BUDGET ET CRISE: Maladie imaginaire ?

Austérité non justifiée pour les uns, compromis prudent pour les autres, le budget 2011 donne lieu à de vifs débats. Et soulève des questions économiques et politiques plus générales.

Trou sans fond ou fondement d’une prospérité future ? Le déficit budgétaire peut s’interpréter de diverses façons.

Le grand-duché a un petit déficit. Est-ce grave, docteur ? Selon le médecin auquel on s’adresse, la réponse varie fortement. « Ce sont en particulier les pays de l’eurozone qui ont des déficits élevés qui connaissent une croissance moins élevée », a constaté Luc Frieden lors de la présentation, mardi dernier, du projet de budget pour 2011. Le programme d’économies budgétaires conduirait à ce que « ceux qui, dans les années à venir, vivront et décideront dans ce pays, récoltent les fruits de nos réformes ». Le raisonnement, fort discutable, du ministre des finances servait à étayer sa doctrine en matière de dette publique, que l’on peut résumer par « moins on en a, mieux c’est ».

Cette idée, apparemment pleine de bon sens, n’est guère contestée dans le camp libéral et conservateur. A gauche cependant, sur base des théories de Keynes, le jugement porté sur l’endettement des administrations publiques est bien plus nuancé.

Certains discours syndicalistes suggèrent que l’essentiel serait de maintenir un pouvoir d’achat élevé afin de stimuler la demande et de faire marcher l’économie – fût-ce au prix d’un endettement public récurrent. L’économiste Denis Clerc, dans le hors-série « L’état de l’économie 2010 » de la revue Alternatives économiques, se montre plus prudent : « La dépense publique n’est pas en soi vertueuse. » Clerc estime qu’elle doit servir soit à « produire des services et des biens publics bénéfiques à tous », soit à « se substituer à une demande qui se rétracte ». Ce dernier cas de figure s’applique dans une situation de crise économique, et justifie le recours à un endettement accéléré. Evoquant le budget de l’Etat français, il juge que le plan de ramener le déficit à trois pour cent dès 2013 est « déraisonnable » et risque d’être « contre-productif ». Une baisse des dépenses publiques – entraînant une baisse de la demande – replongerait l’activité économique dans le marasme, et obligerait à « gonfler de nouveau les déficits que l’on cherche à réduire ».

Vive le déficit !

« Je ne suis pas un fétichiste du déficit zéro », assure Alex Bodry, rapporteur du budget 2011 à la Chambre. Interrogé par le woxx, le président du LSAP estime notamment que les investissements à long terme, par exemple dans les infrastructures de transport, peuvent être financés en partie par des emprunts. A ses yeux, le gouvernement a bien fait de lancer un programme de conjoncture en 2009 et 2010, qui incluait des dépenses sociales afin de soutenir le pouvoir d’achat. Le freinage de 2011 vient-il trop tôt ? Bodry doute que l’on puisse appliquer au Luxembourg les raisonnements valables dans des espaces économiques d’une taille plus grande. De toute façon, il insiste sur le fait que « les investissements publics se maintiennent à un niveau élevé, et les dépenses continuent à augmenter ». Bodry se félicite : « Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, ceci n’est pas un budget d’austérité. »

En effet, malgré son insistance sur le fait que le budget 2011 est placé sous le signe de la réduction du déficit, Luc Frieden a indiqué mardi que « vu que la reprise est fragile, nous réduisons le niveau d’investissement de manière graduelle ». Il a rappelé que sur les 2,1 milliards à investir prévus pour 2011 selon le programme pluriannuel, 1,6 milliards seulement seront réalisés – « ce qui est tout de même plus qu’en 2009 ! ».

Comme pour le diagnostic, le remède envisagé pour guérir la fièvre de l’endettement n’est pas indépendant de la personne du médecin. Plutôt que de réduire les investissements publics, Denis Clerc, dans l’article cité, suggère d’augmenter les impôts. Il retourne même l’argument favori des ennemis de l’endettement, celui de la justice intergénérationnelle : « Ne pas relever les impôts, c`est mettre le remboursement de la dette à la charge des générations à venir, alors que ce sont les générations actuelles (…) qui sont à l`origine de la crise. »

Le ministre des finances ne l’entend pas de cette oreille, et a souligné que le budget 2011, « malgré une série de changements dans le paysage fiscal, conserve, par rapport à l’étranger, une politique d’impôts attractive pour les entreprises luxembourgeoises et les personnes qui habitent ici ». A l’écouter, de futures baisses d’impôts pourraient être justifiées afin d’améliorer la compétitivité et de contribuer à la sortie de crise.

Faut bien payer !

