Dans les salles : Les misérables

L’univers banlieusard fait toujours « rêver » les cinéastes pour le meilleur ou pour le pire. « Les misérables » est un des meilleurs témoignages de ces dernières décennies.

La liesse autour de la Coupe du monde gagnée par les Bleus ne peut plus cacher les divisions profondes d’une France à (au moins) deux vitesses… (Photos : Wild Bunch)

Transféré de Cherbourg à Montfermeil, dans le 93, le brigadier Stéphane Ruiz doit se faire à de gros changements d’ambiance et culturels. Ses nouveaux collègues Chris et Gwada lui font une visite guidée du quartier, pendant laquelle ils lui expliquent les mécaniques de son nouvel environnement. Entre fichés S, anciens caïds devenus prêcheurs musulmans, réseaux de prostitution dans les mains des clans nigérians, baraquements de sans-papiers et jeunes en galère, il apparaît que la banlieue a beau changer elle reste toujours un lieu d’exclusion sociale et humaine. Qui naît et grandit ici est soumis à d’autres lois et traitements que des personnes originaires de lieux pourtant distants de seulement quelques kilomètres.

Pendant leur tournée, les policiers assistent à un affrontement entre les hommes du maire de Montfermeil et les employés d’un cirque ambulant, à cause de l’enlèvement d’un lionceau par une petite frappe. Sachant qu’ils feraient mieux de mettre la main sur l’animal, et surtout sur le jeune kidnappeur, avant les propriétaires, ils se mettent à passer le quartier au peigne fin, profitant de leurs informateurs çà et là. Mais lors de l’arrestation du coupable, Issa, un gamin de 14 ans, Gwada est dépassé et décharge son flashball sur lui alors qu’il est déjà menotté. Ce n’est que le début des ennuis pour les trois collègues, car ils ont été filmés par un drone. Maintenant, tout le quartier veut s’emparer de cette vidéo pour des raisons très différentes…

L’immense talent de Ladj Ly, d’ailleurs originaire de Montfermeil, la ville où Victor Hugo a situé le roman éponyme du film, est d’entraîner le public dans une danse tout en restant dans le réalisme social. Loin des âpres codes du semi-documentaire cher aux frères Dardenne et à d’autres réalisateurs engagés, son style est chaleureux, tout en couleur, et le montage impose un rythme qui s’accélère sans que l’on s’en rende compte de prime abord. Les quelque 48 heures montrées dans le film se déroulent à une vitesse carrément hypnotique, qui mène de la liesse des premières images – la grande fête fraternelle lors de la victoire française à la Coupe du monde de football – à l’affrontement ultime.

Ly démantèle en quelques coupes de montage le mythe de la France unie par la victoire sportive et montre les divisions réelles et insurmontables qui règnent dans le département du 93. Pas seulement entre les banlieusard-e-s et les habitant-e-s de Paris intra-muros, mais aussi entre les Frères musulmans et les petits et grands caïds, les drogué-e-s et les sans-papiers ou encore les Noirs et les Arabes. La solidarité n’est que de surface, la loi infernale du chacun pour soi s’est imposée aussi chez celles et ceux qui auraient le plus besoin d’entraide – mais difficile de se la faire « start-up nation » quand vous êtes encore à terre.

En d’autres mots, « Les misérables » est vraiment un chef-d’œuvre, et les critiques qui disent que c’est le film sur les banlieues le plus pertinent depuis « La haine » de Mathieu Kassovitz (1995) ont raison. Car c’est une autre banlieue qui est montrée ici, peinte par un regard qui provient de l’intérieur. Une banlieue toujours aussi violente, mais une banlieue fatiguée et résignée : « Repensez à 2005, quand tout a brûlé. Qu’est-ce que vous en avez retiré ? Rien du tout. La vérité, c’est que tout le monde s’en fout », explique Ruiz à un des caïds du quartier, quand il tente de le persuader de lui donner l’enregistrement de la bavure.

En ce sens, le Prix du jury décerné à Cannes est amplement mérité. Mais le propos du film court le risque d’être noyé sous les flots d’acclamations. « Les misérables » du Montfermeil d’aujourd’hui sont réels et non pas une fiction lointaine. Et même si le président des riches Macron en a été ému au point de demander à ses ministres de trouver des moyens pour améliorer les conditions de vie en banlieue – ce qui est un beau conte de fées médiatique –, il se peut que l’attention de ce dernier soit plutôt due au fait que le film a été sélectionné pour les Oscars que par la triste réalité à quelques kilomètres de l’Élysée.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XXX


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