S’attaquer au changement climatique, c’est ce qu’exigent les manifestant-e-s. Négocier, déclarer, optimiser, c’est ce que veulent bien faire les politicien-ne-s.
Aux grands maux les grands remèdes ! « Ne faudrait-il pas redéfinir la notion de croissance économique, qui guide les activités économiques des sociétés afin que, quand le fondement écologique de la vie humaine rétrécit, cela soit compté comme une croissance négative ? » La suggestion avancée par l’ONG allemande Germanwatch est radicale, mais cohérente. Face au défi du réchauffement global et aux autres crises écologiques, les cadres dans lesquels ont évolué l’économie et la politique pendant deux siècles sont dépassés. Les solutions innovantes dont l’humanité a besoin nécessitent aussi de nouvelles manières de penser.
Et Germanwatch de s’interroger : « Comment sera organisée la coopération internationale, alors qu’il apparaît fort possible que, dès 2050, des mégalopoles comme Mumbai devront être relocalisées ? » Certainement pas de la manière dont sont organisées aujourd’hui les conférences climatiques comme la COP25, qui aura lieu à partir de lundi prochain à Madrid (voir l’article « COP25, improvisierte Klimarettung »).
Greta, souffleuse pour Xavier
Que s’est-il passé depuis l’accord de Paris, adopté à l’issue de la COP21 et considéré alors comme une grande avancée ? On est frappé par l’immobilisme de la part des acteurs politiques et économiques, qui ont adopté des mesures fort modestes en faveur d’une transition énergétique, voire essaient d’empêcher l’abandon des énergies fossiles. Mais il y a aussi eu des changements : des études ont confirmé la nécessité absolue de limiter le réchauffement à 1,5 degré, d’autres ont mis en évidence que les engagements pris à Paris par les pays émettant le plus de CO2 étaient largement insuffisants et allaient conduire à un réchauffement de plus de 3 degrés.
Ce qui a surtout changé, depuis un an, c’est que la mobilisation en faveur du climat ne se limite plus aux militant-e-s des ONG spécialisées dans la protection de l’environnement et l’aide au développement. Avec le lancement des grèves pour le climat par Greta Thunberg il y a un an, le climat est devenu un sujet important pour la jeune génération. Du coup, l’ensemble de la classe politique se sent interpellé, phénomène illustré par exemple par le verdissement du discours sur l’état de la nation de Bettel le mois dernier. On a pu mettre en garde contre la superficialité des jeunes – nous redouterions plutôt celle des politicien-ne-s – ; toujours est-il que cela crée des circonstances favorables pour mener un débat public international sur la menace terrible que représente pour l’ensemble de l’humanité le risque d’un réchauffement incontrôlable.
Concrètement, la réduction des émissions de CO2 passe par les « nationally determined contributions » (NDC), les contributions auxquelles se sont engagés individuellement les pays. Depuis l’accord de Paris, et contrairement au mécanisme de Kyoto, ces réductions ne sont pas fixées d’office, mais sont effectuées de manière volontaire (voir woxx 1555 « Erst Verpflichtung, dann Freiwilligkeit »). L’accord a seulement prévu un mécanisme de réévaluation des NDC et l’obligation de les revoir à la hausse, le cas échéant.
Le fonds qui n’existe pas
« À Madrid, les États doivent s’engager clairement à fournir des versions améliorées de leurs NDC », écrit Germanwatch dans son rapport « Zeit zum Handeln – Erwartungen an die COP25 in Madrid » (lien : woxx.eu/gewazeit). L’ONG fait le tour des enjeux des négociations à venir et avance des recommandations concrètes et conséquentes, tout en restant dans le cadre tracé par les négociations passées. Ainsi Germanwatch insiste sur le fait que, si les pays annoncent des objectifs ambitieux à l’horizon 2050, ils doivent revoir à la hausse leurs NDC à court terme afin de rester cohérents. Dans le cas de l’Union européenne, l’ONG considère une NDC de 55 pour cent pour 2030 comme un minimum et recommande d’étudier la faisabilité d’une réduction de 65 pour cent des émissions de CO2.
La finance climatique est un autre sujet qui nécessiterait des avancées importantes. L’objectif de 100 milliards de dollars annuels mis à disposition des pays en développement par les pays industrialisés sera-t-il atteint en 2020 ? Ces fonds destinés à des mesures d’atténuation du réchauffement et d’adaptation au changement climatique symbolisent la volonté des pays riches d’assumer leurs responsabilités – ou non. Au-delà de la dimension quantitative, Germanwatch relève aussi que seulement un cinquième des fonds étaient destinés à l’adaptation, alors que les pays du « Global South » sont particulièrement touchés par les conséquences du réchauffement climatique. De surcroît, la majeure partie des fonds est fournie sous forme de prêts – Germanwatch considère comme douteux le fait que les pays industrialisés comptabilisent intégralement ces fonds après tout remboursables.
Qu’en est-il des dommages et pertes subis à cause du changement climatique ? Alors que ceux-ci se multiplient, le système de dédommagements prévu dès 2013 à travers le « mécanisme de Varsovie » n’est toujours pas en place. Sujet délicat, car pouvant impliquer des sommes énormes – on voit par conséquent se multiplier les plaintes individuelles contre institutions et entreprises coupables d’avoir contribué au changement climatique.
Sauvons… les marchés !
Enfin, c’est à Madrid que devra être concrétisé l’article 6 de l’accord de Paris, concernant les mécanismes de coopération. C’est lui qui permettra aux pays riches d’effectuer une partie de leurs réductions d’émissions de CO2 ailleurs et, estime Germanwatch, d’améliorer le rapport coût-efficacité de la protection du climat au niveau mondial. L’ONG met cependant en garde contre les risques de cette approche : réductions factices, double comptage, impact négatif sur le plan environnemental et social ainsi que violations des droits de l’homme. Bref, tout ce qu’on a déjà vu avec des mécanismes comparables dans le cadre de l’accord de Kyoto. Et Germanwatch de recommander l’adoption de règles strictes pour le décompte des réductions effectuées ailleurs et de critères sociaux et environnementaux pour les mesures financées de cette manière.
Ces recommandations, qui sont rejointes par celles du Climate Action Network présentées ce mercredi, sont-elles à la hauteur de l’enjeu ? En prenant du recul et en dépassant l’horizon des négociations institutionnalisées au niveau des COP, on ne peut que rejeter le « sauvetage du climat » qu’on nous concocte actuellement. Car les discours sur les marchés au service du climat et sur le win-win de la transition écologique occultent une vérité fondamentale : le réchauffement climatique n’est pas une mine d’or à distribuer, mais une perte économique à répartir de manière juste parmi la population mondiale. C’est cela qu’il conviendrait de négocier.
Le libéralisme économique convient-il comme base de cette entreprise, alors que c’est lui qui pousse à la recherche du profit en externalisant les coûts, à la croissance sans limite et sans raison, à l’augmentation des inégalités sociales et culturelles ? La nécessité d’intégrer des changements sociaux au processus de transition écologique a été illustrée par la révolte des Gilets jaunes en France. Et le mouvement de protestation chilien, qui a conduit au déplacement de la COP25 à Madrid le confirme : les populations ne voudront pas d’un « sauvetage du climat » s’il s’accompagne d’injustice sociale. Au Chili, la société civile réclame le remplacement de la constitution héritée de l’ère Pinochet. Pour vraiment sauver le climat, ne faudrait-il pas d’abord abolir partout le cadre institutionnel néolibéral, y compris au niveau de l’Union européenne et au niveau de l’ONU ?