Politique d’asile : Chiens de faïence

Le conflit entre les associations de soutien aux réfugié-e-s et les autorités autour des problèmes de dépôt des demandes de protection internationale ne s’est pas calmé – les deux partis continuent de camper sur leurs positions.

On l’a sûrement informé sur le port correct du masque, mais il ne s’est pas laissé intimider : le ministre Jean Asselborn lors de la visite d’un nouveau foyer à Wasserbillig, le weekend dernier. (© MAEE)

« À peine quelques jours après que notre action devant les bureaux de l’Immigration s’est terminée, ça a recommencé » : Cassie Adélaïde, de l’association Passerell, qui offre entre autres de l’aide juridique aux réfugié-e-s, en a gros sur la patate. L’action en question, c’étaient des volontaires du LFR (Lëtzebuerger Flüchtlingsrot – organisation qui regroupe associations et ONG actives dans le travail avec des réfugié-e-s) qui se tenaient devant les bureaux de l’Immigration pour informer de leurs droits les personnes souhaitant déposer leurs demandes. Cette action faisait suite à un communiqué du LFR paru vers la mi-août, dans lequel la Direction de l’immigration était accusée de décourager les cas qui lui semblaient sans espoir de déposer leur demande, de les trier sur le volet et de ne pas respecter la présomption de minorité de certain-e-s réfugié-e-s.

Alors que pendant cette action, qui a duré deux semaines, il semble que les demandes aient toutes été enregistrées correctement, les problèmes ont recommencé dès que les volontaires ont levé le camp. Cassie Adélaïde raconte le cas d’une famille afghane débarquant d’un camp de réfugié-e-s en Grèce, celui de Malakasa près d’Athènes. Si les conditions de vie ne sont pas aussi dures que celles dans le camp tristement d’actualité de Moria, ça ne veut pas dire qu’elles sont idéales. En réponse à la crise sanitaire, les autorités grecques ont tout simplement fermé le camp début avril, abandonnant quelque 1.600 personnes à leur sort. Une situation peu soutenable pour des gens qui ont fui la guerre et la misère. D’autant plus que les conflits violents qui sont à l’origine des fuites s’importent souvent dans ces camps, où des gens d’origines très diverses doivent cohabiter dans de très mauvaises conditions.

La famille débarque donc au Luxembourg, dans l’espoir de redéposer une demande de protection internationale, même si son statut de réfugiée est déjà reconnu en Grèce. Un dossier donc qui a peu de chances d’aboutir ; cela n’empêche que les autorités luxembourgeoises sont obligées de prendre en compte la demande et d’ouvrir un dossier – c’est prévu par la convention de Genève. Or, ce qui se passe est que la famille se retrouve quelques heures plus tard avec une déclaration préremplie et signée, pourtant sans sceau officiel, selon laquelle le père de famille aurait renoncé à déposer sa demande.

Garanties procédurales inappliquées

« Or, ce n’était pas le cas », déclare Cassie Adélaïde. « Nous sommes intervenu-e-s auprès de la Direction de l’immigration, qui a fini par nous répondre que la famille pouvait se représenter le lendemain. » Ce qu’elle a fait : « Après avoir passé une journée entière sans un repas complet de 7h à 16h avec deux enfants dans les bureaux, elle est ressortie sans attestation de demande de protection internationale et avec une décision d’irrecevabilité. Les garanties procédurales ne sont pas appliquées. Et toute la famille s’est retrouvée dans la rue. »

Une situation dramatique qui a demandé plus de quatre heures à Passerell pour être résolue. Le ministère ayant orienté parents et enfants vers le foyer Ulysse, mais celui-ci ne pouvant pas les recevoir, l’association s’est tournée vers la police, qui les a finalement rapatriés vers 21h au foyer de Mondercange, où résident les candidat-e-s au primo-accueil. Entre-temps, la famille a pris un avocat et compte faire un recours en justice contre la décision d’irrecevabilité de sa demande.

