Art vidéo : Le vampire européen

La BlackBox que le Casino consacre à Filip Markiewicz est une bonne occasion de découvrir la face cinématographique de l’artiste et de comprendre comment il s’est constitué un langage dans cette discipline.

1379expoCommençons par le début. Le plus ancien travail vidéo de Filip Markiewicz que l’on peut découvrir dans cette BlackBox date de 2007 et s’appelle « Empire of Dirt ». Hommage explicite à la chanson « Hurt » du groupe « Nine Inch Nails » – chanson qui fut d’ailleurs reprise et popularisée bien au-delà du milieu du rock industriel par un certain Johnny Cash -, le petit film d’environ neuf minutes évoque la jeunesse et la volonté de destruction jouissive. En réaction aux tueries qui ne cessent de frapper les high schools et universités américaines, l’artiste avait fait appel au groupe de punk local « Extinct », éteint depuis, pour un concert exceptionnel. En effet, ce fut dans un « white cube » de la défunte galerie Beaumontpublic que les rockeurs et leurs fans ont eu l’occasion de se défouler. Ce qui veut dire : se bourrer la gueule, taguer les murs et casser les instruments. Pas tous bien sûr, car il est attendrissant de voir comment un des guitaristes se met de côté pour protéger sa gratte, un peu trop chère pour finir détruite, même pour le compte de l’art. Filip Markiewicz a tout de même choisi de couper le son et de montrer toute cette scène avec une musique de piano et de violon apaisante pour marquer le contraste. On constate dès lors sa volonté de réagir au monde extérieur et à la politique en jouant des contrastes – quoique, ici, ce soit encore de façon très simpliste.

« Apotheke am Herrmannplatz » est le deuxième film (2010) pris dans l’ordre chronologique. Cette fois, Markiewicz s’intéresse de près à un destin précis : celui d’un joueur de saxophone dans la rue. Sur un air du « Parrain », on peut suivre les badauds qui passent devant la caméra sur la très connue Sonnenallee berlinoise. Ce n’est qu’un zoom sur la petite note dans le caisson du saxophone qui fait éclater toute la tragédie de la situation : le joueur est prêt à céder son instrument pour 300 euros, afin de retrouver sa famille. Tous les risques qu’il aura pris, toutes les peines endurées loin des siens auront donc été vains. C’est le constat d’un échec total. Si le film est tourné en noir et blanc, il ne pèche pourtant pas par excès de maniérisme.

Ce qu’on ne peut pas dire de « Low Cost Symphony » (2014) et « Voyage au bout d’une identité » (2015). Ce sont de loin les travaux les plus hétérogènes de la filmographie de Filip Markiewicz. Ainsi, le thème du couple – un peu blasé – qui discute à la table d’un café de l’état du monde, de l’Europe et de la génération à laquelle il appartient revient dans les deux cas. Tout comme une certaine préférence pour les pérégrinations urbaines, que ce soit au Luxembourg – près de la gare d’Esch-sur-Alzette – ou dans le métro parisien.

Le premier, « Low Cost Symphony », se concentre sur le thème des migrants en faisant contraster – toujours le contraste comme dans l’œuvre dessinée de Markiewicz – un orchestre de réfugiés ukrainiens qui jouent dans la station de métro Châtelet, Luc Schiltz récitant « Le mythe de Sisyphe » dans une rame de la ligne 14 et le fameux couple débitant des inanités profondes dans un café parigot.

C’est dans « Voyage au bout d’une identité » que le langage cinématographique de l’artiste culmine. De loin le film le plus long (35 minutes), il détonne aussi par sa profondeur lyrico-politique, avec de longs monologues sur l’état du continent, en voyageant de Varsovie au Luxembourg en quelques clins d’œil. L’artiste y pointe les faits illogiques auxquels nous sommes confrontés quotidiennement tout en confiant à son fameux couple le soin du métacommentaire.

Une exposition à voir donc, surtout pour celles et ceux qui ne seraient pas encore familiers avec les travaux vidéo de Filip Markiewicz.

Au Casino, jusqu’au 1er août.

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