Hongrie : Blanka Nagy, icône jeune anti-Orbán

Passée de lycéenne anonyme à adversaire du régime en l’espace d’un discours enflammé, l’éloquente étudiante veut devenir conseillère municipale aux élections d’octobre dans la ville qui l’a vue grandir.

Photos: László Dragá

Blanka Nagy peine à monter son stand. Difficile d’avoir le coup de main lors d’une première campagne. Révélée fin décembre 2018 par un discours antigouvernemental corsé prononcé sur la place centrale de ­Kecskemét, cette jeune femme de 19 ans brigue un siège de conseillère municipale aux élections du 13 octobre dans la huitième circonscription de Kiskunfélegyháza, berceau de son enfance. Ce 26 août, la candidate de la coalition d’opposition « Avec toi pour notre ville » s’apprête à officialiser le soutien du parti centriste-libéral Momentum, surprise des européennes de mai dernier en Hongrie.

« Les architectes ne savent pas parfaitement construire des maisons après seulement deux mois de pratique », répond la politicienne en herbe aux accusations d’inexpérience des médias et de figures politiques proches du premier ministre magyar Viktor Orbán. « Personne ne m’a forcée à me présenter. L’idée me travaillait depuis le début de l’été et je sentais au fond de moi que je devais franchir le cap », précise l’ancienne militante lycéenne, fille d’ouvriers syndiqués à l’usine Mercedes de Kecskemét et petite-fille d’un ex-bourgmestre de province, inspirée par les discours de Barack Obama.

Intimidations

Blanka ne promet pas le « changement » ou « l’espoir », comme le premier président noir américain. Elle aimerait simplement débarrasser les routes et trottoirs du quartier de leurs dangereuses fissures, rétablir le lien avec les habitants d’un secteur négligé, selon ses dires, par la municipalité chrétienne-démocrate actuelle et battre en brèche le préjugé de la « jeune idiote », produit de ses contempteurs. « Misérable petite prolétaire » selon le polémiste orbániste Zsolt Bayer, la récente bachelière et future étudiante en droit à l’université de Szeged entend prouver qu’elle est capable de se lancer en politique.

Pin’s Momentum accroché sur une veste noire casual chic, la rousse aux sourcils soigneusement taillés entame, déterminée, la course aux signatures de citoyens appuyant sa candidature. Depuis son coup d’éclat hivernal contre le parti au pouvoir Fidesz (une « épidémie perfide »), Blanka ne compte plus les attaques sur son physique, son langage et son supposé absentéisme, qui ne l’a pourtant pas empêchée d’obtenir son baccalauréat. Ses parents ont même été convoqués mi-août par les services sociaux sur dénonciation anonyme, car ils élèveraient ses cinq frères et sœurs dans des conditions inacceptables.

« Les épreuves de ces derniers mois ont été extrêmement difficiles à vivre. Je suis devenue de plus en plus indésirable aux yeux de mes camarades de lycée, qui ont pris peur et ne voulaient plus être associés à moi en voyant les articles se multiplier et les commentaires négatifs pleuvoir sur Facebook », dit Nagy. « Cependant, avec le recul, je pense que ces difficultés m’ont renforcée tout en unissant ma famille. Certains amis sincères m’avouent être parfois inquiets, mais pas au point de vouloir me décourager », confie cette passionnée de théâtre, recalée de deux écoles au profit de postulants issus de milieux aisés.

« Aussi courageuse que têtue »

Égérie malgré elle d’une certaine jeunesse rejetant le conservatisme d’Orbán, Blanka s’est retrouvée fin janvier sur des faux billets de banque, fruits du Parti satirique du chien à deux queues. D’autres cibles du régime ont aussi eu droit à leur propre monnaie contrefaite, comme le financier américain d’origine hongroise George Soros, l’ancienne eurodéputée hollandaise Judith Sargentini, auteure d’un rapport très médiatisé sur l’oligarchisation et la corruption du « système Orbán » ou Jean-Claude Juncker, accusés communément par Budapest de complot contre la Hongrie avec l’aide de Bruxelles.

László Drága est l’un des fidèles restés auprès de Blanka malgré la tempête. Présent le 14 août avec son appareil lors de la divulgation de la liste incluant sa camarade, ce photographe de formation immortalise les échanges en centre-ville du lundi 26 août en la rassurant longuement entre deux approches infructueuses. Arrivé en voiture de Szeged où il perfectionne son art, « Laci » était l’un des tout premiers à savoir qu’elle se présenterait aux municipales, avant l’officialisation de l’information, et n’a guère ressenti de surprise face au choix de sa complice « aussi courageuse que têtue » rencontrée en 2017.

