Élections sociales : « Ce sont toujours les travailleurs qui paient en premier »

Les élections sociales ont lieu dans moins d’un mois. Présidente de l’OGBL et de la Chambre des salariés, Nora Back insiste à cette occasion sur la nécessité d’opposer « des syndicats forts » à un nouveau gouvernement conservateur et libéral, qui privilégie le monde des affaires. Dans une rencontre avec le woxx, elle détaille la stratégie de son syndicat et les défis à venir.

Nora Back, présidente de l’OGBL et de la CSL : « On voit qu’on est face à des politiques qui sont de plus en plus braqués sur leurs positions, même quand ils font face à une opposition forte. » (Photo : OGBL)

En 2019, l’OGBL cédait du terrain aux élections sociales, mais maintenait largement sa domination sur le paysage syndical du pays. Avec 35 sièges sur 60 (38 en 2013), il conservait haut la main sa majorité absolue à la Chambre des salariés (CSL), tout en s’assurant l’élection de 23 % des délégués-e dans les entreprises, soit dix points de mieux que son principal concurrent, le LCGB.

Mais tout cela, c’était dans le monde d’avant. Covid-19, guerre en Ukraine, hausse effrénée des coûts de l’énergie et inflation généralisée ont changé la donne économique et sociale, mettant à rude épreuve les conditions de vie de milliards de personnes dans le monde. Les inégalités augmentent de façon indécente, les conflits armés se multiplient et l’extrême droite progresse partout, arrive aux portes du pouvoir et y est parfois déjà installée. Un tableau international aux allures apocalyptiques.

Au Luxembourg même, où le PIB par habitant-e est le plus élevé de l’UE, le taux de risque de pauvreté est désormais supérieur à la moyenne des Vingt-Sept et le pays détient le triste record du nombre le plus élevé de « travailleurs pauvres » en Europe. En cause, notamment, les prix stratosphériques de l’immobilier, à l’origine d’une crise sociale aussi profonde que prévisible. « Et nous sommes aujourd’hui face à un gouvernement conservateur et libéral, avec un programme politique très différent du nôtre », attaque, tout en nuances, Nora Back, la présidente de l’OGBL. Depuis des semaines, son syndicat répète qu’il n’attend rien de bon de la nouvelle coalition, à laquelle il prête de sombres desseins pour les salarié-es, entre dérégulations et cadeaux aux patrons. Les élections sociales ont lieu dans moins d’un mois et, tout comme le LCGB, l’OGBL montre les muscles pour tenter de convaincre les plus de 600.000 salarié-es appelé-es à voter de glisser le bon bulletin dans l’urne, le 12 mars prochain, afin de désigner leurs délégué-es dans les entreprises, et dans la boîte aux lettres avant cette date, pour désigner leurs représentant-es à la CSL.

Compte tenu du contexte ambiant, « ces élections sont vraiment décisives et importantes pour les salariés, les pensionnés et leurs familles », juge Nora Back, depuis son bureau du quatrième étage de la centrale de l’OGBL, à Esch-sur-Alzette, où elle reçoit le woxx. « On appelle tous les électeurs à voter pour le syndicat qui défend réellement leurs intérêts et se bat pour eux », déroule la présidente de l’OGBL, dans un argumentaire électoral convenu. Le « premier syndicat » du pays compte bien sûr le rester et espère consolider ses résultats à l’issue du scrutin, but somme toute naturel d’une candidature à une élection. Aux côtés de Nora Back, Frédéric Krier, membre du bureau exécutif, veut croire que le succès sera au rendez-vous, car le nombre d’adhésions à l’OGBL est en forte croissance depuis 2022, assure-t-il. Le syndicat revendique actuellement 76.000 membres. À son bilan, il inscrit notamment le maintien de l’indexation des salaires, obtenu avec les autres syndicats dans le cadre d’une tripartite, alors qu’il était remis en cause par le patronat face à la poussée inflationniste. Le syndicat peut aussi afficher sa récente et très médiatique victoire dans le conflit à l’usine Ampacet, à Dudelange, qui avait débouché sur 25 jours de grève autour du renouvellement de la convention collective. Une occasion de montrer sa détermination et sa capacité à soutenir une lutte sociale sur la durée.

