Coalisée pour la première fois des socialistes aux souverainistes du Jobbik, l’opposition a conquis Budapest et dix villes de droit comital aux élections locales du 13 octobre. L’exécutif Fidesz encaisse le choc.
István Tarlós n’a pas attendu la fin du dépouillement officiel pour féliciter son challenger. Dimanche vers 22h, le maire propouvoir de Budapest admet sa défaite face à l’écologiste Gergely Karácsony soutenu par un axe inédit allant de la gauche traditionnelle à l’extrême droite repentie et recentrée. Au terme d’une campagne extrêmement violente, le Vert ravit la capitale au parti de Viktor Orbán et l’opposition coalisée prive le Fidesz de dix des vingt-trois plus grandes villes du pays derrière Budapest.
« Facteur Borkai »
La formation du premier ministre enregistre son premier revers électoral depuis les municipales de l’automne 2006, gardant néanmoins le contrôle des dix-neuf conseils régionaux existant en Hongrie. Győr, siège magyar d’Audi et fief du maire Fidesz Zsolt Borkai, acteur de l’un des scandales majeurs de la campagne, échappe d’un cheveu aux adversaires de l’édile filmé avec des prostituées sur un yacht. Le Fidesz paie à l’échelon national les conséquences de ce séisme bouleversant le camp conservateur.
« L’impact du facteur Borkai s’est matérialisé non seulement à Győr mais aussi à Budapest, Miskolc, Pécs, Szeged et dans les petites villes », explique l’analyste politique Örs Farkas, proche de l’exécutif. « L’affaire n’a pas découragé les soutiens du Fidesz de se rendre aux urnes, le parti ayant d’ailleurs obtenu dans de nombreux endroits un total de voix supérieur au scrutin précédent de 2014 malgré les défaites locales, mais elle a indéniablement mobilisé les électeurs d’opposition », poursuit le chercheur.
Ancrées à gauche, Szeged et Salgótarján ont confortablement réélu leurs maires tandis que des bastions Fidesz comme Szombathely et Tatabánya basculent du côté des contempteurs du pouvoir. L’opposition hétéroclite mêlant socialistes (MSZP), gauche écologiste (Dialogue), réformistes (Coalition Démocratique), libéraux (Momentum), verts de centre-droit (LMP) et anciens néonazis dédiabolisés (Jobbik) s’est opportunément unie pour contourner un système électoral à un tour ciselé par le Fidesz.
Idylle fragile
Si l’écurie du premier ministre limite la casse malgré le tremblement de terre Borkai, des voix dissonantes montent au sein des troupes jusqu’ici aussi disciplinées qu’une armée suivant son général. Certaines reprochent aux ténors du parti et à Viktor Orbán d’avoir commis une erreur stratégique en ne poussant pas Borkai au retrait. D’autres évoquent un échec personnel du dirigeant hongrois qui s’était impliqué dans la campagne à Miskolc, Szeged et Gödöllö où le Fidesz n’a pas réussi à l’emporter.
« Le Fidesz n’a pas seulement perdu des villes, des arrondissements et des ressources le 13 octobre, mais aussi des bouches fermées », affirme le politologue Balázs Böcskei de l’institut libéral Idea Intézet. « Des révélations embarrassantes pourraient émerger des cercles domestiqués des années durant. Anciens du Fidesz, entrepreneurs tombés en disgrâce, directeurs de bibliothèque évincés sans motif valable et j’en passe sont autant de potentiels lanceurs d’alerte susceptibles de se venger », ajoute-t-il.
Après Bratislava, Prague et Varsovie, Budapest, quatrième capitale du groupe eurosceptique de Visegrád, se donne à son tour à un maire réfutant le national-conservatisme de l’axe centre-européen. Gergely Karácsony veut déclarer l’état d’urgence climatique, faire voter des mesures anticorruption et interdire dans les entreprises de la ville l’application de la « loi esclavagiste » (jusqu’à 400 heures supplémentaires annuelles par salarié payables dans les trois ans, ndlr) contestée tout l’hiver dernier.
En province, les réussites de l’opposition unie rééquilibrent quelque peu la carte politique du pays où le Fidesz reste néanmoins largement dominateur. Les divergences éclipsées au profit d’un pacte de circonstance risquent de ressurgir à l’aube des prochaines législatives favorisant les intérêts partisans. Les progressistes et l’extrême droite édulcorée ont gagné ensemble, mais l’unité est loin d’être acquise. La coopération devra être le maître-mot pendant trois ans pour espérer défaire Viktor Orbán en 2022.