Le Luxembourg profite d’une croissance extraordinaire mais robuste, nous dit l’OCDE. Mais il s’agit de préserver le bien-être et de le partager mieux – notamment en matière d’accès au logement.
Si on compare les études de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) sur le Luxembourg au fil des années, on a l’impression d’un déjà-vu, d’un texte qui se ressemble d’une échéance à l’autre et qui ne nous apprend pas vraiment quoi que ce soit de nouveau. D’abord parce que les problèmes esquissés, on pense bien les connaître, et puis parce que l’organisation dont le siège se trouve à Paris n’a pas tendance à changer de lunettes trop souvent.
Mais il serait injuste de dire que l’OCDE d’aujourd’hui n’aurait pas évolué, si on la compare à ses débuts, où elle a succédé à l’Organisation européenne de coopération économique, un organe de surveillance mis en place par les États-Unis pour veiller au « bon emploi » des moyens mis à disposition à travers le plan Marshall après la Seconde Guerre mondiale. Les idées de Keynes, qui avaient inspiré le président américain Franklin D. Roosevelt, venaient d’être mises au placard et il fallait prôner le libéralisme économique face au « bloc de l’Est ».
L’OCDE devait aider les pays industrialisés dotés d’une économie de marché et d’un gouvernement élu démocratiquement à ajuster leurs politiques pour donner voie à la croissance et au progrès. Après la fin des « trente glorieuses », les différentes crises « structurelles » et l’ébranlement du système « ennemi », l’OCDE s’est doté d’une nouvelle « corporate identity » et dit dorénavant « œuvrer pour la mise en place de politiques meilleures pour une vie meilleure ». Bon, ce n’est pas devenu le Mouvement écologique à l’échelle planétaire, mais les changements dans les approches dépassent – surtout si l’on regarde plus en détail – le stade d’une opération purement cosmétique.
Si l’organisation, qui regroupe aujourd’hui 36 pays, dont le Luxembourg comme membre fondateur, poursuit toujours des objectifs fermement ancrés dans le libéralisme économique, elle sait profiter néanmoins d’une certaine indépendance et peut compter sur un staff de 3.300 personnes : « des économistes, des juristes, des scientifiques, des analystes des politiques, des sociologues, des experts du numérique, des statisticiens et des professionnels de la communication, entre autres », nous apprend la plaquette de présentation. « Ils sont bien équipés pour documenter et visualiser des statistiques qui existent déjà par notre travail », nous explique, un peu amèrement, un expert luxembourgeois présent lors de la présentation de l’étude la plus récente. Celle-ci a e lieu ce mercredi au « 19 Liberté », le nouveau « centre bancaire » de la BCEE qui n’est autre que l’ancien siège de l’Arbed (devenue ArcelorMittal) – comme pour illustrer la mutation d’une économie à dominante industrielle vers un centre financier international.
Une recommandation que l’OCDE adresse depuis des décennies au Luxembourg, c’est de revoir son système de pension : « les coûts liés au vieillissement devraient augmenter sensiblement », nous rappelle-t-on également cette année, mais les recommandations sont moins virulentes que dans le temps et ne sont plus mises en avant comme « le problème » à résoudre. Par contre, l’étude datée de 2019 aborde surtout le problème du logement. Une raison suffisante pour que Sam Tanson (Déi Gréng), ministre du Logement, assiste avec le ministre des Finances Pierre Gramegna (DP) à la présentation. Celle-ci a été donnée, cette-fois-ci, par le secrétaire général de l’OCDE Angel Gurría en personne.
Ce dernier, ancien ministre des Affaires étrangères et du Budget mexicain, est resté volontairement diplomatique dans son discours et a félicité le Luxembourg pour ses bons scores, tout en appelant à « préserver et partager la prospérité », comme l’indique par ailleurs le communiqué de presse sorti à l’occasion. Mais certaines des pistes qu’il a tout juste effleurées pourraient faire du mal à toutes celles et tous ceux qui continuent à penser qu’il suffirait de laisser agir les « forces du marché » pour que l’offre et la demande en logements puissent arriver à un équilibre et freiner la flambée des prix.
Les forces du marché en défaillance
Bien au contraire, l’OCDE, qui pendant des décennies a participé au concert des autres grandes organisations internationales comme le FMI ou la Banque mondiale pour appeler à plus de privatisations et à plus de concurrence pour permettre une baisse des prix, prône maintenant, en matière de logement, une prise en main plus dirigiste par les instances publiques – gouvernement et communes compris.
