Avec des résultats pour le moins inattendus, voici une première analyse à chaud du scrutin du 14 octobre 2018.
Commençons donc par le plus évident : l’État-CSV n’est plus et les conservateurs ne peuvent donc plus prétendre à une mission quasi naturelle à prendre les rênes du pays. Deux sièges en moins sont un désaveu clair et ne constituent en aucun cas un appel de l’électorat à entrer dans un gouvernement – même s’il est vrai que les chrétiens-sociaux restent toujours le plus grand parti du pays. Mais après cinq ans dans l’opposition, ils n’ont tout simplement pas réussi à marquer la différence. Comme le woxx l’avait écrit après recherches, le CSV a suivi la coalition dans 85 pour cent des votes à la Chambre des député-e-s.
S’y ajoutent deux facteurs : d’un côté, le pays n’a pas plongé dans le chaos après le « putsch » de la coalition bleu-rouge-vert en 2013. Tout au contraire, la bonne performance économique, certaines ouvertures sociétales et une culture politique moins paternaliste ont été plutôt bien accueillies par la population. Comme l’avait remarqué le collègue Christophe Bumb dans une analyse sur le portail reporter.lu, il n’y a aucune raison objective pour ne pas continuer avec cette constellation. Ensuite, l’attitude du CSV qui s’attendait à un retour à son auge, une campagne électorale pendant laquelle les conservateurs ne voulaient surtout pas se mettre en danger et enfin l’image plutôt floue et hésitante de leur candidat Claude Wiseler auront donc contribué à ce résultat décevant. Gageons que dans l’instance dirigeante du parti, certains mauvais quarts d’heure seront encore à passer.
Alors que les conservateurs lèchent leurs plaies, ce sont les Verts qui triomphent. En effet, avec trois sièges de plus, la formule répétée par leurs candidat-e-s pendant la soirée électorale, « aucun gouvernement ne pourra être formé sans nous », est vraie – Déi Gréng sont devenus vraiment incontournables pour la première fois de leur existence.
L’État-CSV est mort, ou du moins il ne sent plus très bon
Il semble que leur stratégie politique des cinq dernières années ait payé. En se concentrant sur ses dossiers et en les mettant en avant au moment opportun, mais aussi en passant en mode sous-marin dès que des dossiers fâcheux dominent l’actualité, le partenaire junior a su tirer son épingle du jeu et surtout paraître comme un parti presque uniquement connoté positivement. Vous rappelez-vous d’interventions profondes sur Luxleaks ou encore le limogeage d’Enrico Lunghi et autres crises politiques sous « Gambia 1.0 » ?
S’y ajoute que l’écologie et la mobilité sont des thèmes qui font bouger l’électorat des classes moyennes – donc celui des Verts, qui devront pourtant démontrer maintenant qu’ils savent prendre plus de risques et de responsabilités. Quitte à changer de stratégie et à être moins opportunistes que par le passé. Et à ne pas oublier que s’ils sont élus et gagnants, la représentativité démocratique du vote au Luxembourg ne correspond pas aux réalités du terrain. Bref, ils devront montrer qu’ils sont capables de faire une politique qui profite à tout-e-s les résident-e-s et pas uniquement à la classe moyenne aisée qui détient le pouvoir politique.
Quant aux socialistes, on peut retenir que la claque électorale est bien réelle (les pires résultats depuis 1945), même si finalement ils ne s’en tirent pas si mal. Enfin, si on les compare à leurs collègues socio-démocrates européens, la bérézina n’est pas totale. Aussi, pendant que le CSV ne cessera de répéter qu’il est le plus grand parti du pays, les socialistes continueront sûrement de mettre l’accent sur le fait qu’ils arrivent toujours en deuxième place. L’exercice des prochaines années sera toutefois difficile. Dans l’hypothèse très probable d’une participation à une nouvelle coalition à trois, le LSAP paraîtra affaibli et pourra encore moins honorer ses promesses électorales face à ses coalitionnaires. Un renouvellement sans passer par les bancs de l’opposition semble aussi difficile que nécessaire, comme l’illustre par exemple le score désastreux de deux membres du gouvernement : Lydia Mutsch et Francine Closener, qui n’ont pas réussi à entrer au parlement.
