Prix et coût : De l’eau… contre du liquide

Les députés examinent un projet de loi sur l’eau, qui risque d’en augmenter encore le prix. La discussion autour du modèle de tarification est ouverte. Il y aura des perdants et des gagnants.

L’eau, un bien public. Comment concilier objectifs écologiques et
accès de tous ?

L’eau risque-t-elle de devenir trop chère au Luxembourg ? « Un bien public essentiel auquel tous les habitants doivent avoir accès », c’est ainsi que l’eau potable est caractérisée dans un avis du Conseil économique et social. Si le prix augmente trop, « comment les communes pourront-elles garantir l’hygiène publique, les plus démunis n’ayant que difficilement accès à l’eau ? », renchérit la Chambre des employés privés (CEP) dans son avis relatif au projet de loi-cadre sur l’eau.

Eau ou champagne ?

Aucun risque, rétorqueront les adeptes d’une augmentation des prix, l’eau est incroyablement bon marché. Même si on double ou triple le prix, un mètre cube d’eau du robinet coûtera moins cher qu’un six-pack d’eau minérale. Il est exact que de nombreuses personnes, jusque dans les couches les plus pauvres, investissent dans le luxe de l’eau en bouteille. Mais ce que cette comparaison omet de dire, c’est que seule une infime partie de l’eau du robinet consommée – et donc facturée – est bue, le reste servant à l’hygiène. Et en général, les gens ne remplissent pas leur baignoire ou le réservoir de leur chasse d’eau avec du Rosport…

L’inquiétude suscitée par le projet de loi-cadre doit donc être prise au sérieux. Ce texte constitue une refonte de la législation luxembourgeoise sur l’eau combinée à la transposition de la directive-cadre européenne de mars 2000. Cette directive évoque entre autres les principes de pollueur-payeur et de la récupération des coûts. Ces coûts comprennent le captage de l’eau, l’entretien des châteaux d’eau et des raccordements, mais aussi la gestion des eaux et le fonctionnement des stations d’épuration.

Or, constate la CEP, « notre projet de loi va au-delà de la directive en ce qui concerne le `prix de l’eau‘ ». En effet, le texte ne prévoit pas de tenir compte des aspects sociaux dans le prix facturé aux ménages, alors que la directive prévoit cette possibilité. C’est « incompréhensible et condamnable », s’insurge la CEP, d’autant plus que le prix de l’eau pour d’autres secteurs tiendra compte d’effets environnementaux et économiques. Et la Chambre donne l’exemple d’un agriculteur qui arroserait ses terres au prix préférentiel en pleine canicule, alors qu’un ménage à faible revenu avec enfants ne bénéficierait d’aucun aménagement.

Ecologie contre social

« La CEP fait fausse route », estime Camille Gira, député vert et membre de la commission des affaires intérieures, interrogé par le woxx. « Il y a des instruments pour la politique environnementale et d’autres pour la politique sociale. Il ne faut pas mélanger les deux. » Plutôt que d’accorder des tarifs de faveur aux ménages pauvres, Gira plaide pour un prix « réel » de l’eau, flanqué d’allocations sociales conséquentes. « Ces ménages sont plus affectés par les loyers voire les factures de GSM que par l’eau. »

Marco Schank (CSV), président de la commission des affaires intérieures, est plus nuancé. Le reproche d’avoir exclu les considérations sociales du projet de loi lui semble fondé. « Le ministre Jean-Marie Halsdorf a affirmé que tout était à débattre, donc nous en débattrons. » Mais Schank estime qu’il faudrait parler des économies d’eau à faire avant de pleurer sur son prix. « Personnellement, je n’ai pas l’impression que l’augmentation du prix de l’eau soit si énorme quand on la compare à d’autres composantes du coût de la vie. »

Une difficulté supplémentaire de la fixation du prix vient du fait que la mise à disposition de l’eau potable comporte une grande part de frais fixes, depuis le captage des sources jusqu’au raccordement du ménage – au moins 80 % du coût total. Dans son avis, le CES met le doigt sur un dilemme : pour refléter cet état des choses, une tarification devrait comporter une « taxe de raccordement » élevée, et un prix au mètre cube peu élevé. Cela ferait l’affaire des gros consommateurs industriels … et des familles nombreuses. Le problème : cela n’incite guère à faire des économies d’eau, alors que c’était le but affiché de la récupération des coûts. A l’inverse, une tarification fortement liée à la consommation réelle punit le gaspillage, mais a un impact social négatif. La CEP conclut en demandant de mentionner les aspects sociaux dans la loi, afin de permettre aux communes de les prendre en compte dans leur facturation – une pratique qui existe déjà aujourd’hui.

Quel est le juste prix ?

