TRAITE DES FEMMES: La fin des cabarets?

Le gouvernement abolit les visas d’artistes – une riposte (trop) tardive au phénomène du trafic d’êtres humains.

C’est à travers une petite phrase laconique dans le résumé des travaux du dernier Conseil de gouvernement qu’une inflexion majeure de la politique gouvernementale a été révélée: „Dans le cadre des mesures de lutte contre la traite des êtres humains, l’Etat luxembourgeois n’émettra plus d’autorisations pour les ressortissants d’Etats non membres de l’Union européenne souhaitant travailler à Luxembourg comme ‚artiste de cabaret‘ ou dans une activité similaire, avec effet au 1er mai 2004.“ La discrétion fut telle que la plupart des organes de presse ne se sont même pas attardés sur la nouvelle – sauf un. Le „tageblatt“ a qualifié la décision gouvernementale d'“incompréhensible“, car elle pourrait remettre en question „l’avenir des cabarets“.

La décision du gouvernement de ne plus émettre d’autorisations spéciales de séjour pour artistes est en fait tout à fait compréhensible, même si elle correspond à une volte-face complète. Ce sont ces autorisations spéciales, devenues uniques dans l’Union, qui par le passé ont valu au Luxembourg la réputation d’être une plaque tournante du trafic de femmes. Ainsi, dans des établissements belges, de jeunes femmes originaires des pays de l’Est ont été reprises avec de tels „visas“, pourtant limités au Luxembourg. Il semble qu’il était également aisé, avec un visa d’artiste destiné au Luxembourg, de quitter un vol de transit quelque part en Union européenne. Après avoir pendant des années campé sur sa position, le gouvernement vient donc de donner raison aux voix qui, surtout au niveau international, lui reprochaient d’ouvrir des voies au trafic d’êtres humains.

Mais ce sont également les chiffres qui ont poussé à agir un gouvernement qui pendant des années avait fait la sourde oreille. Tandis qu’en 1999, 868 autorisations de séjour spéciales avaient été délivrées, en 2003 il y a eu 1.309 premières entrées et 2.833 prolongations d’autorisations. Même s’il faut préciser que de telles autorisations ne sont valables que pour un mois et peuvent être prolongées jusqu’à six mois au cours d’une année, le ministre de la Justice admet que la situation s’est „aggravée quantitativement“.

En tirant la sonnette d’alarme, Luc Frieden va plus loin que son prédécesseur Marc Fischbach, qui lui avait juste voulu introduire des quotas d’artistes par cabaret – et avait dû capituler devant un tribunal administratif évoquant le manque de base légale de la mesure. La solution de Frieden semble juridiquement moins vulnérable, car il sera difficile d’attaquer une décision abolissant une pratique qui n’est elle-même pas légalement fondée.

Faut-il féliciter le gouvernement d’une mesure que les organisations de femmes avaient revendiquée depuis des années? Cherchant à se défendre contre le reproche de la „plaque tournante“, le gouvernement a lui-même insisté pendant des années sur le fait que l’abolition des visas d’artiste entraînerait que les trafiquants auraient recours à des visas touristiques voire à des entrées illégales. Et que l’élargissement de l’Union allait de toute façon changer la donne. L’abolition des visas d’artistes ne peut avoir un sens que dans le cadre d’une approche globale qui inclurait également une protection plus poussée des victimes, un encadrement psycho-médico-social des femmes concernées et un contrôle systématique des cabarets.

De plus, elle vient tard dans un monde du proxénétisme en plein changement: les chiffres cachent que les cabarets sont déjà en train de perdre du terrain par rapport à la prostitution – volontaire ou forcée – d’hôtel et de studio. Derrière ces portes-là, personne ne contrôle les visas.


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