Accord de coalition : Démocratie, transparence et fuites

La question a surgi avec acuité ces derniers jours : à qui faut-il accorder la primeur de l’accord de coalition négocié entre les partis qui prendront les rênes du gouvernement ces prochains jours ? Aux instances dirigeantes du CSV et du DP, à leurs membres, aux parlementaires ou à l’ensemble du corps électoral ?

(Illustration : unsplash.com)

Pourquoi ne pas rendre l’accord de coalition public dès sa signature par le CSV et le DP ? La question a été posée avec insistance à Luc Frieden, ce lundi 13 novembre, lors d’un point presse intermédiaire au château de Senningen, comme il en a tenu régulièrement depuis le début des négociations de coalition, il y a cinq semaines. Après s’être, une nouvelle fois, abondamment félicité de la rapide avancée des discussions, « sérieuses et constructives », l’encore formateur chrétien-social est resté inflexible sur la publication de l’accord. La procédure sera respectée, a-t-il martelé, avec l’approbation de Xavier Bettel et de Claude Wiseler, à ses côtés pour représenter DP et CSV.

Le document, officiellement signé entre les deux partis jeudi 16 novembre, aura été préalablement soumis – avec le nom des futurs ministres – aux instances dirigeantes des deux partis, la veille. Comme le prévoient ses statuts, le CSV y a ajouté, dans la foulée, un congrès extraordinaire de ses membres pour obtenir leur approbation sur un accord dont il leur a cependant présenté que les points principaux. Des étapes très formelles, car on voit mal comment les deux partis, et surtout leurs dirigeant-es, pourraient rejeter un texte qu’ils ont en partie négocié et qui leur accorde le pouvoir pour cinq ans.

Invoquant la nouvelle Constitution, Luc Frieden a expliqué que le document sera ensuite soumis aux député-es avant d’être rendu public, une obligation que le texte constitutionnel ne mentionne pourtant pas. Il faudra pour cela attendre que la nouvelle Chambre soit au complet, ce qui n’est pas encore le cas, les dernier-ères parlementaires devant être assermenté-es ce mardi, selon des informations du Tageblatt. Luc Frieden prononcera son discours de politique générale le lendemain, mercredi, face aux député-es qui en débattront le jeudi. Une fois qu’ils et elles auront voté son approbation, l’accord pourra enfin être rendu public. Mais avec 35 député-es CSV et DP sur 60, on voit mal, là encore, quel obstacle pourrait empêcher son adoption.

L’affaire a néanmoins suscité l’émoi dans les rangs de l’opposition, LSAP, Déi Gréng et Déi Lénk estimant qu’il leur est impossible de débattre d’un texte qui ne leur sera soumis qu’au tout dernier moment. Leur avis est partagé jusqu’au président par intérim de la Chambre, le chrétien-social Michel Wolter, affirmant, dans les colonnes du Tageblatt : « On ne peut pas mener un débat sans la préparation nécessaire. » Message reçu par le futur premier ministre, qui consent finalement à transmettre le document aux élu-es dès lundi, trois jours avant le vote donc. Avec le risque de fuites dans la presse, ce que semble vouloir éviter à tout prix un Luc Frieden déterminé à montrer qu’il tient bien tout en main, qu’il est le « capitaine » du navire, comme il s’était lui-même projeté pendant la campagne électorale.

La transparence est un impératif grandissant

Dans les grandes lignes, il en va de l’accord de coalition comme des feuilles de vigne sur les statues de la Renaissance : au fond, tout le monde sait bien ce qu’elles dissimulent. Dans ce cas, une forte inflexion néolibérale dans les politiques économiques et sociales, une écologie qui cherchera « l’adhésion » de la population plutôt que la « contrainte », la croissance comme totem absolu, etc. Il y a le discours général et il y a la méthode. C’est bien en cela que la teneur de l’accord prend son importance, car celui-ci détaille le chemin que la coalition entend prendre pour parvenir à ses fins. Et puis l’on sait bien que le diable se cache dans les détails, et c’est aussi en cela qu’il sera intéressant de décrypter ce document de 209 pages.

Pour justifier la procédure pesante entourant la publication de l’accord, Luc Frieden en appelle à la « démocratie » et au respect de ses représentant-es élu-es. Cette sollicitude pour les parlementaires est tout à fait louable, mais méconnaît une autre exigence démocratique : celle, émanant du public, d’une plus grande transparence. La demande des journalistes d’accéder au plus vite à l’accord ne tient pas d’un caprice et ne vise pas l’obtention d’un privilège. Il s’agit d’informer au plus vite et en toute transparence les électeurs et électrices sur la politique qui sera menée en leur nom. Il ne s’agit pas d’un artifice, mais d’un impératif grandissant, alors que le principe même de la démocratie se trouve de plus en plus délégitimé. La transparence est indispensable au maintien ou au rétablissement d’une confiance toujours plus fragile envers le monde politique. Cette nouvelle réalité ne s’accommodera pas d’une gouvernance verticale et le « nouveau Luc » serait bien inspiré de la prendre en considération ces cinq prochaines années.


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