Lutte contre le terrorisme
 : Qui est visé ?


C’est tout un paquet de mesures pour lutter contre le terrorisme que Xavier Bettel a présenté à la Chambre, cette semaine. Mais la définition du terrorisme reste floue et la porte à d’éventuels abus, grande ouverte.

La surveillance de masse selon la star de l’art urbain Banksy, à Londres.

La surveillance de masse selon la star de l’art urbain Banksy, à Londres.

Xavier Bettel était déterminé quand il a pris la parole devant la Chambre des députés, mardi 1er décembre, pour sa déclaration sur le terrorisme et la sécurité nationale. « Dans un État de droit qui protège les libertés individuelles, la sécurité des citoyens doit être garantie », a-t-il martelé, visiblement énervé par les reproches formulés de part et d’autre sur le démantèlement des libertés fondamentales. Et de rajouter : « S’il y a quelqu’un ici qui pense que nous n’avons pas le droit d’utiliser des mesures intrusives quand il s’agit de garantir la sécurité de tous, alors nous avons une autre définition de ce qu’est la démocratie ! »

Prolongation de la durée d’une garde à vue, usage de pseudonymes par les forces de l’ordre pour entrer en contact avec des terroristes potentiels, accélération de la procédure d’identification d’un numéro de téléphone, possibilité de perquisitions 24 heures sur 24, installation de mouchards… c’est tout un paquet de mesures que le premier ministre a dévoilé, mardi, devant le parlement. Des mesures déjà annoncées au cours de la semaine passée et matérialisées sous forme d’un projet de loi déposé au moment de la déclaration devant la Chambre.

Le temps, un facteur important

« La plupart de ces dispositions existent déjà jusqu’à un certain degré », a expliqué Bettel. Pour lui, il s’agit juste « d’adapter les textes aux réalités d’aujourd’hui ». Et il souligne que de nombreux garde-fous seront introduits, afin de prévenir d’éventuels abus.

Ainsi, la prolongation de la garde à vue ne sera possible que sous condition qu’elle relève d’une décision de justice. L’autorisation de l’usage de pseudonymes, mesure destinée notamment à infiltrer des groupes fermés sur les réseaux sociaux ou entrer en contact avec des personnes suspectées d’activités terroristes, ne contiendrait pas l’autorisation d’inciter à d’éventuels actes illégaux. Tout au plus à récolter des informations en cas de danger pour la sécurité nationale.

Les perquisitions, qui ne sont aujourd’hui possibles qu’entre six heures du matin et 20 heures, sauf en cas de flagrant délit, pourraient être effectuées à toute heure dès lors que la sécurité nationale serait en danger. « Le temps est un facteur important lorsque nous sommes confrontés à des terroristes », a expliqué le ministre d’État.

Quant à la possibilité d’installer des « chevaux de Troie » sur des appareils électroniques ciblés, autre mesure proposée par Bettel, c’est un moyen dont le Srel a, apparemment, déjà fait usage. Comment expliquer autrement le fait que le Service de renseignement se soit doté d’un « Remote Control System » – logiciel permettant d’infiltrer des ordinateurs – auprès de l’entreprise italienne Hacking Team en 2012 (woxx 1327) ?

Cela n’empêche pas le « Chaos Computer Club » ou encore le Parti pirate de dénoncer une « mesure liberticide » : « La coalition, qui, à la base, est composée de partis progressistes et libéraux, ne recule même pas devant l’utilisation de chevaux de Troie, un outil qui a suscité agitation et indignation en Allemagne », disent ainsi les Pirates dans un communiqué de presse.

Pour eux, les attentats de Paris seraient le meilleur exemple du fait que l’utilisation de mesures intrusives ne protégerait en rien des risques d’un attentat : « Les Français, qui utilisent la conservation des données (« Vorratsdatenspeicherung ») depuis des années, n’ont pas été en mesure d’empêcher les attentats. » Reproche auquel le premier ministre rétorque qu’un État de droit ne peut pas, « sous prétexte de la sainteté de l’ordinateur », ne pas y toucher.

