Le gouvernement français se débat avec des émeutes dans la banlieue parisienne. Les déclarations des politiciens sont peu crédibles et les problèmes de fond restent en friche.
Voitures qui brûlent, pierres jetées sur les pompiers, tirs de fusil essuyés par une voiture de police – ce qui se déroule ces jours-ci dans les cités de la banlieue parisienne effraye. Les représentants de l’Etat ont beau jeu à dénoncer ces violences, à annoncer la plus grande fermeté en vue de restaurer l’ordre. D’autant plus que la colère des jeunes de banlieue autour de l’électrocution accidentelle de deux des leurs ne se fonde que sur une rumeur: ils auraient été poursuivis par la police.
Violence aveugle d’un côté, mais provocation calculée de l’autre. Dans sa première réaction, vendredi 28, le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy dédouane d’avance la police: il n’y aurait pas eu de chasse poursuite, les jeunes auraient été en fuite après une tentative de cambriolage. Rumeur là aussi, démentie rapidement. Cela n’a pas empêché Sarkozy de renchérir deux jours plus tard: il a dénoncé le laxisme passé envers les émeutiers et annoncé qu’il ramènerait la paix dans les cités. Ceci dans le droit fil de ses déclarations passées, comme celle de vouloir nettoyer les cités „au Kärcher“.
Sarkozy est-il vraiment le héros de „l’ordre républicain“, celui qui endigue la „démission de l’Etat? Son action ressemble plutôt à un coup de poker en vue de l’élection présidentielle de 2007, un nouvel épisode dans ce que le journal Libération appelle „une guerre larvée des gangs au sommet de l’Etat“. En effet, en tenant un discours dur, qui se rapproche de celui de l’extrême droite, il défie son concurrent et premier ministre Dominique de Villepin. Après quelques journées d’hésitation, celui-ci a provisoirement voulu éviter de passer pour un „mou“: tout en nuançant ses propos, il a appuyé la ligne de fermeté du ministre de l’intérieur.
Ce n’est pas seulement à droite qu’on a du mal à départager les convictions profondes de la mise en scène politique. Ainsi le premier secrétaire du PS François Hollande appelle à la „tolérance zéro“ à l’égard du ministre de l’intérieur et observe que la politique de la main de fer ne fonctionne pas. Mais il le dit deux semaines avant le congrès de son parti, où il aura besoin de gagner des voix à gauche pour asseoir son autorité. Et sa déclaration ne fait pas oublier celle de Lionel Jospin, candidat socialiste à l’élection présidentielle en 2002: celui-ci s’était auto-accusé de laxisme et de naï veté envers les fauteurs de trouble des banlieues.
Sur ce fond de blocage des acteurs politiques, les actions des familles des victimes peuvent faire illusion. En déclarant ne pas vouloir rencontrer Nicolas Sarkozy, elles ont offert à Dominique de Villepin l’occasion de se positionner en homme du dialogue. La réponse du premier ministre a été ambiguë: il a reçu les familles, mais en présence de son ministre de l’intérieur. Cette reconnaissance publique permet d’espérer que la demande la plus explicite des habitant-e-s des cités sera satisfaite: celle de faire toute la lumière sur la mort des deux jeunes.
Reste le fond du problème, sur lequel peu de politicien-ne-s s’engagent. Car le quotidien des populations des cités est effrayant: délabrement des habitations, expériences de discriminations et de vexations, stigmatisation dans les médias. S’y rajoute, même s’il est souvent exagérée, le sentiment d’insécurité. Et, les nuits d’émeutes, des policiers aux comportements parfois racistes et armés de flash-balls, une arme „à létalité atténuée“. Illustration concrète, trois jours après la mort des jeunes, une grenade lacrymogène a été lancée à l’intérieur de la mosquée du quartier, probablement par des CRS.
La tentative d’opposer à la violence bien réelle des jeunes des cités une violence „républicaine“ plus grande encore est vouée à l’échec. Or, l’Etat s’est par le passé privé de ses autres moyens d’agir. Ainsi, Sarkozy lui-même a démantelé la police de proximité, qui agissait par le dialogue plutôt que par des démonstrations de force. Aujourd’hui, c’est au nom de la foi musulmane que des „grands frères“ et des „barbus“ arrivent à ramener le calme. Qu’ils agissent par conviction ou par calcul, ils font un travail que n’arrivent plus à faire les associations oeuvrant dans le social, auxquelles on a coupé les moyens. C’est cela aussi, la démission de l’Etat.