« Franchement, je n’aurais jamais été à même d’encaisser tous les coups infligés depuis son discours. Sa capacité de résistance m’étonne de jour en jour et elle a considérablement mûri en moins d’un an », observe László en réajustant son objectif pendant qu’une journaliste budapestoise interviewe Blanka. « Elle connaît bien les problèmes de sa ville, essaie de séduire toutes les couches de la population et n’est pas du genre à balancer des promesses en l’air. Si les électeurs ne lui accordent pas leur confiance, je sais qu’elle n’en fera pas une maladie et se concentrera sur ses études », complète « Laci », admiratif.

Devant le magasin Spar de l’avenue principale Lajos Kossuth, Blanka Nagy enchaîne les conversations sur l’état médiocre de la chaussée dans son secteur, l’émigration massive des trentenaires magyars vers l’Europe de l’Ouest (notamment l’Angleterre) et les raisons de son engagement politique. Les discussions terminées, la benjamine de l’alliance d’opposition « Avec toi pour notre ville » (« Veled a Városunkert » en version originale) offre aux signataires le stylo estampillé Momentum avec lequel ils ont encouragé sa candidature et les remercie d’un « Köszönöm szépen » rempli de gratitude.

Sollicitée sans succès par les socialistes du MSZP pour apparaître sur leur liste aux européennes, elle s’était affichée avec le Spitzenkandidat malheureux Frans Timmermans lors d’un congrès budapestois extraordinaire organisé mi-février. La Coalition démocratique de l’ancien premier ministre Ferenc Gyurcsány l’avait également conviée à la tribune lors du démarrage de la campagne du parti le 10 avril. Blanka Nagy s’est finalement laissée amadouer par les marques de sympathie des violets de Momentum, macronistes danubiens dont le croisement droite-gauche reflète ses valeurs personnelles.

Parole courtisée

« Blanka s’est rendu compte qu’il lui fallait une équipe et une communauté comme la nôtre pour l’épauler, plutôt que de se lancer seule dans cette aventure. On ne va pas se mentir, c’est une recrue de choix, mais en aucun cas un symbole ou un outil », témoigne Alexandra Bodrozsán, responsable régionale du parti et candidate à Kecskemét venue donner un coup de pouce à sa nouvelle collègue. « Quand je l’ai vue s’exprimer fin décembre, j’ai compris qu’elle avait du potentiel  mais il était hors de question de trop la bousculer pour qu’elle nous rejoigne », souligne la trentenaire entre deux cigarettes.

Tamás Horváth observe discrètement le ballet des signatures. Son épouse était l’une des professeures de Blanka au lycée Ferenc Móra, près duquel prospecte la candidate. Président de la section locale du MSZP, il perçoit en elle une « personnalité créative » et l’a convaincue de se présenter en réponse au désintérêt des jeunes envers la chose publique. Le matin même, ce conseiller municipal socialiste colistier de Blanka ignorait qu’elle accepterait l’appui de Momentum. Lui et les autres membres de la coalition ont découvert le pot aux roses sur Facebook, comme l’ensemble des observateurs hongrois.

« Personnalité créative »

Horváth était l’un des animateurs, dans sa ville, des manifestations de décembre contre la loi travail « esclavagiste ». Ce texte controversé, ratifié à deux semaines de Noël, permet aux employeurs d’imposer jusqu’à 400 heures supplémentaires annuelles par salarié, payables jusqu’à trois ans après. Quelques heures avant la diatribe antigouvernementale de Blanka Nagy devenue virale, il lui avait ouvert le micro lors d’un rassemblement organisé à ­Kiskunfélegyháza où sa protégée éreinta les neuf années d’administration Fidesz en insistant sur la dérive autoritaire du régime et son sentiment de ras-le-bol.

« Son choix de rejoindre ­Momentum sans nous avoir informés à l’avance brouille légèrement notre campagne pour ravir la mairie en octobre, mais elle est vraiment mûre et ambitieuse pour son âge », commente Tamás Horváth au sujet de sa comparse de l’initiative unitaire « Avec toi pour notre ville ». « Blanka doit se montrer prudente, car elle est animée par la fougue de sa jeunesse, susceptible de lui jouer des tours. Néanmoins, j’ai la conviction qu’elle peut incarner un exemple pour sa génération, profondément détachée de la politique », estime le paysagiste aligné dans la neuvième circonscription.

Au moment de se quitter, Blanka, Alexandra et deux militantes Momentum poursuivent leur quête de paraphes auprès des quidams sortant du travail et des parents rentrant de l’école avec leurs enfants. Fanni s’énerve de voir certains fuir sans même lui offrir à elle ou à Blanka l’opportunité de s’exprimer. Les sites d’information reprennent l’annonce de Nagy « likée » par les pontes de Momentum et certaines figures anti-Orbán. Un portail propouvoir relaie l’émoi d’un informateur secret évoquant la « terreur » qu’elle provoquerait à Kiskunfélegyháza. Une chose est sûre : Blanka sait faire parler d’elle.


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