« Politiquement, les temps se durcissent »

Prenant acte de la multiplication des crises et tensions, Nora Back s’inquiète de celles potentiellement à venir : « Le Statec alerte sur le risque d’une flambée des prix de l’énergie en 2025, ce qui aura des conséquences économiques pour les entreprises et le pouvoir d’achat des gens. » Dans une note publiée le 8 février, l’institut statistique s’avance, « avec prudence », sur une hausse dévastatrice de 17 % du prix du gaz et de 60 % pour l’électricité l’an prochain, en raison de la levée des boucliers tarifaires en Europe. « L’histoire sociale nous montre que, en temps de crise, ce sont toujours les travailleurs qui paient en premier », déplore la présidente de l’OGBL, concluant dès lors sur la nécessité de disposer « de syndicats forts ».

« Politiquement, les temps se durcissent, y compris ici », poursuit-elle. « On le voit avec l’interdiction de la mendicité à Luxembourg. Ce n’est pas quelque chose qui nous concerne directement, mais on s’est quand même prononcé contre, car on parle de la pauvreté et de la précarité des gens. » La polémique, qui imprime sa marque sur les premières semaines du gouvernement de Luc Frieden, n’est pas la seule question qui fâche à s’inviter dans le débat public, depuis l’entrée en fonction de la nouvelle coalition CSV et DP, en décembre.

Totalement absente des programmes électoraux de l’automne, la réforme des pensions, que le gouvernement entend mener pour sauver un équilibre financier qu’il prétend menacé, a fait grimper le thermomètre social de plusieurs degrés. Dans cette affaire, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, ce sont tant la forme que le fond qui hérissent le camp syndical. La ministre de la Sécurité sociale, Martine Deprez, a court-circuité les organisations en annonçant ses intentions dans la presse. « Cela montre le ton qui risque de prévaloir dans les prochaines années. C’est une stratégie et c’est assez symbolique de l’intention annoncée par le gouvernement de discuter davantage avec le grand public, en écartant quelque peu le partenariat à trois, qui fonde notre modèle social luxembourgeois », analyse Nora Back.

Sur le fond, l’OGBL s’oppose à l’amputation du régime par répartition en faveur d’assurances privées que les salarié-es devraient souscrire à titre personnel. Pas question de céder à cette vieille lune patronale, de privatiser partiellement les pensions, de diminuer les prestations ou d’augmenter l’âge légal de départ. Depuis les premières annonces dans la presse, les syndicats ont rencontré la ministre et « rien n’est encore véritablement sur la table », tempère Frédéric Krier. Pour la suite, l’OGBL se dit ouvert à une discussion afin de pérenniser et d’améliorer le système en faveur des assuré-es.

Pensions : vers un front uni

Des positions rigoureusement identiques à celles du LCGB, si ce n’est sur un point. Dans ses critiques, le syndicat chrétien dénonce une marche vers un système de pension de plus en plus inéquitable entre bénéficiaires du secteur privé, qui seraient lésé-es, et du secteur public, qui seraient avantagé-es. « Peut-être que le LCGB dispose d’informations que nous n’avons pas à ce sujet », ironise Nora Back. « Nous sommes représentés dans tous les secteurs économiques, ainsi que dans la fonction publique, et nous considérons qu’il ne faut pas diviser les gens qui travaillent », balaye-t-elle, rappelant qu’au sein du Conseil économique et social l’OGBL fait, sur la question des pensions, front commun avec la CGFP, le syndicat des fonctionnaires. Nora Back est néanmoins convaincue qu’une fois les discussions lancées, « on va tous tenir ensemble sur un sujet aussi important et crucial ». Un front commun pour lequel Patrick Dury, le président du LCGB, lui a déjà donné des assurances, en marge d’un débat télévisé, affirme-t-elle.

