SAM RAIMI: Un pur enfer

« Drag Me to Hell » est vraiment un film à chier ? dans son froc. Le retour du film d’horreur subtil et bien ficelé devrait réjouir plus d’un-e fan de l’angoisse.

Vous réfléchirez deux fois avant de refuser une rallonge de paiement à une cliente …

On n’humilie pas quelqu’un qui vous supplie. Quand vous ne pouvez pas accorder ce qu’on vous demande, surtout n’humiliez pas les quémandeurs. C’est pourtant ce que fait Christine Brown, une jeune et belle employée de banque qui s’occupe des prêts et des hypothèques, lorsqu’elle refuse une rallonge de paiement à une vieille femme qui vient de se faire confisquer ses biens. Et c’est sa décision, notez bien, sa décision – car elle aurait aussi bien pu arranger les choses pour la gitane, qui se met à genoux devant son bureau. Mais tout ce que voit Christine, c’est le bureau d’en face. Un bureau vide, un poste à pourvoir donc, qu’elle voudrait bien avoir. Qui ne rêve pas de gravir un petit échelon dans la hiérarchie sociale ? Surtout que la concurrence est rude pour ce poste d’assistant-manager. Et si le chef veut surtout qu’on prenne des décisions fermes, rien de mieux que de se défouler sur ceux qui ne peuvent pas se défendre. C’est la vie, c’est le système et le monde dans lequel on vit, croit savoir Christine. Eh bien, elle s’est trompée.

La gitane sait se défendre et elle a plus d’un tour dans son sac. Pour se venger de l’humiliation de Christine, elle lui jette un sort. Elle invoque le Lamia, un démon qui torture ses victimes pendant trois jours, pour finalement les emmener en enfer où il mange leurs âmes. Et rien, ni personne ne peut l’en empêcher.

« Drag Me to Hell » est enfin un film d’horreur bien fait, une oeuvre subtile qui ne fait pas dans le manichéisme usuel des autres représentants de ce genre, qu’on croyait mort ou du moins en manque de souffle. Ni Christine, ni Sylvia Ganush, la gitane, sont des personnages bons ou mauvais. Si la jeune femme blonde est essentiellement la victime, le film ne manque pas de rappeler à tout instant que c’est de sa faute à elle qu’elle subit ces tortures. Tortures qui se manifestent sous la forme d’hallucinations qui viennent la hanter – et avec elle le spectateur – à n’importe quel moment de la journée, même en pleine lumière. Petit à petit, Christine se décompose, non pas corporellement mais personnellement. La gentille fille, un peu complexée par ses origines pauvres et son passé à la campagne, qui aime son bourgeois de petit ami, va franchir toutes les barrières, pour tenter de sauver son âme. Et elle ne recule devant rien.

Sam Raimi filme l’horreur de façon doublement efficace. D’abord par les effets spéciaux qui, s’ils n’innovent pas dans le genre du dégueulasse, sont surtout suraccentués et rappellent de temps en temps des manèges de Disneyland, juste en beaucoup plus glauque. Et puis, le réalisateur joue avec les nerfs du spectateur en l’aliénant de l’horreur avec des intermèdes comiques, juste pour mieux le replonger dans l’enfer que traverse Christine. Finalement, comble de l’horreur qu’on ne réalise qu’après avoir quitté la salle, et qui démontre à quel point « Drag Me to Hell » est bien ficelé : le film est réaliste, car plausible. En effet, c’est Christine seule qui voit le démon, même si elle se trouve au milieu d’autres personnes, et donc tout aurait aussi bien pu se passer exclusivement dans sa tête. Doubler l’horreur d’une couche de réalité et de probabilité est un exercice difficile et Raimi rejoint ici les maîtres du film d’épouvante en provenance d’Asie, comme l’excellent « Deux Soeurs » du Coréen Kim Jee-Won. Pourtant, là où Jee-Won peint avec des petites touches pour faire monter la peur dans l’insupportable, son confrère américain sort les gros moyens.

Et encore une chose formidable à propos de ce film: le contexte de la crise, les milliers d’américains qui perdent leurs maisons et qui sont obligés d’aller supplier leurs banquiers, tout comme la vieille gitane, sont une réalité. Espérons juste pour les employé-e-s qui doivent donner les mauvaises nouvelles, qu’ils ne tombent pas sur quelqu’un comme Sylvia Ganush.

 


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