PHOTO: Impressions de barrage

Le travail de Zeng Nian montre ce que la construction du Barrage des Trois-Gorges signifie sur le terrain, pour le patrimoine, pour les ouvriers et pour les populations déplacées.

Un homme et une femme, enlacés, au bord du fleuve, regardant les navires qui partent. La photo est prise de dos, le plan d’eau occupe toute la largeur du format panoramique. En noir et blanc, banale, banalement belle. Elle est l’oeuvre de Zeng Nian, photographe chinois qui expose actuellement au Centre culturel Neumünster ses travaux autour de la construction du Barrage des Trois-Gorges.

Il s’agit du plus grand barrage du monde avec mille kilomètres carrés – et de l’un des plus controversés en raison de son impact. Impact écologique, mais aussi culturel – des centaines de sites historiques engloutis – et humain, avec plus d`un million de personnes relogées. Mais aussi un impact économique considérable, avec les emplois créés et l’électricité produite. Le travail de Zeng ne critique pas, ni ne justifie, il ne fait que documenter. Ainsi, la photo d’un père, au bord des larmes, son enfant sur le dos, devant la ville de Fuling en train d’être démolie, illustre la détresse des exilés. Tandis que les photos des ouvriers concentrés sur leur travail, ou des engins de chantier gigantesques reflètent le côté dynamique de ce gigantesque chambardement. Les sentiments de Zeng à l’égard du Barrage sont visiblement ambivalents, comme ceux de nombre de ses compatriotes – ce qui ne fait nullement de lui un dissident. D’ailleurs, l’ambassadeur de la République populaire de Chine au Luxembourg était présent lors du vernissage.

Pour un Chinois, les Trois-Gorges, c’est tout d’abord un paysage extraordinaire qui a inspiré de nombreux peintres et poètes. Or, les photos de Zeng Nian, bien qu’elles soient en format panoramique, ne montrent pas de panoramas paysagers. Au mieux, on aperçoit des silhouettes de montagnes derrière un avant-plan de brume ou de fumée. En échange, Zeng met en scène le grand barrage et les immeubles des villes, notamment dans une remarquable photo du reflet de la skyline de Chongqing dans l’eau du fleuve. Notons que cette ville, située en amont, ne sera pas engloutie par la montée des eaux.

La nostalgie pour tout ce qui va être submergé s’exprime dans la photo du vieillard brûlant des bâtonnets d’encens sur les bancs du fleuve. D’autres documentent les calligraphies sur rochers qui seront englouties. Enfin, des familles déplacées sont montrées avec leurs bagages, avec toujours le Long Fleuve en arrière-plan. Pourtant, preuve de l’art de Zeng, ce sont des photos moins dramatiques en apparence qui vous serrent bien plus le coeur : celles qui montrent les amas de pierre restant après la destruction des maisons des villes jadis si vivantes, et dont le caractère
minéral est un écho aux rochers inertes si typiques des paysages des Trois Gorges.

L’exposition vaut la visite déjà rien que pour son intérêt esthétique, avec des tirages d’une dureté bien maîtrisée et dans un format inhabituel. L’accrochage sous les arcades du cloître de Neumünster des photos exclusivement en format panoramique est très réussi, l’atmosphère médiévale d’intemporalité contrastant avec la modernité du Barrage et des destructions, mais s’accordant avec le regard du photographe. Une télévision affiche un diaporama contenant d’autres photos de Zeng Nian dans d’autres formats, parmi lesquelles on notera celle en couleur d’un bouddha à moitié englouti par les flots. Par contre, pour bénéficier d’une mise en contexte des photos, la télé n’apporte rien de plus que les murs nus du cloître. Il faudra vous rabattre sur le superbe livre en vente à la réception, dont l’acquisition, même à 45 euros, s’impose pour les personnes vraiment intéressées par le sujet.

Jusqu’au 19 septembre au CCRN.


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