Festival : Mai flamencophile 
au Luxembourg (3/3) 



Pour cette troisième interview consacrée au Flamenco Festival Esch, le woxx s’est entretenu avec Adriana Bilbao, depuis la ville homonyme.

Le spectacle « Burdina ». (Photo : Jass Photography)

woxx : Quels aspects de votre biographie mettriez-vous en avant et essayez-vous d’explorer ou d’exprimer dans vos créations ?


Adriana Bilbao : En général, ma vie est assez normale, et aussi dans le monde du flamenco. Je suis danseuse et, en particulier, bailaora. Les gens peuvent s’étonner, car je suis née au Pays basque, mais depuis l’âge de 17 ans je me forme en Andalousie, où j’ai rencontré des gens du monde entier, ce qui fait que je vis de façon tout à fait naturelle cette réalité. D’ailleurs, ma terre natale est toujours enracinée dans mon travail. Je suis très attachée à ma famille, à mes amis et à ma terre. Et quoique j’aie vécu ailleurs presque la moitié de ma vie, je suis toujours revenue, et mes créations montrent ma relation et mon amour absolu envers mon pays. Dans « Burdina » (en basque, ce mot signifie « fer », ndlr), ma première collaboration avec Beñat Achiary, chanteur et musicien d’Iparralde (Pays basque français, ndlr), je veux mettre en évidence les rapports entre le Pays basque et le reste de la péninsule, moi qui ai si longtemps vécu à l’extérieur. Beñat est un être magique, qui est arrivé dans ma vie au bon moment. Sa trajectoire est immense et il possède une sagesse et une culture énormes. Avec beaucoup de générosité et grâce à sa connaissance musicale, il m’a fait découvrir et sortir un nouveau langage que je gardais inconsciemment en moi.

Comment êtes-vous venue au flamenco ?


Enfant et jeune, ma mère – elle aussi de Bilbao – étudiait la danse et aimait particulièrement le flamenco. Elle s’est mariée, a eu des enfants et n’a plus dansé. Mais, plus tard, quand elle a recommencé à fréquenter les cours de danse, je l’ai accompagnée. Elle adorait danser ! Et quand elle écoutait du flamenco, je lui demandais comment elle pouvait écouter cette musique inintelligible… Une fois l’école terminée, la seule chose dont j’étais sûre, c’était que je voulais continuer à danser. J’ai vu une vidéo de la bailaora La Lupi et j’ai dit à mes parents que je voulais me consacrer à la danse. Ils ont accepté. Ils m’ont dit que je devrais étudier à l’université et en parallèle me former en flamenco. Je les remercie de m’avoir permis de partir et de continuer à faire ce que je souhaitais.

En quelque sorte, par votre travail vous rendez hommage à votre mère…


On pourrait dire que oui. Spécialement dans « Burdina ». Ce spectacle se situe dans un contexte minier et industriel. Le scénario est l’annonce d’une tragédie. Dans les entretiens que nous avons réalisés avec des anciens mineurs qui ont immigré dans la région au milieu du siècle dernier et avec leurs descendant-es, nous avons remarqué qu’il y avait un fait récurrent, à savoir la mort dans des circonstances tragiques et comment les familles faisaient pour s’en sortir. Dans cette pièce, la narratrice est une femme. On lui annonce une tragédie, et à partir de là elle raconte ses souvenirs : comment c’était avant, le voyage, l’arrivée dans un village différent, avec une autre culture, comment ces cultures se confrontent et se complémentent et comment elle doit aller de l’avant. Enfin, ce qu’on raconte, c’est ma vie ces dernières années. Car ma mère est décédée brusquement l’année où « Burdina » a vu le jour, en 2019, et pour moi cette pièce est devenue aussi une voie pour canaliser la douleur provoquée par la perte de ma mère, une sorte de thérapie. Ce spectacle est très spécial pour moi, parce qu’il est mon premier, le fruit d’un long travail. Nous avons fait plus de cinquante représentations, ce qui est extraordinaire.

Comment a été accueilli « Burdina » au Pays basque ?


L’accueil a été très bon. En fait, cela aurait pu ne pas être ainsi, à cause des clichés collés au flamenco dans le passé. Ce spectacle, qui n’est pas vraiment traditionnel, permet de découvrir le flamenco « autrement ». Et du coup il y a également des personnes qui viennent au tablao que nous organisons de temps en temps. Il faut s’ouvrir et briser la méconnaissance. Tout comme la tradition culturelle industrielle et minière présente dans « Burdina » est liée à la classe ouvrière, le flamenco est lui aussi un art né du peuple et pour le peuple, il provient des gens qui travaillaient et se battaient pour leur survie.

Un commentaire que vous souhaitez mettre en avant sur « Burdina » ? 


Ce que nous racontons dans « Burdina », c’est une histoire universelle. On oublie souvent que la richesse de cette région provient du travail des personnes représentées dans la pièce. Actuellement, on identifie Bilbao au Guggenheim, mais il faut penser aussi à ce qui existait auparavant. Quand j’ai de la visite, je montre la rive gauche, le musée des mines, Gayarta, le village situé sur une colline qui a été démoli et reconstruit un peu plus loin, pour pouvoir exploiter une mine de fer. Ce sont des histoires qui font partie de notre passé et c’est important de les connaître.

Une clé pour comprendre le spectacle ?


Beñat Achiary m’a dit au début du projet une phrase que je me suis appropriée : « La tradition bien vécue nous conduit jusqu’à notre propre liberté. » Dans « Burdina », j’évoque la mémoire du peuple, je souligne que nous ne devons pas oublier d’où nous venons et que les histoires se ressemblent, à Bilbao ou à Esch. Les familles ont dû traverser des situations très difficiles, dans un siècle marqué par des guerres et des mouvements sociaux, et nous leur devons nos conditions de vie actuelles.

Y a-t-il une valeur ou une marque que vous souhaitez particulièrement transmettre à vos élèves ?


Le plus important, à part prendre du plaisir, c’est d’avoir toujours les pieds sur terre et de chercher sa propre identité. J’essaie de me nourrir de sources différentes et je crois que l’on n’arrête jamais d’évoluer. J’adore prendre des cours, pas seulement de flamenco, et approcher d’autres disciplines. Tout s’additionne : il faut lire et écouter de la musique… Pour devenir professionnel, la persévérance, le travail et savoir où nous en sommes à chaque instant sont des qualités fondamentales.

Le mot de la fin ?


Nous avons très envie de venir à Esch et de partager notre aventure « Burdina ». C’est un spectacle vivant et chaque représentation est différente. J’espère que la magie que nous respirons sur scène touchera le public.

Plus de renseignements :
kulturfabrik.lu/news/flamencofestival-esch-2023

theatre.esch.lu

Du 16 au 27 mai se déroulera la 16e édition du Flamenco Festival Esch, coorganisé par le Círculo Cultural 
Antonio Machado, la Kulturfabrik, 
l’Escher Theater et la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg. Nous avons parlé avec quatre des artistes qui s’y produiront, dans les spectacles 
« Emparejados », « ¡Fandango! », 
« Tarab » et « Burdina/Hierro ».


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