Face à une extrême droite qui n’a pas reculé et un modèle libéral qui n’est pas majoritaire, un autre choix est possible.
18 pour cent de vote Le Pen au deuxième tour est-ce mieux où est-ce pire que 18 pour cent au premier? Il est difficile d’interpréter le vote des Français-es du dimanche dernier parce qu’il n’y avait pas de véritable choix. On peut cependant conclure que le score du „super-menteur“ est dû dans une large mesure à la mobilisation qui a eu lieu à gauche. Car Le Pen n’a pas fléchi: finalement 5,5 millions de Français-es auront porté leur choix sur le candidat de l’extrême droite – c’est un peu mieux que le cumul des voix Le Pen – Mégret au premier tour et c’est pratiquement autant que ce que le candidat Chirac avait pu comptabiliser il y a presque trois semaines.
Une conclusion à tirer: Le Pen avait mobilisé ses troupes au maximum lors du premier tour, alors que la gauche s’est une fois de plus réveillée trop tard. Si la baisse de l’abstention passive (le fait de ne pas aller voter) de 28,4 à 19, 9 pour cent doit être mise sur le compte de la formidable mobilisation qui a eu lieu entre les deux tours, il faut reconnaî tre que le vote blanc – nous dirions l’abstention active – est passé de 3,3 à 5,4 pour cent. 1,5 millions d’électeurs et d’électrices se présentaient donc aux urnes sans vouloir se décider „entre l’escroc et le facho“.
Il reste qu’unE FrançaisE sur six en âge de voter n’hésite pas à porter son choix sur un candidat qui est à droite des extrêmes droites européennes. S’il n’y avait pas de vrai danger que Le Pen puisse passer en tête lors du deuxième tour, la façon dont les élections se sont passées va quand même largement influencer sur le cours des choses. Chirac n’a finalement pas nommé Sarkozy comme premier ministre et a mis en place une „équipe de travail“ marquée par une certaine ouverture sur la société civile. La méthode n’est pas nouvelle, Mitterrand y avait déjà eu recours en 1988 lorsqu’il avait prôné un „gouvernement d’ouverture“ … et gagné les élections législatives subséquentes. Sur 27 membres du gouvernement, 21 sont des nouveaux venus. Autrement dit: La plupart des chefs de file de la droite restent sur le banc de touche en attendant les législatives de juin. On sait déjà maintenant qu’un grand nombre des ministres et secrétaires d’Etat fraî chement nommé-e-s se feront remercier chaleureusement dans quelque cinq semaines, même si la droite devait remporter les élections.
C’est donc plutôt dans les actes que la nouvelle politique chiraquienne se fera reconnaî tre. Et le risque est grand que, faute de temps, on verra surtout des actions du type coup de poing. Si les charters remplis de clandestins à la Pasqua ne sont plus de mise, le fait de créer un grand ministère de l’Intérieur et de la Sécurité annonce la couleur: en prônant la tolérance zéro on va se mettre à combattre les symptômes de l’insécurité plutôt que d’éradiquer les clivages sociaux qui en sont à l’origine. Le danger d’une telle politique est connu: à chaque action Le Pen pourra se frotter les mains et prétendre que c’est lui qui est à l’origine de cette „nouvelle politique“. Le refrain est archi-connu: mieux vaut alors choisir l’original que la copie …
Autre champ de bataille de la droite: la baisse des impôts. Alors que les Etats manquent de plus en plus de moyens pour mettre en place des politiques qui dépassent la gestion quotidienne des affaires, on se jette dans la course effrénée à une soi-disant compétitivité. Annoncer des baisses d’impôts, c’est prometteur d’un point de vue électoral, surtout si on n’a pas besoin de présenter en même temps les coupes budgétaires qui s’ensuivent. Si en plus on préfère investir dans le sécuritaire plutôt que dans la prévention, il n’est pas difficile d’imaginer quels seront les secteurs qui auront à payer les frais d’une telle politique. Malheureusement même la gauche avait participé au jeu du moins d’Etat, moins d’impôts …
La gauche saura-t-elle renverser la barre? Une majorité de Français-es est opposée au modèle libéral qui a eu cours ces derniers temps. Encore faudra-t-il lui proposer une alternative lors des échéances électorales. S’il y a un enseignement à tirer de l’énorme gâchis que furent les dernières élections, c’est bien celui-là.
Un commentaire de Richard Graf