Quentin Dupieux :
 Flics loufoques 


Avec des dialogues écrits avec maîtrise et la construction minutieuse d’une atmosphère où les faux semblants règnent, la comédie onirique « Au poste ! » fait figure d’objet filmé non identifié dans le cinéma français. Retour gagnant donc de Quentin Dupieux, après une période de langue anglaise.

Pour les nostalgiques, tous les ingrédients de la garde à vue magistrale sont au rendez-vous, l’humour décalé en plus. (Photos : Diaphana films)

Tout commence avec l’arrestation d’un chef d’orchestre en slip rouge qui dirige une symphonie dans la nature. Pas de doute : on est bien ici dans un long métrage de Quentin Dupieux, qui sait pousser dans ses scénarios ces petits moments absurdes qui rendent la réalité encore plus prenante. Par la suite, on naviguera entre la stricte reconstitution d’un commissariat des années 1960, truffé de références aux films de l’époque, et les souvenirs du prévenu où se glisseront peu à peu les personnages qu’il croisera pendant sa garde à vue. Un temps étiré et plastique qui est aussi une des marques de fabrique du cinéma de Dupieux, dans la veine de son film précédent, « Réalité ». Et les clins d’œil appuyés à l’esthétique des films de Bertrand Blier (on pense à « Mon homme » et ses scènes de commissariat) ou au célèbre « Garde à vue » de Claude Miller augmentent encore cette impression de temps éclaté entre le présent et le passé.

L’enjeu, ici, étant de déterminer si Fugain, qui a trouvé un corps sur le parvis de son immeuble et prévenu les secours, est coupable ou non d’homicide. Le commissaire Buron s’attelle à la tâche avec des airs bourrus de Maigret dopé à l’absurde de Ionesco et au surréalisme belge. Et ça tombe bien, puisque c’est Benoît Poelvoorde qui l’incarne : l’acteur belge, qui pour celles et ceux qui ne goûtent pas son humour à froid peut parfois être passablement énervant, sort une composition exemplaire. Il faut dire qu’il est servi par des dialogues particulièrement ouvragés, qui constituent le cœur de la machinerie comique déployée par Dupieux, également auteur du scénario. On rit beaucoup dans « Au poste ! », mais de façon subtile et décalée.

De l’autre côté du bureau, l’excellent Grégoire Ludig donne la réplique avec juste ce qu’il faut d’innocence affectée par l’atmosphère étrange de ce commissariat. Car oui, les poussées d’absurde comme l’adjoint naïf à l’œil unique ou l’apparition de son épouse affublée du même tic de langage permettent de petites respirations, mais il ne faut pas s’y tromper : le simple fait de se trouver dans ce bureau pour un interrogatoire ferait douter quiconque de sa propre innocence. Si l’on y ajoute le mélange des personnages présents et passés déjà évoqué lorsque Fugain raconte sa soirée fatidique, encore et encore, alors on a tous les ingrédients pour installer une atmosphère particulièrement prenante.

D’autant que Quentin Dupieux, conscient qu’il ne faut pas trop tirer sur la corde, accroît l’étrangeté de son œuvre en ignorant ostensiblement les standards de durée actuels. Il conclut en une heure et dix minutes, évitant ainsi habilement l’essoufflement de sa mécanique bien huilée. Peut-être, et c’est là ce qu’on peut reprocher au film, avec un retournement final un peu trop abrupt par rapport au mal qu’il s’est donné pour faire entrer son audience dans son monde à la fois onirique et terriblement réel. Mais pas assez pour qu’on regrette d’avoir passé un moment absurde et surréaliste devant ce film original et vraiment travaillé. Avec ses dialogues comiques ciselés, son mélange hétéroclite des genres et sa distribution au diapason de la loufoquerie créative de Quentin Dupieux, « Au poste ! » vaut cent fois mieux que les simples comédies de l’été.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XX


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