Ce n’est pas du tout le point de vue de François Bausch, président du groupe vert à la Chambre. Pour lui, le déficit public est un « mal nécessaire », conséquence directe de la crise économique. Mais Bausch considère qu’au-delà de cet effet conjoncturel, il y a un problème structurel au niveau des finances publiques : « Les baisses d’impôts du début de la décennie ont ébranlé le fondement des recettes publiques. » Faut-il donc revenir sur des mesures telles que la baisse massive du taux maximal d’impôt sur le revenu ? « Il est toujours plus difficile de relever les impôts que de les baisser », estime Bausch. Il qualifie cependant l’augmentation d’un pour cent du taux maximal, prévue dans le budget 2011, d’« insuffisante » et plaide aussi pour une réforme de la fiscalité des entreprises, puisqu’actuellement, la plupart des sociétés ne paient pas d’impôts.

Dans ce domaine, Alex Bodry se montre très prudent : « L’impôt de crise sera évalué et éventuellement abandonné, comme le souhaitent les syndicats. Cela pourra aussi être le cas de l’impôt de solidarité, mais je pense que l’augmentation du taux maximal sera maintenue. » Et des augmentations d’impôts ? Sans exclure cette possibilité, Bodry renvoie à la mi-2012, quand on disposera de chiffres permettant de réévaluer la situation budgétaire.

En effet, les estimations aussi bien des rentrées fiscales que de la croissance ont fait l’objet d’une succession de révisions à la hausse durant les derniers mois. Ce qui amène la Confédération générale de la fonction publique (CGFP) à déclarer que « sur base des chiffres actuels et des mesures d’austérité prévues pour 2011 (…) – sauf imprévu – l’équilibre des finances publiques sera rétabli à la fin de l’année 2011 – et pas seulement en 2014 ». Le syndicat en tire argument pour critiquer le caractère démesuré du programme d’austérité gouvernemental. La Chambre des salariés (CSL) a adopté, dès le printemps, un discours plus subtil, mais allant dans le même sens. Dans deux « Eco-News » successifs, ses experts ont d’abord appelé à la prudence en matière d’interprétation des prévisions économiques, puis constaté une amélioration « naturelle et prévisible » des finances publiques.

Face à ces argumentations, le ministre des finances rappelle, à juste titre, que l’équilibre recherché pour 2014 concerne l’ensemble des finances publiques. Selon la définition européenne, à côté de l’Etat central, cela inclut les collectivités locales ainsi que la Sécurité sociale. Dans le cas du Luxembourg, cette dernière est excédentaire, et un solde de zéro correspond donc à un déficit au niveau de l’Etat central. Ce qui signifie qu’il faudra continuer à emprunter de l’argent … ce que rechigne à faire Luc Frieden. On comprend alors que, devant la perspective d’atteindre l’équilibre avant 2014, il ne songe nullement au programme d’économies mais pousse un « Tant mieux ! » soulagé.

Mais il ne pourra pas décider tout seul d’aller au-delà des exigences européennes. « Au vu des incertitudes, notre parti a obtenu qu’on ne fixe pas un programme détaillé sur quatre ans », précise Bodry. Il estime que la majeure partie de l’effort a été accomplie. « Pour nous, l’objectif pour 2014 est l’équilibre, ni plus, ni moins », affirme-t-il. Et de rajouter : « Cela conduira peut-être à des discussions. »

A bas l’avenir !

C’est justement cette navigation à vue que François Bausch reproche au gouvernement : « On s’attache à réduire le déficit à court terme, de manière purement comptable, sans tirer les leçons du passé. » Il n’est pas convaincu que l’amélioration de la conjoncture soit durable. « Au niveau des marchés financiers, on est loin d’une situation de transparence. La bourse fait de nouveau la fête. Tout cela m’inquiète. » Bausch estime que la prochaine crise pourrait bientôt éclater et que le Luxembourg y est mal préparé.

Sans être aussi pessimiste, Alex Bodry décèle également des vulnérabilités au niveau des recettes de l’Etat : « Il faudra se préparer aux échéances européennes en matière de secret bancaire, d’harmonisation des accises sur les produits pétroliers et de la TVA sur le commerce électronique. » Cela le conduit à envisager d’autres usages pour d’éventuelles plus-values budgétaires que la redistribution – favorisée par les syndicats – ou la réduction du déficit de l’Etat central – favorisée par le ministre des finances : « Les rentrées exceptionnelles doivent servir à préparer l’avenir. »

Or, dans son discours de mardi, Luc Frieden a également envisagé cette option : « La bonne politique de gestion budgétaire a été, et doit redevenir celle de mettre de côté les plus-values éventuelles. » Cela sera peut-être un des sujets du débat parlementaire sur le budget en décembre. Les désaccords porteront sur la question si l’essentiel de ces ressources disponibles doivent être mises de côté pour préparer les vaches maigres, où plutôt être investies dans une perspective de développement durable.

Sur ce point, les Verts tentent de développer une perspective cohérente. « Les gens ne comprennent pas qu’on leur dise qu’il faut payer pour une crise qu’ils n’ont pas causée, mais si on leur offre une vision d’avenir, on aura une meilleure acceptation politique », estime Bausch. « Si l’Etat investit dans les transports en commun et l’efficacité énergétique, les gens finiront même par économiser de l’argent. »


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