État de la nation : Le climat, nouveau dada

Mauvais, le discours de Bettel ? Non, car le choix de le consacrer au climat était pertinent. Si, parce que, en dessous de la grandeur des formules, on devine la petitesse des politiques qui vont suivre.

Ne coulera point. Chantier de l’Olympic, sister-ship du Titanic. Quel avenir, quel modèle pour le Luxembourg ? (Photo: Robert John Welch, George Grantham Bain Collection, Library of Congress)

« Quand on a des visions, faut aller voir le médecin. » La fameuse boutade de Jacques Santer symbolise le manque d’éclat du CSV d’avant l’ère Juncker. L’ancien premier ministre par contre avait fait son miel des grandes visions. Même si, certaines années, l’élan affiché lors du discours sur l’état de la nation finissait par faire pschitt au bout de quelques mois, il reste que Jean-Claude Juncker savait faire rêver son public. Autrement dit, il avait besoin de se faire soigner – un compliment, venant des Santer de ce monde.

Le climat devenu « Chefsache »

De ce côté-là, Xavier Bettel est tranquille : aucune urgence de prendre rendez-vous chez le médecin. Cela fait cinq ans qu’il aligne les états de la nation, sans que les observateurs-trice-s ne ressentent le besoin d’ironiser sur son enthousiasme ou ses visions ambitieuses. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de donner de l’ampleur à ses discours, avec parfois des trouvailles, comme le rapprochement symbolique entre le démantèlement de la forteresse en 1867 et la réussite des politiques d’ouverture actuelles. Mais les qualités de Bettel sont ailleurs, et tout comme les feux d’artifice rhétoriques, les grandes visions politiques, ce n’est pas vraiment sa tasse de thé.

Et pourtant… En choisissant le changement climatique comme principal sujet d’un discours étonnamment concis, le premier ministre a délibérément adopté une vision plus large que d’habitude. Ainsi, il s’est référé au dernier rapport des experts de l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) et s’est montré choqué « que même le scénario le plus favorable produit des conséquences extrêmes pour la vie sur notre planète ». Il n’y a pas de raison de douter de sa sincérité, même si le fait d’éprouver un choc en « découvrant » des résultats pas si nouveaux en dit long sur le degré d’information antérieur de Bettel sur le changement climatique. Mais la conclusion qu’il a tirée du rapport est à la hauteur du défi : « Si rien ne change, si nous ne changeons rien, cela aura des conséquences dramatiques pour nous et pour la génération qui nous succède. Cela serait irresponsable, ce serait tout simplement incorrect et injuste. »

« Enfin ! », c’est ce qu’ont dit en substance les groupes engagés contre le réchauffement climatique, avant de se lancer dans une critique des positions de Bettel. Et il faut reconnaître que mettre le climat au centre du discours a été un beau geste. D’autant plus que Bettel s’est explicitement gardé de minimiser la responsabilité du Luxembourg, au contraire de ce que fait la majeure partie des politicien-ne-s luxembourgeois-es.

Mais ensuite, le premier ministre a un peu noyé son message au milieu des nombreux chiffres qu’il a alignés afin de démontrer que « nous nous engageons ». Un chiffre en particulier a ébranlé cette bonne impression : le Luxembourg réduirait ses émissions de 50 à 55 pour cent d’ici 2030 – alors que les ONG demandent bien plus. Le Climate Action Network estime qu’il faudrait 65 pour cent au niveau de l’UE pour maintenir le réchauffement en dessous de 1,5 degré, tandis que Youth for Climate réclame un objectif de zéro CO2 net pour 2030.

Réforme fiscale fourre-tout

Au-delà des chiffres, une des affirmations centrales de Bettel sème également le doute : « Un développement économique positif n’est pas en contradiction avec des objectifs climatiques ambitieux, bien au contraire. » Les exemples donnés – l’« AutomotiveCampus », qui remplirait, bien évidemment, « les critères de l’économie circulaire », et le Data Center de Google, qui devra être « aussi efficient en énergie que possible » – illustrent la modestie du changement de cap envisagé par le gouvernement.