Et ce n’est pas le seul cas qui a échoué sur les bureaux de Passerell. Depuis le début de l’année, une demi-douzaine de réfugié-e-s et parfois leurs familles se sont heurté-e-s à la bureaucratie grand-ducale. Même le confinement n’a pas arrêté la machine. Un cas documenté en avril, alors que la pandémie battait son plein, l’illustre : une personne qui s’était présentée aux bureaux de l’Immigration n’a pas vu sa demande d’asile enregistrée et a été sommée de retourner on ne sait pas bien où. « Or, à ce moment-là, les frontières avec la Belgique étaient fermées et les autorités belges n’enregistraient plus du tout les demandes, leurs bureaux étant fermés », constate Cassie Adélaïde.

Tous les cas relatés ici ont été documentés par Passerell. Une documentation que le woxx a pu consulter sur place. Au-delà des témoignages recueillis, y figurent aussi les échanges de mail entre l’association et la Direction de l’immigration. Ce qui veut dire que cette dernière est bel et bien au courant des faits qui se déroulent dans ses bureaux, et pourtant s’obstine à les nier. Comme encore cette semaine, lorsque deux questions parlementaires de la part des députés pirates sur les reproches du LFR sont revenues avec le commentaire laconique : « Le ministre de l’Immigration et de l’Asile ne peut pas confirmer les reproches suggérés et renvoie pour toute explication à sa déclaration du 11 août. »

© Pikist

Démenti énergique de la Direction de l’immigration

Contacté par le woxx, le directeur de l’Immigration Jean-Paul Reiter dément énergiquement les reproches du LFR et des associations qui le composent. Pour lui, il s‘agit d’« un procès d’intention ». Pour expliquer que certaines personnes qui se présentent au guichet renoncent à demander la protection internationale − sur 788 personnes, seules 443 ont déposé leur dossier –, Reiter avance : « Nous avons aussi un devoir d’information. Et si nous sommes en présence de cas où nos services voient qu’il n’y a aucune chance d’aboutir, nous le leur disons. Nous leur demandons de bien réfléchir : déposer une demande qui finira par être rejetée est-il bien ce qu’ils veulent ? », explique-t-il.

Pour le directeur de l’Immigration, il n’y a en aucun cas volte-face par rapport à Passerell : « Pour moi comme pour eux, il est indiscutable qu’empêcher les gens de déposer leur demande est illégal. C’est pourquoi nous acceptons toutes les demandes et ouvrons des dossiers, même si, quelques heures plus tard, on les clôt parce qu’ils sont irrecevables. Il faut comprendre qu’on est souvent en présence de personnes qui ont un statut de réfugiées en Grèce, qui y habitent même dans des appartements, mais à qui on a fait miroiter par le bouche-à-oreille que le Luxembourg était un pays de cocagne. »

Et de pointer aussi vers une autre possibilité pour ces cas précis, qui ont déjà un statut de réfugié-e reconnu-e par un autre État membre. En tant que telles, ces personnes disposent du droit de mobilité et peuvent rester trois mois dans un pays européen de leur choix : « Si elles y trouvent du travail, elles peuvent rester et après deux ans demander la transcription de leur statut dans le nouveau pays », observe Reiter.

Lequel insiste pour défendre ses fonctionnaires : « Nous n’avons pas de brutes qui travaillent dans nos guichets. Au contraire, ces gens sont souvent très touchés par les destins qu’ils croisent dans leur quotidien. » Quant à la situation souvent intenable dans les camps de réfugié-e-s grecs, Reiter commente : « Des interviews sont menées pour déterminer la véracité des déclarations, et sauf si on nous prouve des atteintes aux droits humains, notre décision reste. »

C’est donc comme souvent une histoire de perspectives : devoir d’information pour les un-e-s, tentative d’intimidation pour les autres. Ce qui conduit à une impasse qui doit être résolue, ne serait-ce que pour accueillir au plus vite les rescapé-e-s du camp de Moria et ne pas y ajouter encore une faillite morale européenne.


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