La mondialisation a internationalisé les échanges commerciaux et pousse à la recherche du profit par tous les moyens. Le Luxembourg en a profité, mais au bout du monde, les droits humains et l’environnement en font facilement les frais. Face à cela, la société civile propose de légiférer.
Le Luxembourg a-t-il besoin d’une loi imposant le respect des droits humains à ses entreprises dont les activités s’étendent à l’étranger ? Oui, estiment les ONG rassemblées dans l’Initiative pour un devoir de vigilance, et renvoient aux récentes affaires Sirli – opérations de répression meurtrières en Égypte – et Pegasus – espionnage de journalistes et d’opposant-es politiques par des États. Les deux sociétés impliquées, CAE Aviation et NSO, sont en partie implantées au Luxembourg. On aurait donc pu espérer que ces affaires finissent par convaincre le gouvernement.
La foi sans la loi ?
Cela ne semble pas être le cas. Certes, l’été dernier, le gouvernement a lancé, en coopération avec l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), un « pacte entreprises et droits de l’homme ». Mais, aux yeux de l’initiative, cela représente une manœuvre de diversion, notamment parce que la participation à ce pacte reste volontaire. Deux questions parlementaires relatives aux affaires Sirli et Pegasus confirment l’impression que le gouvernement tente d’éluder le sujet : « On ne peut rien faire », a été en substance la réponse du ministère des Affaires étrangères.
Mais l’Initiative pour un devoir de vigilance ne compte pas en rester là. Mardi dernier, elle a présenté ses propositions concrètes lors d’une conférence de presse. Elle est partie du fait que, en octobre dernier, le Luxembourg a réussi à se faire élire au « Conseil des droits de l’homme des Nations unies » (Human Rights Council, HRC). « Si la lutte contre le travail des enfants et la protection des défenseurs des droits humains constituent une priorité pour le gouvernement luxembourgeois, celui-ci pourra maintenant montrer l’exemple », écrit l’initiative dans son communiqué. Elle rejette les arguments soulignant la petite taille du Luxembourg et recommandant d’attendre une initiative législative européenne. Elle se montre en outre convaincue qu’« une loi sur le devoir de diligence au niveau droits humains et entreprises est réalisable ». L’initiative détaille son argumentation dans une brochure d’une quinzaine de pages présentant les grandes lignes et le champ d’application d’une telle loi.
La première question, délicate entre toutes, concerne le type d’entreprises concernées. Pas d’hésitation, les grandes sociétés domiciliées au Luxembourg seraient couvertes par la loi. Cela les obligerait en premier lieu à élaborer et à mettre en œuvre un « plan de vigilance » afin de prévenir les risques. Mais l’initiative n’envisage pas de dispenser l’ensemble des entreprises en dessous du seuil européen de 250 employé-es. En effet, les grandes sociétés ne sont pas très nombreuses au Luxembourg, et les cas de CAE Aviation et NSO montrent que des cas de violations des droits humains peuvent aussi impliquer des entreprises de taille plus modeste. D’un autre côté, l’initiative ne voudrait pas « faire peser une charge disproportionnée sur les PME », et propose donc d’imposer le plan de vigilance aux seules PME « actives dans des secteurs ou régions à haut risque ». La liste des secteurs concernés s’avère cependant longue et va bien au-delà des « usual suspects », englobant par exemple le secteur des technologies de l’information et de la communication ainsi que l’hôtellerie et la restauration.
L’initiative insiste pour également inclure les fameuses « sociétés de participations financières » (Soparfi), un type de holding essentiel pour l’attractivité de la place financière luxembourgeoise. Elle rappelle que ces structures financières peuvent détenir des participations dans n’importe quel type d’activité économique réelle. Et qu’il serait donc logique d’appliquer aux Soparfi et à leurs filiales des critères de taille, de secteur et de région semblables à ceux des sociétés commerciales ordinaires.
Responsabiliser les entreprises
Pour ce qui est des domaines concernés par la vigilance, l’initiative renvoie à l’étude de la chercheuse Basak Baglayan, commandée par le gouvernement même : « tous les droits de l’homme internationalement reconnus, y compris les principes des huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) ». Il y aurait un devoir de diligence de préserver ces droits au niveau de la chaîne de valeur de l’entreprise, en incluant notamment les sous-traitants indirects. L’initiative insiste encore sur le fait que des dommages environnementaux entraînent souvent des violations des droits humains. Cela peut être le cas quand « des produits chimiques provenant par exemple d’usines se retrouvent dans les rivières et nuisent ainsi aussi bien aux bases de la vie (pêche, eau potable) qu’à la santé des riverains ». Dans le cadre d’une loi « droits humains et entreprises », le domaine environnemental devrait par ailleurs d’office inclure l’ensemble des conventions internationales ratifiées par le Luxembourg.
Afin de rendre effectives les obligations d’une telle loi, l’initiative estime nécessaire la création d’une autorité administrative compétente, qui contrôlerait les plans de vigilance et à laquelle pourraient s’adresser d’éventuelles plaintes. Dans ce contexte seraient prévues des sanctions comme « des amendes, l’exclusion des procédures de passation de marchés publics et de la promotion du commerce extérieur ». Enfin, les personnes ou communautés affectées devraient avoir la possibilité de se voir dédommagées, sur base d’un principe de responsabilité civile opérant.
« Le Luxembourg est à la traîne », estime l’initiative, en rappelant les législations nationales adoptées ou prévues dans des pays voisins. Elle demande que cela change et suggère que le Luxembourg introduise une législation sur la diligence raisonnable obligatoire et qu’il n’en plaide pas moins pour une législation commune au niveau européen.
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