Que dire du reste du discours ? Sur la protection des données, Bettel aurait pu frapper un second grand coup en dépeignant les dangers pour les libertés citoyennes. Il s’est contenté d’une approche défensive, tentant de réparer les dégâts de l’affaire autour de la banque de données secrète de la police. Le premier ministre a ensuite bien justifié son choix de ne pas aborder d’autres sujets importants – « trop importants pour n’y consacrer que quelques paragraphes d’un discours ». Pour ensuite passer à la plus grosse déception de la journée : l’annonce d’une réforme fiscale. Ce sera un projet fourre-tout, comme ceux qui l’ont précédé : un fond de réformette écologique, une individualisation fiscale coupée en lanières, un soupçon d’impôt foncier et – ingrédient essentiel pour un gouvernement dirigé par le DP – une baisse de l’imposition des entreprises. Quant à l’appel au dialogue concluant le discours, il n’a pas fait référence à la tripartite – façon de ménager encore le patronat qui est en train de détricoter ce dialogue institutionnalisé par excellence.

Pourtant, c’est du côté de la défense de l’environnement que les critiques ont été les plus promptes. Pour Blanche Weber, interviewée par la radio 100,7, Bettel a évité de s’attaquer à la « problématique de la croissance ». Autre omission relevée par la présidente du Mouvement écologique : des mesures concrètes pour atteindre les objectifs de réduction de CO2, mesures réclamées également par la Commission européenne dans son analyse du plan climatique luxembourgeois.

Image : Wikimedia/Boris Lux/CC BY-SA 3.0

Vision sans action

Reproches trop sévères ? Notons que le premier, tout en évitant d’utiliser le terme, a clairement affiché sa foi en une « croissance qualitative » : « L’histoire nous enseigne que les améliorations sont toujours le produit de l’innovation, du perfectionnement, de la technologie et du développement industriel. » Surtout, quel degré de précision peut-on exiger dans l’annonce de mesures à attendre d’un discours à caractère général ? Doit-on accorder à Bettel et à son gouvernement le bénéfice du doute ?

Malheureusement non, car le discours vu dans son ensemble représente une occasion gâchée. Il rappelle celui où Juncker avait proclamé que le logement deviendrait « Chefsache » (une affaire dont le chef s’occupe personnellement) sans préciser ce qu’il entendait faire, et sans rien faire par la suite. Mardi, le climat est devenu « Chefsache », mais ce qu’il faudrait vraiment, c’est déclarer l’état d’urgence climatique et agir en conséquence.

On en est loin. Quand le gouvernement évoque la mobilité future, il y laisse une place de choix à l’automobile, ce qui apparaît difficilement compatible avec les objectifs énergétiques affichés. Quant à la réforme fiscale, parions qu’elle continuera non seulement d’appliquer la politique de l’arrosoir, mais aussi de traiter la question stratégique des carburants fossiles avec un gant de velours. On évoque effectivement une hausse des accises, mais à hauteur de quelques cents seulement, et sans planification pluriannuelle. Si le climat était vraiment la priorité numéro un, ne faudrait-il pas taxer les émissions CO2 d’une main de fer ?

Quant au logement, le grand « oublié » de mardi dernier, il est également lié au réchauffement climatique, et notamment au sujet de la transition juste. Là encore, le gouvernement semble procéder par petits pas, alors qu’il faudrait une réorientation révolutionnaire de la politique. Enfin, sur le type de croissance qui est envisageable pour le Luxembourg, la discussion ne fait que commencer. Néanmoins, une « croissance qualitative », quelle qu’elle soit, n’est pas concevable sans lui tracer des limites claires. En se rabattant sur les paradigmes des décennies passées, de la diversification à la croissance (euphémisée en « développement »), Bettel a montré que le lien entre urgence climatique et politique économique n’a pas encore été fait.


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