Le système électoral de la 5e République est en défaillance pour la deuxième fois, en quelques semaines.
En France, le premier tour des élections présidentielles permet traditionnellement de mesurer, à l’intérieur des deux grandes familles politiques, le poids des différents courants en place. Depuis le 21 avril 2002, nous savons que ce modèle de pseudo-proportionnelle ne fonctionne plus. La gauche, qui dans son ensemble était plus fort que la droite classique, a ainsi été écartée du deuxième tour des élections. Le résultat est connu: Chirac est devenu à la fois le président sortant, ayant obtenu le plus mauvais résultat personnel dans un premier tour, tout en récoltant le plus beau score jamais obtenu par un candidat au deuxième tour. Difficile de dire si Charles De Gaulle, qui avait inventé le système il y a plus de 40 ans, doit être plus jaloux que fier de son dauphin corrézien.
Le premier tour des législatives de dimanche dernier a fonctionné exactement à l’inverse: alors qu’il s’agit d’envoyer individuellement des député-e-s à l’Assemblée nationale, le PS a su limiter les dégâts en nombre de voix, pendant que ses alliés communistes et verts sont en régression. L’extrême gauche, qui avait pourtant triomphée lors du premier tour des présidentielles, a été réduite à moins d’un quart de son potentiel d’il y a quelques semaines. S’il n’est toujours pas clair si le pôle républicain de Jean-Pierre Chevènement est de gauche ou de droite, il faut avouer que la réponse à cette question n’intéresse plus personne, après le score médiocre qu’a connu ce mouvement.
Même si un sursaut entre deux tours est toujours possible, il paraî t clair que la droite unifiée a su tirer pleinement profit du scrutin et pourra compter sur une majorité qui frôlera les deux tiers. Ce n’est pas uniquement la révocation de la cohabitation mal-aimée, c’est aussi la fin de toute opposition digne de ce nom au niveau des institutions législatives et du contrôle de l’Etat.
Si le système a été conçu pour écarter les petits mouvements et les partis émergeants, pour garantir un certaine continuité à l’Etat, le constat est convaincant: l’Assemblée nationale va compter un nombre de député-e-s, issu des petites formations infiniment plus petit que la précedente, alors que ces mêmes partis, dans leur ensemble, représentaient plus d’un quart de l’électorat – et on ne parle même pas du Front national.
Si la droite classique dépasse la gauche plurielle de six ou sept pour cent, rien ne justifie qu’elle dispose de deux fois le nombre de député-e-s. Certes les défauts du système majoritaire sont connus depuis toujours. Mais la dernière cohabitation avait aussi montré, que ce type de partage du pouvoir pouvait mener à une politique, qui manquait peut-être d’éléments plus spectaculaires, mais qui n’était somme toute pas sans résultats. N’est-il pas étonnant que le gouvernement de Lionel Jospin ait su battre presque tous les records de longévité, alors que le président Chirac pouvait à tout moment dissoudre l’Assemblée nationale?
Ce qui est en jeu, dimanche prochain en France, c’est le retour vers une démocratie purement électorale et non participative: la droite aura-t-elle tous les moyens, pendant les cinq prochaines années, pour faire ce que bon lui semble? On peu bien espérer que l’expérience d’avant 1997, et surtout les mouvements sociaux de décembre 1995, lui ont enseigné une certaine modestie, mais il reste que c’est une politique de droite qui va être menée. Dans le contexte européen cela signifie que des aberrations, tels que les privatisations tous azimut et les baisses d’impôts pour les plus riches, se verront encore renforcées.