Les libéraux s’en tirent avec un œil au beurre noir, alors que les sondages les avaient vus perdants aussi. Mais la perte d’un siège seulement et le bon résultat – inattendu – de leur premier de cordée Xavier Bettel (face à Claude Wiseler, qu’il dépasse de 3.386 voix dans la circonscription Centre) semblent avoir consolidé les libéraux dans leur croyance en leur avenir. D’autant plus que le premier passage devant l’électorat de leur ministre des Finances Pierre Gramegna a lui aussi été un franc succès. Désormais incontestablement le plus fort parti de la coalition sortante, ce sera au DP de veiller à l’équilibre de la future coalition.
Pas de vague brune sur le grand-duché
Une bonne nouvelle vient à propos des populistes de droite de l’ADR : le Luxembourg semble finalement ne pas trop pencher vers le nationalisme et la question identitaire pas vraiment tarauder l’électorat luxembourgeois. En misant à fond sur ces thèmes et en employant des tactiques agressives et parfois carrément diffamatoires pendant la campagne, l’ADR s’est trompé de cheval. Certes, un siège de plus viendra renforcer ses rangs à la Chambre des député-e-s, mais Jeff Engelen n’est pas issu du rang des populistes de droite qui ont pris le parti d’assaut depuis une bonne décennie. Il est au contraire un de ses membres fondateurs. Quant aux candidat-e-s du Wee 2050 sur les listes, aucun n’a été élu au parlement. Avec Fred Keup, seul le candidat le plus exposé médiatiquement a fait un score honorable en arrivant troisième au Sud et avec un écart de presque 2.000 voix par rapport à Fernand Kartheiser. En tout, les candidat-e-s du Wee 2050 totalisent 32.311 voix, ce qui est très peu quand on pense au tohu-bohu qu’ils ont fait dans les médias sociaux avant les élections.
Le grand paradoxe de ces élections est certainement la montée en force des Pirates. D’un côté, cette percée illustre encore une fois l’anachronisme typiquement luxembourgeois où un parti est élu alors que sa mouvance européenne et mondiale, en l’occurrence celle des Pirates, s’est depuis longtemps essoufflée. De l’autre, cette progression est un signe des temps : la stratégie quasiment entrepreneuriale de Sven Clement a finalement payé – miser le moins possible sur des contenus et d’autant plus sur l’image est une stratégie qui fonctionne dans une période de dépolitisation de la vie publique. En même temps que l’association au PID et la présence dans leurs rangs de plusieurs personnalités pas très nettes (on pense avant tout à la circonscription Est et les méthodes agressives de leur candidat non élu Daniel Frères) risquent pour les Pirates de venir ternir l’image de cette victoire. Et puis, il reste à savoir comment Sven Clement et Marc Goergen voudront marquer leur différence par rapport une coalition « Gambia 2.0 ».
D’ailleurs, en parlant de marquer ses différences, c’est bien à Déi Lénk que cet exercice n’a pas réussi. Certes, une petite avancée dans les résultats, mais aucun siège de gagné – et ce alors que presque tous les sondages les voyaient en prendre au moins un de plus. Pourquoi l’opposition aussi bien à la coalition qu’au bloc de droite n’a-t-elle pas payé ? Une raison pourrait être leur désaveu du populisme dans une époque où celui-ci semble devenir le seul moteur politique qui fonctionne encore. La communication préélectorale n’a certainement pas été suffisamment agressive. Elle a probablement été trop éloignée de ce peuple que Déi Lénk aimerait bien représenter.
Finalement, « Gambia 2.0 » devra faire ses preuves : les défis du pays sont restés les mêmes et les trois partis devront faire le choix entre gouverner pour tout-e-s les résident-e-s du pays et combattre les inégalités ou fermer les yeux dans une perspective de calcul politique. Autrement dit : ils devront prouver qu’après l’État-CSV ne vient pas l’État-Gambia.