En nous comparant à d’autres pays analysés par l’OCDE, on peut constater que le Luxembourg est pratiquement le seul pays dont le nombre de logements au courant des dernières années a augmenté moins vite, en chiffres relatifs, que le nombre des habitant-e-s. Si d’autres pays connaissent une crise du logement, parce qu’ils n’arrivent pas à combler assez rapidement le déficit accumulé au courant des dernières années, le Luxembourg voit ce déficit s’agrandir d’une année sur l’autre.
Les mesures proposées par l’étude de l’OCDE ne sont pas moins drastiques : il faudrait « accroître le coût d’opportunité des terrains inutilisés en réformant les impôts périodiques sur la propriété immobilière » – c’est le fameux « Grondsteier », impôt foncier tellement bas au Luxembourg que sur un graphique de comparaison avec d’autres pays on le distingue à peine, comme l’a indiqué ironiquement Angel Gurría. Au-delà de sa pure augmentation, l’OCDE propose d’augmenter de façon encore plus significative l›impôt sur les terrains constructibles que les propriétaires préfèrent ne pas mettre à disposition du marché immobilier.
Même son de cloche au niveau des communes : il s’agirait de les inciter « à sanctionner les propriétaires et les promoteurs immobiliers qui n’utilisent pas leurs permis de construire », en diminuant les transferts directs de l’État vers les communes qui ne respecteraient pas ou partiellement seulement cette règle. L’OCDE incite aussi les pouvoirs publics à « étoffer le parc de logements locatifs sociaux tout en préservant la mixité sociale ». Une idée qui est, enfin, inscrite dans le programme gouvernemental, mais sans véritable obligation de résultat, faute d’indication d’un objectif quantitatif.
Pour y arriver, l’OCDE propose de « faire financer directement l’acquisition de nouveaux terrains par les promoteurs publics », voire l’État et les communes, et d’arrêter parallèlement la vente des terrains déjà en possession des derniers. Une proposition qui devrait satisfaire l’actuelle ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding (LSAP), qui doit trouver un équilibre entre les besoins cuisants en matière de logements et la sacro-sainte « autonomie communale ». Alors qu’elle vient de lancer sa campagne pour une réforme de la loi sur la tutelle de l’État sur les communes – qui devrait en principe être allégée –, elle s’est vue attaquée par des député-e-s maires d’opposition parce qu’elle avait indiqué qu’elle n’accepterait plus à l’avenir que les communes vendent des terrains à bâtir avec comme seule fin de faire des profits.
Mais les recommandations de l’OCDE ne se limitent pas uniquement à des mesures d’ordre fiscal : l’institution ose aussi se prononcer sur certains aspects d’une politique urbaine particulièrement ratée au Luxembourg. Il s’agirait, par exemple, d’augmenter « la densité résidentielle, notamment autour des pôles de transport, en construisant des bâtiments plus hauts ».
Un argumentaire riche en illustrations
Comme pour chaque étude qui fait état d’une situation difficile, la lecture peut être double : on peut y voir soit un constat d’échec et demander aux acteurs en place de laisser leur place, soit un moyen d’incitation à redoubler d’efforts. Un peu comme les taxes environnementales, prônées par « Déi Gréng » et mises en avant par la coalition en place, alors que le Luxembourg se retrouve parmi le dernier tiers des États membres de l’OCDE : en 2016, ces taxes représentaient 1,75 pour cent du PIB au Luxembourg, alors que les champions danois redistribuent jusqu’à 4 pour cent de leur PIB via cette taxation. Peut mieux faire, conclut l’OCDE pour notre pays.
Lors de la session de questions et réponses, Sam Tanson a bien pu expliquer ce que son ministère était en train de préparer en vue d’une réforme globale de la politique en matière de logement social – augmentation significative du parc locatif au détriment des logements vendus, emphytéose au lieu de vente définitive… –, mais en ce qui concerne les aspects purement fiscaux en matière de logement, elle n’a pas voulu aller au-delà de l’indication que son équipe était en train de discuter de cela avec celle du ministère des Finances. Pierre Gramegna a bien voulu le confirmer, mais n’a pas, de son côté, expliqué à quoi on devrait s’attendre exactement.
La ministre du Logement, en tout cas, dispose maintenant d’un argumentaire richement illustré de ce qu’il faudrait faire. Un éventail de propositions provenant en plus d’une institution à laquelle on peut faire beaucoup de reproches, à part celui de prôner le collectivisme et une politique du non et des interdictions. Ce sont pourtant là les critiques lancées par l’opposition de droite envers le gouvernement et plus particulièrement ses membres vert-e-s, lors d’un débat houleux la semaine dernière qui portait entre autres sur… la politique du logement.