Cette unité suffira-t-elle à faire reculer le gouvernement sur ce projet jugé funeste par les syndicats ? L’union syndicale et la mobilisation de millions de personnes en France contre la récente réforme des retraites se sont heurtées à un mur. La présidente de l’OGBL voit une issue plus positive au Luxembourg, soulignant une spécificité hexagonale et convoquant les victoires syndicales décrochées ces derniers mois en Allemagne et aux États-Unis, pour des augmentations salariales sectorielles parfois conséquentes. Mais, convient-elle, « on voit qu’on est face à des politiques qui sont de plus en plus braqués sur leurs positions, même quand ils font face à une opposition forte. Il est vrai qu’on doit s’y adapter et essayer de se défendre avec tous les moyens syndicaux possibles. Mais cette attitude est aussi celle des patrons, dont les unions et fédérations d’employeurs sont assez fortes et qui ont désormais des amis qui vont les soutenir dans les rangs politiques ».

S’il y a cependant un devoir social auquel le gouvernement n’échappera pas cette année, c’est celui de présenter à l’Union européenne un plan pour porter à huit sur dix le nombre de salarié-es couvert-es par une convention collective, alors que seul-es un peu plus de la moitié le sont aujourd’hui au grand-duché. Il devra rendre sa copie au plus tard le 15 novembre pour dire comment il compte atteindre cet objectif de 80 %, chiffre qui n’a rien d’une obligation contraignante, s’agissant plutôt d’un horizon destiné à renforcer les droits des salarié-es en Europe. Cette recommandation plaide en faveur du collectif, à l’opposé d’un management qui, ces dernières décennies, a développé une gestion des ressources humaines centrée sur l’individu, renforçant la vulnérabilité de chaque employé-e pris isolément. Les syndicats ne sont pas toujours armés pour faire juridiquement face à la multiplicité et à la spécificité des cas particuliers et saluent donc cette ambition européenne. « Il faut sortir du discours des employeurs qui veulent faire croire qu’un patron va spontanément concéder un bon salaire et de bons horaires à son employé. C’est faux, car la relation entre un patron et un salarié n’est pas équilibrée », cingle Nora Back.

Reste à trouver le chemin pour y parvenir. Une première rencontre sur le sujet a eu lieu entre le ministre du Travail, les syndicats et les patrons, au sein du Comité permanent du travail et de l’emploi. Pour la présidente de l’OGBL, il faut « un nouveau cadre légal qui permette la conclusion de plus de conventions collectives, car la loi actuelle n’est plus adaptée à la structure de l’économie et des entreprises au Luxembourg ». D’après elle, l’objectif devrait être de créer un « climat de confiance » favorable à la conclusion de conventions collectives sectorielles, plutôt qu’au sein de chaque entreprise. « Si aujourd’hui un syndicat demande à un employeur l’ouverture d’une négociation pour une convention collective dans son entreprise, il est obligé de négocier, quand bien même cela peut ne pas déboucher sur un accord. Il faut étendre cette obligation aux demandes d’ouverture de négociation de conventions collectives sectorielles », propose-t-elle, parmi une multitude de pistes issues d’un catalogue de revendications élaboré par l’OGBL sur cette question.

Le « climat de confiance » dont parle Nora Back peut être favorisé « par des mesures incitatives », précise Jean-Luc de Matteis, également membre du bureau exécutif du syndicat. « On peut par exemple imaginer que les soumissions aux marchés publics soient conditionnées par l’existence d’une convention collective au sein de l’entreprise soumissionnaire », illustre-t-il. Mais il écarte l’incitation fiscale, un temps préconisée par l’ancien ministre socialiste du Travail Dan Kersch, pourtant réputé proche de l’OGBL.

« De toute façon, il y a déjà suffisamment de cadeaux fiscaux faits aux entreprises », tranche Nora Back, en référence aux multiples allègements et suppressions de taxes promises au monde des affaires. Une manière de rappeler que le programme de ce « gouvernement conservateur et libéral » est globalement en contradiction avec les positions de l’OGBL. « Nous sommes les défenseurs de notre modèle social, du dialogue social. Nous préférons cela plutôt que de descendre dans la rue, mais si c’est nécessaire, nous le ferons. La seule chose que nous avons pour nous opposer, c’est la masse de nos membres, l’union, la solidarité. On ne peut avoir recours qu’à ce levier. » Dont la force se mesurera aussi à l’aune de la participation aux élections sociales du 12 mars.


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