Défense 
: Au Kosovo, 
le Luxembourg paie sa dette


Alors que le théâtre de la guerre se déplace ailleurs, le plus petit membre contributeur de l’Alliance finance le nouvel hôpital militaire de la KFOR.

(Photos : woxx/fb)

Sur l’autoroute de Pristina, un cortège de voitures et de camionnettes bleues, flashs et alarmes allumés, surgit de la sortie, en roulant à tout berzingue sur la chaussée. Un geste de la main suffit pour faire ralentir les véhicules qui s’approchent, tandis que ceux qui précèdent sont déjà en train de se ranger sur la bande d’arrêt d’urgence. Le cortège appartient à la délégation luxembourgeoise, composée du ministre de la Défense, Étienne Schneider, et d’une trentaine d’autres invités, parlementaires et journalistes. « Étienne a toujours fait ainsi, depuis le début », nous confie une députée. « Jean-Marie » (Halsdorf, ex-ministre de la Défense chrétien-social) aurait été « plus économe », nous apprend-elle.

Le motif de cette courte, très courte mais impressionnante visite officielle au Kosovo qui ne durera que quelques heures ? Le nouveau bloc opératoire au sein du camp de la KFOR, la force militaire multinationale de l’ONU à Pristina, financé par le grand-duché. En effet, il y a deux ans, l’Allemagne a annoncé vouloir retirer une bonne partie de ses troupes stationnées au Kosovo, notamment au camp de Prizren, deuxième plus grande ville du pays, et qui avait hébergé jusque-là l’hôpital militaire de la KFOR, transféré depuis vers un autre « théâtre » militaire – probablement au « Mali », comme le croit le Dr Zoltan Vekerdi, conseiller médical à l’Agence de soutien et d’acquisition de la NSPA.

Sous-traitance

C’est par le biais de cet organe de l’Otan, dont le siège se trouve à Capellen au Luxembourg, qu’a été organisé le remplacement de l’hôpital militaire en question. Sa gestion, pour la première fois dans l’histoire de l’Alliance, reviendra à une entreprise privée, Iqarus, qui a déjà décroché des contrats aux Nations unies et gère entre autres des structures en Afghanistan ou encore au Pakistan. Le but étant, comme on peut le lire sur le site internet de l’entreprise, basée à Aberdeen et appartenant au fonds MML Capital Partners, étant d’apporter des « solutions intelligentes » quel que soit le « contexte » et « dans n’importe quel endroit du monde ».

Avec le déplacement des théâtres de la guerre en Asie et en Afrique ainsi que la menace à peine voilée des États-Unis de réduire leur engagement au sein de l’Alliance au cas où les autres nations n’augmenteraient pas leur contribution de façon substantielle, les membres étaient appelés à trouver une solution. Or, comme aucune des nations représentées au sein des troupes de la KFOR n’a voulu financer un tel projet, c’est à une entreprise indépendante qu’il a été fait appel ainsi qu’au Luxembourg, plus petit membre contributeur, pour mobiliser les fonds nécessaires.

Entre 2000 et 2017, le Luxembourg était présent au sein des troupes de la KFOR avec 52 contingents de suite. Au grand-duché, à présent, de « rendre une partie du traitement dont les soldats luxembourgeois auront bénéficié durant toutes ces années », comme l’a formulé Étienne Schneider à l’issue d’un briefing au Kosovo, mercredi. De même que de montrer sa volonté à s’engager davantage en tant que pays membre de l’Otan à la contribution « la plus basse » (0,44 pour cent de son PIB), a-t-il expliqué en marge d’une visite des lieux. Étienne Schneider évoque aussi le projet de créer une unité médicale militaire au sein des hôpitaux luxembourgeois, et qui pourrait s’inspirer de la structure financée pour la KFOR. Cette unité, au service de l’Otan si nécessaire, bénéficierait à la population luxembourgeoise le reste du temps.