Petite piqûre de rappel

Lors du débat parlementaire qui a suivi la déclaration de Xavier Bettel, le chef de fraction du CSV, Claude Wiseler, qui a donné l’aval de principe de son groupe parlementaire, a rappelé les débats de 2003, quand la coalition CSV-DP de l’époque avait introduit un projet de loi « portant répression du terrorisme et de son financement ». Citant Lydie Err, alors députée du LSAP, mais aussi Alex Bodry, il a mis les socialistes devant leurs propres contradictions. Tout comme Déi Gréng, en reprenant un reproche, formulé à l’époque par la députée Renée Wagener : celui de faire exactement ce que veulent les terroristes. Si Serge Urbany, Déi Lénk, a loué la piqûre de rappel, il a tenu à rappeler que c’était surtout la définition du terrorisme qui, en 2003, avait semé la discorde. « Une définition qui n’est pas remise en cause aujourd’hui », selon Claude Wiseler.

Ainsi, lors du débat parlementaire en 2003 sur le projet de loi portant répression du terrorisme et de son financement, outre Déi Lénk, le LSAP et Déi Gréng s’opposaient à la définition du terrorisme apportée par le texte. « La frontière entre terrorisme et opposition politique est floue, trop floue pour être inscrite dans le droit pénal », avait, à l’époque, prévenu Lydie Err au nom de la fraction socialiste. Autre point vivement critiqué par Err en 2003 : le renforcement substantiel des pouvoirs policiers. « La tentation est grande », avait-elle mis en garde, « ce qui est aujourd’hui un régime exceptionnel destiné à la lutte contre le terrorisme pourrait demain être appliqué au droit commun. »

Quelle est cette définition du terrorisme telle que prévue par la loi du 12 août 2003 ? « Constitue un acte de terrorisme tout crime et délit punissable d’un emprisonnement d’un maximum d’au moins trois ans ou d’une peine plus grave qui, par sa nature ou son contexte, peut porter gravement atteinte à un pays, une organisation ou un organisme international et a été commis intentionnellement dans le but de gravement intimider une population ; contraindre indûment les pouvoirs publics, une organisation ou un organisme international à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ; ou gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays, d’une organisation ou d’un organisme international. »

Pour Serge Urbany, Déi Lénk, avec « un peu de malveillance », il serait possible d’accuser, par exemple, des faucheurs de plantes génétiquement modifiées de terrorisme avec cette définition. À l’époque, les pourfendeurs du projet de loi avaient notamment demandé qu’une liste précise d’infractions pouvant relever du terrorisme soit établie, afin de prévenir des abus. Le Conseil d’État avait parlé d’une définition « nébuleuse » du terrorisme.

Contestataire = Terroriste ?

De nombreux acteurs de la société civile s’étaient opposés au projet de loi, dénonçant une définition trop vaste. À l’initiative de la « Jugend fir Fridden a Gerechtegkeet », des jeunes avaient même commencé une grève de la faim symbolique devant le parlement. « Contestataire = Terroriste ? », c’était l’inscription que portaient des affiches montrant un Mahatma Gandhi derrière des barreaux. Déi Gréng avaient apporté leur soutien à l’action, à l’époque.

Si la définition de ce qui constitue un acte ou une entreprise terroriste ne sera donc très probablement pas revue dans le cadre du renforcement des mesures antiterroristes, Serge Urbany met aussi en garde devant un autre danger : la confusion entre le Service de renseignement et la police. Car ce sera notamment sur base d’informations provenant du Srel que le danger pour la sécurité nationale sera évalué.

Or, le projet de loi portant réorganisation du Srel prévoit d’inclure la notion d’« extrémisme » dans le champ de ses missions. Une notion encore plus floue que celle de « terrorisme », définie par l’exposé des motifs du projet de loi comme des comportements visant « à encourager ou à approuver le recours à la violence ou à d’autres formes de comportements extrêmes afin de promouvoir des idées et d’apporter des changements de fond politiques, économiques, sociaux ou religieux ». Pour Serge Urbany, les dossiers du Srel contiennent déjà aujourd’hui des « ennemis d’État plutôt que des terroristes ».

Si Bettel, comme le ministre de la Justice Braz, affirment donc que « ces mesures ne seront appliquées qu’en cas de menace terroriste ou pour la sécurité de l’État », la définition de ce qui est une « menace terroriste » reste floue. La porte à d’éventuels abus est grande ouverte. Surtout quand on sait de quelle manière le Srel a, dans le passé, abusé de ses pouvoirs. Et Urbany de rappeler que « la seule forme de terrorisme » que le Luxembourg ait connue ces dernières décennies, c’était les attentats à la bombe des « Bommeleeër », « protégés par les services de sécurité ». À qui les mesures annoncées par Bettel confèrent toujours plus de pouvoirs.


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