deux fois plus lourd que les roses. Evidemment, les socialistes pourraient être tentés de tirer les leçons du passé, en affirmant leurs différences avec leur partenaire et en le faisant savoir sur la place publique. La seule fois qu’ils l’ont fait, sur l’euthanasie, cela leur a réussi. Mais Juncker veillera au grain. D’ailleurs, sa tirade lors de la soirée électorale était peut-être exactement cela : un coup de semonce contre toute velléité de révolte chez les socialistes.


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