Le refus du Grand-Duc de sanctionner la proposition de loi Err-Huss est troublant à plus d’un titre. Au-delà de la question monarchique, il suggère un putsch législatif de la droite catholique.
Jean de Nassau, ainsi que sa mère, la Grande-Duchesse Charlotte, resteront dans les mémoires comme ayant participé à la libération du Luxembourg lors de la Seconde Guerre mondiale. Leurs prédécesseurs ont également marqué leur époque, même si ce fut de manière moins glorieuse : Marie-Adelaïde évidemment en 1919, à cause de son attitude ambiguë envers l’occupant allemand. Enfin, Maria Ana de Bragance, épouse du Grand-Duc Guillaume IV, qui, si elle ne monta certes jamais sur le trône, exerça la Régence de 1908 à 1912 suite à la maladie de son mari. 1912 : date symbolique à laquelle fut adoptée par la Chambre la fameuse loi scolaire, actuellement réformée, et à laquelle, à l’instar des milieux de la droite catholique, elle s’opposa farouchement. Refusant de la sanctionner, elle abdiqua.
En refusant de sanctionner la proposition de loi Err-Huss, la question des motivations politiques de la couronne se repose. Le Grand-Duc a-t-il agi de manière autonome ou sous influence ? La question est légitime, d’autant que nombre de rumeurs circulent à ce sujet. De sa proximité avec les milieux du renouveau charismatique, par exemple. Ne nous y trompons pas, la frange la plus réactionnaire de l’Eglise catholique n’a pas avalé le vote positif de la Chambre en faveur de la proposition de loi Err-Huss. De plus, il faut le dire, l’Eglise n’est pas habituée à perdre le contrôle de l’Etat, tout comme elle place la légitimité divine au-dessus de la légitimité des Hommes. Ces gens-là ne sont pas des démocrates.
La prise de position du Grand-Duc est le deuxième coup porté à la proposition de loi, après l’avis du Conseil d’Etat qui l’avait renvoyé en deuxième lecture. Depuis la Libération, aucun texte de loi n’a subi un tel acharnement. Rien ne le prouve formellement, mais tout porte à croire que la droite catholique a décidé d’aller jusqu’au bout, de bander ses muscles et de montrer à la gauche en général et à l’aile modérée du CSV de Jean-Claude Juncker en particulier, que l’Etat c’est encore elle. Et qu’elle était prête à instrumentaliser le monarque et à provoquer une crise institutionnelle pour parvenir à ses fins. Ce qui expliquerait la très mauvaise humeur du premier ministre lors de son briefing mardi soir.
Si tel était le cas, si le Grand-Duc, de concert avec les milieux les plus réactionnaires, avait décidé de briser le tabou de la non-ingérence politique, alors il faut s’inquiéter de la santé de la démocratie du Luxembourg. Dans ce cas, il ne s’agirait pas que d’une prise de position d’un monarque non élu, mais bien d’une manoeuvre politique s’apparentant plus à un putsch législatif qu’à une saine contribution au débat public.
Cette fois-ci, le Grand-Duc a abusé de sa position héritée pour combattre un projet qu’il abhorre et que les trois-quarts de la population soutiennent. Quant au toilettage constitutionnel qu’il propose, il n’est pas satisfaisant : si le Grand-Duc ne sanctionne plus, il continue à promulguer. Et quid s’il refusait, prochainement, de promulguer un autre texte de loi, pour lui faire barrage ?
Personne ne veut interdire à la personne du Grand-Duc de clamer haut et fort, à l’instar de tous les citoyens de ce pays, ses opinions politiques. Mais voilà, il est monarque, détenteur d’une charge publique héréditaire. Pour paraphraser Jean-Pierre Chevènement : un Grand-Duc, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. La moindre des choses, c’est qu’il se taise. Et si ce fardeau est trop lourd à porter pour lui, et s’il veut en préserver sa progéniture, il lui reste toujours une porte de sortie : le retour à la vie civile et l’abolition de la monarchie constitutionnelle. En république, le citoyen Henri de Nassau aura alors tout le loisir de dire ce qu’il pense. Et même de se porter candidat aux élections.