Finance durable : Il est temps de passer de la parole aux actes

Une coalition de six ONG demande aux candidat-es aux législatives de prendre position en faveur d’une place financière réellement durable. Les organisations formulent dix recommandations pour une finance protectrice du climat, de la biodiversité et des droits humains.

Les fonds durables doivent le devenir réellement, car le temps presse face au dérèglement climatique et à la disparition des espèces, affirment les ONG. (Photo : Nattanan Kanchanaprat/Pixabay)

Une vache à lait et un chien de garde : c’est ainsi que peut se résumer le face-à-face entre la place financière et la société civile pour la réalisation d’une finance prenant en compte l’urgence environnementale et le respect des droits humains. Entre les deux, la politique, à laquelle il revient de réguler et contraindre pour orienter les investissements du secteur financier. C’est à elle que s’est adressée une coalition de six ONG [1] ce mercredi 12 juillet en formulant « 10 recommandations pour une finance plus durable », déclinées dans un document de 25 pages, présenté lors d’une conférence de presse tenue dans les locaux de la CSL à Luxembourg. Elles s’articulent autour de trois axes : le respect des droits humains, la protection du climat et la protection de la biodiversité.

En ligne de mire, les candidat-es aux législatives, dont la société civile attend une prise de position avant l’échéance électorale du 8 octobre, d’où sera issu le prochain gouvernement. Au Luxembourg, la question est tout sauf anodine, car le secteur pèse pour au moins un quart de la création de richesse du pays et sa place financière est l’une des plus importantes au monde.

« Les politiques et les professionnels présentent la finance comme la vache à lait du pays, mais ce n’est pas acceptable quand cela s’accompagne de violations de droits humains et environnementaux », argumente Jean-Louis Zeien, secrétaire général de Justice et Paix, revendiquant par ailleurs le rôle de « chien de garde constructif » des ONG. Pour les six organisations, le « constat est sans appel » : « Le secteur financier luxembourgeois est loin d’être durable et les déclarations d’intention non contraignantes ne permettent pas de changer fondamentalement les pratiques des acteurs financiers. »

Au-delà des frontières nationales

Cet état des lieux contredit une communication officielle véhiculant l’image d’une place financière particulièrement durable, notamment par la Bourse de Luxembourg, qui revendique le rôle de leader mondial dans l’émission d’obligations vertes. Pour échapper au greenwashing et au socialwashing dans lesquels se drape la place, les ONG demandent l’établissement « de critères de durabilité stricts et cohérents pour les produits financiers durables ». « Il manque des définitions claires et on peut revendiquer la dénomination de fonds durable quand bien même les investissements dans ce sens ne représentent que 5 ou 10 % du fonds », regrette Martina Holbach, chargée de campagne chez Greenpeace Luxembourg. Elle rappelle qu’une étude de son organisation a montré que les 100 premiers fonds d’investissement présents au Luxembourg « poursuivent des stratégies d’investissement qui conduiraient en moyenne à un réchauffement global de 4 degrés, loin de l’objectif de 1,5 degré de l’accord de Paris ».

Pour Jean-Louis Zeien, l’engagement doit aller au-delà des frontières nationales : « La proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance en matière de durabilité constitue une excellente opportunité pour le gouvernement de montrer son engagement pour une législation efficace et alignée sur les normes internationales dans laquelle le secteur financier est pleinement intégré. » Il pointe les contradictions en matière de devoir de vigilance des entreprises sur les droits humains : « D’un côté, le gouvernement encourage l’élaboration de la directive, mais d’un autre il veut exclure les fonds d’investissement du futur texte. »

Les recommandations des ONG visent également les banques. « Si l’une d’elles accorde par exemple un crédit de plusieurs centaines de millions d’euros pour une mine en Amérique latine, elle porte une responsabilité sur le respect des droits humains et de l’environnement jusqu’à échéance du crédit 10, 15 ou 20 ans après », affirme Jean-Louis Zeien.

Les ONG invitent également l’État à balayer devant sa porte. Par ses participations dans la SNCI, la Caisse d’épargne ou la BGL, « il se doit d’être exemplaire », affirme Antoniya Argirova, responsable plaidoyer de l’ASTM. « Il doit s’assurer que ses propres entités du secteur financier garantissent pleinement et immédiatement une conformité avec les normes internationales en la matière ».

Photo : Etika

Le lobbying de la finance

Le lobbying mené par la société civile pour une finance durable a son pendant patronal. Il est tout aussi actif et souvent plus agressif envers les politiques, auxquels les financiers demandent moins de contraintes. « Au niveau du monde politique (…), on a oublié d’où vient aujourd’hui la majeure partie de la richesse de ce pays », dit ainsi Christian Strasser, le président de l’Association des compagnies d’assurance (ACA) dans un entretien à Paperjam, le 6 juillet. Estimant que le pays « a perdu la fierté du secteur financier », il met en cause l’excès de réglementation à laquelle est, selon lui, soumise la place. Une surenchère à laquelle la période électorale n’est pas étrangère et qui, ces derniers jours, est démentie par les faits. Le 11 juillet, les député-es ont adopté plusieurs mesures réclamées de longue date par les fonds et créé des abattements fiscaux sur la taxe d’abonnement dont ils s’acquittent. Cette taxe de 0,05 % est imposée sur la totalité des actifs gérés par les fonds et représente environ un milliard d’entrées fiscales par an. Suivant les recommandations de la Commission européenne, le parlement a créé de nouveaux rabais, notamment pour le produit de retraite européen (PEPP). En revanche, aucune des dispositions votées ne prévoit une incitation aux investissements durables.

Des abattements fiscaux sur la taxe d’abonnement existent pourtant déjà pour les fonds dits durables. Celle-ci baisse à 0,04 % pour les fonds qui investissent ne serait-ce que 5 % dans des activités durables et jusqu’à 0,01 % pour ceux qui peuvent justifier de 50 % d’actifs qualifiés de durables. Inacceptable pour les ONG : « Ces seuils sont beaucoup trop bas. Les abattements ne devraient être accordés qu’aux fonds justifiant de 100 % d’investissements dans des produits alignés sur les objectifs de l’accord de Paris et sur les principes directeurs des Nations unies sur le respect des droits humains », tranche Julian Bernstein, coordinateur d’Etika.

Pas sûr que les ONG trouvent auprès du gouvernement une oreille aussi favorable que les professionnels de la finance. Ces dernières années, la société civile a mené un travail intense pour inciter les pouvoirs publics à moraliser un business trop souvent irrespectueux de l’environnement et des droits humains. Elle a produit un nombre impressionnant d’études documentées, à même de faire bouger les lignes. Pourtant, ces revendications trouvent peu d’écho auprès d’un gouvernement qui louvoie pour gagner du temps en faveur du business, comme c’est le cas sur le devoir de vigilance. Le chien de garde n’a pas fini d’aboyer.

[1] ASTM, Cercle de coopération des ONGD, Etika, Greenpeace Luxembourg, Paix et Justice ainsi que SOS Faim.
Le détail des 10 revendications pour une finance plus durable est consultable sur les sites internet des six ONG.

Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Kommentare sind geschlossen.