On peut s’étonner que la CEP, qui cite dans son avis l’expert de l’eau et altermondialiste Riccardo Petrella, n’évoque pas le modèle de tarification développé par son Forum alternatif mondial de l’eau (Fame). L’idée de base est le droit fondamental de l’accès à l’eau, qu’affirme également la CEP. Donc, estiment les altermondialistes, il convient de mettre gratuitement à disposition de chaque personne une certaine quantité d’eau. Au-delà, ils proposent une facturation progressive : plus on consomme, plus le prix au mètre cube augmente. L’intérêt de ce type de facturation est évidemment de concilier objectifs écologiques et objectifs sociaux. Et cela tout en évitant l’effet de stigmatisation allant de pair aussi bien avec des prix préférentiels qu’avec des allocations spéciales.

Le LSAP, traditionnellement proche de la CEP, dominée par le syndicat OGBL, n’a pas encore arrêté de position concernant la tarification de l’eau. « Une augmentation du prix est utile pour inciter à économiser l’eau », estime Roger Negri, membre socialiste de la commission des affaires intérieures. « Mais cela ne doit pas conduire à ce que les moins bien lotis aient peur d’ouvrir le robinet. » Negri attend d’avoir vu les règlements grand-ducaux déterminant le détail du prix de l’eau pour en dire plus.

« Le ministre s’est engagé à nous fournir ce règlement grand-ducal », dit Marco Schank. « Et la commission s’est accordée à traiter ces articles quand tous les textes et tous les avis seront sur la table. » Avec ses 66 articles et 147 pages, le projet de loi-cadre a de quoi occuper les députés entre-temps.

Tu payes pour moi

Parmi les nombreux avis qui ont été demandés, et dont la commission souhaite tenir compte, il y a aussi celui de l’Association luxembourgeoise des services d’eau (Aluseau), qui regroupe les services d’eau publics communaux et intercommunaux. Là encore, le financement constitue le point de mire des critiques. L’association s’inquiète moins du niveau de prix que de la répartition des coûts entre les trois secteurs des ménages, de l’industrie et de l’agriculture. En effet, ces deux derniers , gros consommateurs, risquent de bénéficier de prix favorables, alors qu’ils polluent beaucoup. « Suivant le principe de l’utilisateur-payeur et du pollueur-payeur, le consommateur final ne peut pas être appelé à contribuer à des frais et des investissements pour réparer des dégâts dont il est ni responsable, ni à l’origine », écrit l’Aluseau.

Camille Gira partage ce souci : « J’ai l’impression que ce texte protège l’agriculture et lui confère un statut à part. Le comble, c’est que certains programmes de protection auront besoin de l’autorisation du ministère de l’agriculture. » L’idée de brader le prix de l’eau au bénéfice de l’agriculture déplaît également à Roger Negri. A ses yeux, ce n’est pas la seule cause qui risque de faire flamber la facture des ménages. « Si nous faisons tout ce qui est nécessaire pour une bonne qualité de l’eau, le prix au mètre cube risque d’être très élevé », estime-t-il. Et d’évoquer les nombreuses stations d’épuration qui restent à construire – « surtout si la population augmente, comme le prévoit l’IVL ». Ainsi, c’est aussi au nom du réalisme et de l’avenir que peut être mis en doute le principe de récupération des coûts.

Vaste projet

« Je dis celà aussi d’un point de vue écologique : cette loi-cadre sur l’eau constitue un grand pas en avant », affirme Marco Schank, président de la commission des affaires intérieures. Il n’est pas outre mesure troublé par les difficultés, notamment la vingtaine d’oppositions formelles du Conseil d’Etat. « Les critiques sont très précises, on pourra donc plus simplement en tenir compte », dit Schank. La commission poursuit l’examen du texte article par article et s’est déjà fixé toute une série de réunions jusqu’en décembre.
« Il est normal qu’il y ait discussion sur un projet de loi aussi important et vaste », estime aussi Roger Negri. Il mentionne les renaturations des cours d’eau, car les dispositions prévues lui semblent trop floues. « Si nous souhaitons vraiment lutter contre les inondations, il faudra qu’on puisse imposer des mesures sur base de cette loi. » Negri demande notamment que les renaturations soient déclarées d’utilité publique, ce qui permettrait de faciliter, le cas échéant, des expropriations.
Camille Gira décèle « un esprit de défiance envers les communes » dans le projet de loi. Trop de décisions seraient dictées aux acteurs locaux par l’administration de la gestion de l’eau, un point également relevé par l’Aluseau. « Il convient d’imposer aux communes une obligation de résultats, mais pas une obligation de moyens », dit Gira. Comme exemple d’une bonne gestion autonome, il cite l’exemple de Beckerich, la commune dont il est le bourgmestre : « Pour l’assainissement, nous sommes affiliés à un syndicat intercommunal, mais nous effectuons nous-mêmes la gestion de l’eau potable, avec de très bons résultats. »


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