La slameuse franco-québécoise LEM fait étape au Luxembourg à l’occasion d’une tournée en France. Entretien avec une artiste qui a fait de la résilience son tremplin vers le succès.
woxx : L’écriture puis le slam t’ont aidée à surmonter une enfance marquée par la maltraitance, le viol même. Est-ce qu’il t’a fallu te faire violence pour avoir le courage de témoigner ?
LEM : Je me suis fait violence pour me dévoiler à ma mère. Mon beau-père avait essayé de me tuer trois fois en un mois. Je voulais me débarrasser de lui. Ça faisait deux mois qu’il ne me touchait plus, parce que je l’avais menacé avec ce couteau qu’on retrouve dans mon texte « L’enfant sans défense ». J’avais besoin de sauver ma famille, je voulais que ça cesse. Donc je ne me suis pas fait violence pour aller à la police. Par contre, je me suis fait violence pour répéter mon témoignage pendant les auditions. Quand on a 14 ans, c’est compliqué. On m’avait toujours dit que j’étais cinglée, que je mentais… alors je doutais de moi, je finissais par me demander si je ne répétais pas une cassette à la police.
Et pour la parole en public ?
Pour réussir à survivre mentalement, j’ai toujours écrit : je faisais disparaître comme ça ceux qui me faisaient du mal en les brûlant ou en les noyant. Le slam, ce n’était pas tant pour me reconstruire que pour témoigner, pour montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls. À l’origine, l’écriture cachée était une forme de délivrance, ma bulle de paix, mon exutoire, alors que le slam est arrivé beaucoup plus tard, en décembre 2015. Je me suis dit à l’époque : « C’est génial ! Je me sens vachement mieux et j’aurais besoin d’en parler. » Ça m’a permis de d’abord créer une bulle avec des personnes qui se reconnaissaient dans mon expérience, puis de transmettre en inspirant les autres.
Dans un entretien sur Radio-Canada, tu as dit : « Le moment où je me sens le plus en vie, c’est quand j’écris. » Ça n’est donc pas quand tu performes tes textes ?
Non, effectivement. Je suis en vie quand j’écris parce que je suis libre de mettre de la beauté dans la forme alors que le fond est dégueulasse. J’aurais voulu pouvoir le faire à l’époque, ce qui était évidemment impossible. Quand je performe, mon but n’est pas de me sentir vivante, mais de faire vivre les autres à travers ce qu’ils peuvent ressentir.
« Même dans les compétitions, je reste une femme engagée qui veut porter des messages. »
Sur ton site, en plus d’« artiste de la parole », tu te qualifies de « distillatrice de l’être ». Peux-tu en dire plus sur cette expression ?
En 2017, j’écrivais énormément : j’avais peut-être 300 slams et pas mal d’autres textes en tous genres dans mes ordinateurs. Je me suis alors demandé quel était mon rôle, quelle était mon identité. Où est-ce que j’allais avec tout ça ? C’est à ce moment-là que mon mari m’a dit que, pour lui, j’étais une sorte d’alchimiste qui prenait les émotions et les faits, puis les mettait ensemble pour donner quelque chose d’explosif. Comme il déteste le slam, j’ai trouvé que c’était une affirmation assez coriace. Je me suis dit que oui, ce que fait l’alchimiste, c’est distiller. C’est de là que l’expression est venue. Sans dire que je suis une inspiratrice – ce que j’espère quand même être au quotidien et de plus en plus, à long terme –, elle le sous-entend de manière subtile.
Tu t’es hissée en octobre dernier à la première place du tournoi de slam du Festival international de slam/poésie en Acadie, devant le champion du monde Jérôme Pinel…
… et la nouvelle championne d’Europe Marie Darah, une très bonne amie qui performera aussi au Poetry Slam de Lux’ !
Alors, justement, as-tu préparé une botte secrète pour cette compétition luxembourgeoise ?
En général, je fonctionne beaucoup au feeling : je sens la salle et je décide en dernière minute. Mais j’ai un peu réfléchi sur le sujet. Là, j’ai très très envie d’y aller avec mes textes féministes. J’ai envie d’y aller comme cette femme qu’on me disait que je n’étais pas, parce que mes seins ne se sont pas développés, notamment. Même dans les compétitions, je reste une femme engagée qui veut porter des messages. Ce qui m’intéresse, c’est de toucher un public qui n’est pas venu du tout pour le sujet, mais qui se retrouve à y réfléchir en rentrant chez lui.
Le Poetry Slam de Lux’ 12, organisé comme chaque année par l’Institut Pierre Werner, aura lieu le 1er avril à 20h aux Rotondes et le 2 avril à 20h au Brandbau à Wiltz. En raison d’un engagement en France, LEM ne sera présente qu’à la première soirée.
Et tu ronges les doigts
De ta poupée un peu plus
Et tu plonges la main
Sous ton oreiller de plume
Tu en sors un couteau
Une lame bien affûtée
Chuchotant aux bourreaux
Qu’un jour tu vas les buterExtrait du texte « L’enfant sans défense ».