Le nouveau Jarmusch est un bastion érigé contre la culture hollywoodienne. Un film nonchalant, attachant et drôle qui nous apprend une leçon sur la valeur de la vie et de la poésie sans forcer le trait.
À première vue, Paterson est une bulle dans laquelle vit Paterson. Le personnage principal, dont le prénom est « vraiment » un homonyme de la ville de naissance y trouve encore une autre correspondance. Car c’est dans cette ville que le grand poète américain William Carlos Williams écrivait son poème épique qu’il a mis plus de trente ans à finir. Le nom du poème ? Paterson évidemment. Donc trois fois Paterson.
Mais quiconque serait tenté de croire que dès le départ, le jeu est joué et que Jarmusch nous ressert un de ces scénarios abscons dont il a la formule – on se rappelle avec une mélancolie amère de « Broken Flowers » par exemple -, se trompe. « Paterson », c’est une fable d’amour subtile et un hymne à la vie faussement léger. C’est le quotidien du couple que forment Paterson et sa jeune femme Laura, une douce rêveuse qui change d’ambition comme elle change les décorations – obsessionnellement noires et blanches – de leur petite maison. C’est-à-dire tout le temps. Ce faisant elle contraste un maximum avec son mari, qui lui, est la constance en personne. Chauffeur de bus dans sa ville natale, il se lève chaque matin de bonne heure, finit son bol de céréales et se rend à son hangar. Le soir quand il rentre, il remet en place sa boîte aux lettres, que Marvin, le bouledogue anglais du couple, se fait un plaisir de renverser jour après jour, dîne avec sa femme et va promener le chien. Sur son chemin, il va boire une bière dans le même bar tous les soirs. Ce qui, en passant, donne lieu à quelques savoureux et empathiques dialogues à la Jarmusch. Et le lendemain, c’est rebelote. La seule chose exceptionnelle dans la vie du triple Patterson, c’est son petit carnet dans lequel il note ses poésies.
Un carnet secret auquel sa femme a parfois accès dans le cadre d’une des rares lectures privées. Néanmoins, Laura travaille Paterson chaque jour pour qu’au moins il fasse des photocopies de ses poèmes. Et il sait que face à la ténacité de son épouse, il ne fait pas le poids. Donc, vers le weekend – le film suit le quotidien du protagoniste sur exactement une semaine – il décide de céder.
« Paterson » est un contre-modèle de film américain, ce qui ne devrait pas étonner : son réalisateur est une figure éminente de la contre-culture américaine. Et pourtant, c’est probablement le Jarmusch le plus abouti des dernières années qui illumine les salles obscures en cette fin d’année en proie à une sinistrose aigüe.
Il sort le spectateur de l’hystérie ambiante et plutôt que de l’embarquer dans un scénario fantastique ou de science-fiction, il l’emmène dans une bulle où règne une placidité heureuse qui enveloppe tout. Un endroit où même les crises les plus graves peuvent être zappées d’un clin d’œil, où tout se discute en paix sans cris et sans coups de gueule. Bref, une Amérique qu’on n’a plus entrevue depuis très longtemps.
S’y ajoute que Jarmusch a délaissé un tant soit peu – mais pas totalement – son fada pour la musique qui a longtemps été le fil rouge de ses fictions. Il se concentre sur le texte, et avant tout sur la poésie que le spectateur a le droit de découvrir quasiment en direct au fil des pages qui se remplissent. Si vous voulez vous faire plaisir avant Noël, courez-y ! Ce n’est pas parce que nous ne l’écrivons pas qu’il ne se passe vraiment rien à et dans « Paterson »…