Backcover: Kodji

En mars, Kodji illustre la dernière page du woxx. Interview avec l’artiste qui parle de sa série, la culture africaine et des inégalités.

L’artiste qui illustre les dernières pages du woxx en mars : Kodji. (COPYRIGHT : AGC.Photography)

woxx : Kodji, dévoilez-nous le procédé de création de votre série pour le woxx, dans laquelle vous avez réalisé cinq couvertures connectées !

Kodji : J’ai dessiné cinq illustrations à la main pour le woxx, à l’encre, que j’ai ensuite finalisé en digital. C’est une technique que j’utilise beaucoup ces derniers temps. J’ai travaillé environ trois semaines sur ces illustrations. Le défi que je me suis imposé était de créer une cohérence graphique, car les cinq couvertures sont, comme vous l’avez dit, liées entre elles. Ainsi, si l’on réunit à la fin du mois toutes les éditions de mars du journal, on obtient une image complète. J’avais depuis longtemps l’idée de réaliser un tel projet – l’offre du woxx tombait à pic ! Je trouve l’idée intéressante : les gens peuvent collecter les illustrations et les réunir.

Quelle histoire voulez-vous raconter ?

Je veux présenter un paysage paisible, un univers fantastique. Les personnages les plus divers se rassemblent autour d’un grand arbre inspiré du baobab, un arbre africain particulièrement fort et riche en ressources – un symbole de vie. Dans ma série, il s’agit de la naissance d’une communauté, de vie, autour de cet arbre.

Les personnages ainsi que le décor semblent à la fois mystiques et futuristes ?

Je dirais plutôt qu’ils tombent hors du temps : ils ne se situent ni dans le futur ni dans le passé. Je combine des éléments doux, comme le bois, avec le métal ; le mysticisme avec la divinité et la magie. Je considère le décor, l’environnement, comme un personnage propre : la nature fait partie de la communauté. En dessinant, j’avais en tête ces lieux abandonnés où la nature reprend possession de l’espace. De plus, il est difficile de lire précisément les interactions des autres personnages en raison des masques que certains d’entre eux portent. Il était important pour moi qu’ils aient l’air à la fois collégiaux et aventureux. Mon intention est clairement que l’on puisse se perdre dans les images et d’avoir le temps d’observer cet univers particulier. En outre, j’ai essayé de créer une osmose entre ces éléments, la culture africaine et des religions comme le vaudou.

Cette décision résulte-t-elle du constat que les cultures africaines sont sous-représentées sur la scène artistique occidentale ?

Dans mes études, on parlait peu des artistes de l’Afrique. J’essaie moi-même de développer ces connaissances. En ce sens, la représentation est insuffisante, oui. De plus, les genres de l’illustration et de la bande dessinée sont moins utilisés en Afrique, alors que les livres de contes le sont. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bons artistes africain-es dans ces domaines, mais je ne pourrais pas en citer au premier abord.

Le manque de cette représentation, a-t-il influencé votre parcours professionnel d’artiste ?

Non, l’idée de travailler comme artiste est venue tout naturellement. Même si je dois admettre que ce n’est qu’après mes études et avec un peu de recul que j’ai réalisé que certaines situations n’étaient pas correctes, voire tragiques.

Qu’entendez-vous par là ?

De manière générale, j’ai vécu des inégalités, mais je les ai aussi observées contre des personnes racisées – le racisme, la ségrégation, la relation problématique avec les forces de l’ordre. C’est moins le cas dans le monde de l’art, je dois dire. Personnellement, je n’ai pas encore rencontré de propos homophobes, xénophobes ou racistes, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’existent pas. Je pense que c’est notamment dû au fait, qu’en général, les gens dans ce secteur sont plus ouverts d’esprit et intéressés par l’échange.

Quelle est l’influence de ces expériences sur votre art ?

Je garde bien sûr tout cela dans l’esprit et j’essaie de garantir une certaine diversité dans mon travail.

« Il était important pour moi de trouver mes propres racines et de les transposer dans mon art. Cette quête identitaire est allée de pair avec l’étude des femmes noires et d’autres éléments. »

C’est surtout dans votre peinture qu’apparaissent des portraits de personnes racisées.

Au début de ma carrière surtout, je voyais la peinture comme une sorte de quête de soi. Il était important pour moi de trouver mes propres racines et de les transposer dans mon art. Cette quête identitaire est allée de pair avec l’étude des femmes noires et d’autres éléments. Un thème qui m’a intéressé par exemple, c’est celui de la coiffure : beaucoup de personnes noires choisissent de se lisser les cheveux. Si c’est par choix, je le respecte sans aucun doute. Mais souvent, cela est dû à la pression sociale et au désir de ne pas attirer l’attention, ce que je trouve triste. Entre-temps, je me penche davantage sur les cultures africaines et asiatiques, comme c’est en partie le cas dans la série pour le woxx.

(© Kodji)

Quel est le lien entre ces deux cultures ?

Je ne prétends pas que cela n’existe que dans les cultures africaines et asiatiques, mais ce qui me touche

avant tout, c’est le grand respect pour les personnes âgées ainsi que cet attachement à des traditions, des rituels et des religions qui existaient bien avant l’époque coloniale. Je pense que l’on trouve des motifs similaires dans la culture sud-américaine. Je suis également fasciné par les tissus et les motifs traditionnels typiques de ces cultures. Je m’inspire de ces aspects dans mon travail.

Comment votre art trouve-t-il un écho dans la scène artistique luxembourgeoise ?

Pour l’instant, je ne suis pas sûr d’avoir un écho important. Je vis au Luxembourg depuis 1998, mais au début de ma carrière artistique, vers 2015, j’ai eu du mal à prendre pied, car je ne connaissais personne dans le milieu. Entre-temps, j’ai fait beaucoup de « networking », ce qui m’a permis de participer à différentes expositions et conventions. Je suis également devenu membre de l’Association des artistes plasticiens du Luxembourg, et de l’asbl « D’Frënn vun der 9. Konscht », une association nationale de BD.

La bande dessinée est la voie que vous souhaitez suivre ?

Oui, mais non pas uniquement : la peinture fait partie intégrante de mon travail aussi. Je veux en tout cas continuer à développer mes compétences dans le genre BD. Je veux raconter mes histoires et les intégrer dans le monde culturel du Luxembourg. Il est notamment important pour moi de transmettre quelque chose aux jeunes, car les mangas et les animés m’ont beaucoup marqué durant ma jeunesse. Actuellement, je me concentre donc sur le storytelling, car un personnage qui ne raconte rien n’est pas si intéressant, surtout par rapport à mon travail.

À propos de l’artiste

Kodji a été formé en infographie et en animation 2D à l’Haute école Albert Jacquard de Namur, après un stage auprès de l’artiste plasticien togolais, Paul Ahyi. Il a approfondi ses bases en autodidacte, afin de poursuivre ses ambitions artistiques. Sur son site (kodji.art), il décrit son univers graphique comme « un mélange de mes influences, de mes convictions et de mon vécu ». Il fait des illustrations, des animations et de la peinture. Sur Instagram, on le retrouve sur les pages @kodji_ktd et @the_dark_monkey.


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