La jeunesse en Lorraine dans les années 1990 : entre désœuvrement et désindustrialisation, Nicolas Mathieu raconte avec beaucoup de finesse et d’empathie les destins croisés des habitant-e-s d’une vallée perdue, totalement dans l’Est.
Quand on met ensemble les deux notions de « roman français » et « région », on pense plutôt aux côtes bretonnes, à la douceur provençale ou encore à la chaleur méditerranéenne – mais pas forcément à la Lorraine. Et pourtant, avec « Leurs enfants après eux », Nicolas Mathieu réussit le tour de force d’écrire une ode au Rust Belt français. Et cela sans s’apitoyer sur le sort de ses personnages et sans taper sur le système nerveux du lecteur avec la nostalgie du bon temps de l’industrie.
« Leurs enfants après eux », c’est avant tout le récit de plusieurs jeunesses : celle d’Anthony, issu de la classe ouvrière, avec son père alcoolique et sa mère sous Xanax, celle de Steph aussi, qui profite de ses origines bourgeoises pour quitter la vallée damnée, et puis aussi celle de Hacine, le petit rebeu qui vit avec sa communauté dans des tours presque désaffectées, survivant grâce au shit qui vient de son Rif natal. Au cours des quatre étés que décrit Mathieu (1992, 1994, 1996 et 1998), ces personnages vont se croiser, se battre, grandir et perdre une bonne partie de leurs illusions – pour finalement s’accommoder de leurs sorts.
Le décor, une vallée et un bled où l’industrie a laissé un énorme vide après son départ, est changeant. À travers son texte, Mathieu donne aussi à voir les renversements sociologiques de cette transition : les forces de gauche se réduisent comme peau de chagrin et les technocrates s’emparent du pouvoir, faisant miroiter à la population des promesses de reprise économique (toujours à crédit). Et puis il y a aussi le petit voisin attrayant, le Luxembourg, dont le développement rapide vide la région de ses habitant-e-s et de sa substance.
L’exploit de Mathieu est de rendre palpable cette situation complexe. Et de montrer que même des événements qui peuvent paraître paradoxaux prennent tout leur sens. Comme quand lors de l’enterrement d’un ex-syndicaliste devenu adhérent du Front national, les anciens ouvriers arabes du coin viennent naturellement.
Roman social mêlé à une prise de roman noir, « Leurs enfants après eux » se lit presque d’une traite – le style est fluide, les personnages décrits avec empathie et les retournements narratifs donnent une agréable tension. Bref, même si on n’aime pas la Lorraine et les mirabelles, un roman à lire absolument.