Construit en deux mois, le nouveau centre médical de « niveau 2 » coûtera 12 millions d’euros et emploie 36 personnes, dont 18 médecins. Depuis sa mise en service, seuls 191 patients y ont été traités, la plupart souffrant de légères blessures « causées au hall de sport », plaisante un responsable du service de communication de la KFOR. Les salaires des employés, disposant de longues années d’expérience et triés sur le volet, sont élevés. « Ils ne quitteraient pas les hôpitaux civils si l’Otan ne leur offrait pas des salaires importants », estime le Dr Zoltan Vekerdi, qui ne cache pas sa préférence pour une solution militaire : « Une structure militaire obéit aux ordres, une entreprise fait ce qui est marqué dans le contrat. » Ainsi, le nouvel hôpital n’offrira ni dentiste ni gynécologue, par exemple, aux soldats présents, qui devront s’adresser à des médecins civils. « C’est uniquement parce que le Kosovo est pacifié que l’OTAN a choisi un fournisseur privé », résume l’homme de la NSPA.

S’attaquer à la source

Le Kosovo, en effet, est aujourd’hui stabilisé, même si la paix reste fragile, raison pour laquelle l’armée luxembourgeoise a retiré son dernier contingent en octobre dernier. Depuis quelques années déjà, le Luxembourg concentre ses activités sur le développement et la coopération à travers notamment la Fondation Kosovo-Luxembourg gérée par la Caritas et la Kosovar Civil Society Foundation. Le Luxembourg, où vivent quelque 1.700 Kosovars, a été l’un des premiers pays à reconnaître l’indépendance du Kosovo en 2008. Jusqu’en 2020, il est prévu d’investir quelque 30 millions d’euros d’aide au développement.

Si certains attribuaient l’indépendance, proclamée il y a tout juste dix ans et fêtée en février dernier, aux pressions des Américains, à l’époque pleinement engagés en Irak et soucieux de délocaliser une partie de leurs troupes du Kosovo dans ce pays du Moyen-Orient, ce qui se passe actuellement au Kosovo peut être vu comme une nouvelle tentative outre-Atlantique de pousser les Européens à s’engager davantage, alors que la coalition internationale combat le terrorisme islamiste au Mali. Elle montre aussi qu’en matière de sécurité, les visions diffèrent fondamentalement.

Plutôt que d’investir dans des tanks, des avions de chasse et des soldats, l’Europe montre comment le développement outremer rend résilientes des sociétés fragiles contre le risque de radicalisation et de conflit. Elle préfère s’attaquer à la source, au phénomène des migrations et de misère socioéconomique : « C’est aussi notre argument que de dire : nous investissons moins dans l’armée mais nous faisons autant pour le développement », explique Nancy Kemp-Arendt, présidente de la commission de la Force publique.

Dans leurs approches de l’Otan, les visions des 
États-Unis et de l’Europe diffèrent radicalement.

Accord sur le Kosovo ?

En janvier dernier, le leader serbe au Kosovo Oliver Ivanovic a été abattu en pleine rue. Le 26 mars, le représentant des Serbes du Kosovo, Marko Djuric, a été arrêté et expulsé. La Serbie a fait retentir les tambours nationaux et a organisé une manœuvre simulant l’attaque d’une position insurgée. Le gouvernement à la tête duquel le président Alexander Vucic et la charismatique et homosexuelle présidente du gouvernement, Ana Brnabic, sont toutefois restés étrangement calmes. En effet, dans une interview accordée au « Guardian » en avril, Alexander Vucic avait évoqué l’existence d’une fenêtre temporelle de « six mois à un an » pour résoudre la question du Kosovo, qui est l’épine dans le pied des tentatives de modernisation de la Serbie.

Tous aujourd’hui semblent s’accorder là-dessus. La perspective d’intégrer un jour la communauté européenne est ce qui unit les deux pays – perspective dont la disparition pourrait provoquer le resurgissement de vieux démons. L’économie serbe continue de souffrir de la fuite de ses cerveaux à l’étranger. Au Kosovo, le chômage et la corruption font des ravages, tandis que la criminalité organisée est considérée par certains comme le seul secteur qui affiche une croissance économique…

Mais il y a un autre problème : avec cinq pays européens, dont l’Espagne, refusant de reconnaître l’indépendance du Kosovo (en raison de la Catalogne), l’entrée de ce dernier dans l’UE est inenvisageable. La non-reconnaissance par la Russie, soutien et conseiller de la Serbie, ne lui permet pas non plus de devenir membre de l’ONU. Or la Serbie a besoin du Kosovo pour réaliser son rêve européen, l’UE en a fait une condition.


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