NATIONALITÉ: Les corrections

Début du débat annoncé par François Biltgen autour de la réforme de la loi sur la nationalité de 2008. Cette semaine, deux volets, l’un politique, l’autre universitaire, ont fait entrevoir les nouvelles lignes de front et les compromis que le ministre de la justice envisage de faire.

Il fabrique 500 Luxembourgeois
par mois : François Biltgen.

« Le Luxembourg n’est pas vraiment un melting pot, mais une saladière », selon Carlo Thelen, économiste à la Chambre de commerce et invité au débat public organisé par le magazine « forum » lundi dernier autour du thème « Devenir luxembourgeois : nationalité, citoyenneté et droit de vote ». Il ne fait aucun doute que le grand-duché, ce n’est pas les Etats-Unis – ou ce qu’ils croient être -, et que le « vivre ensemble » ne se fait pas de façon fusionnelle, où tous se couleraient dans le même moule. Il s’agit plutôt d’une coexistence qui peut être harmonieuse, mais ce n’est pas obligatoire. Cela dépend aussi de la vinaigrette, qui serait ici le travail du législateur et le thème de la table ronde qui unissait le ministre Biltgen, Laura Zuccoli, présidente de l’Asti, l’historien Denis Scuto et Fernand Kartheiser, député et président de l’ADR.

Ce fut une discussion engagée, voire houleuse de temps en temps, qui a bien fait apparaître les distances existantes sur plusieurs terrains : la définition de la nationalité, son rôle dans l’intégration des étrangers, la volonté de la société luxembourgeoise d’accueillir des étrangers en son sein en leur conférant un passeport et surtout la place de l’obtention de la nationalité dans le processus d’intégration. Et les lignes de front étaient parfois surprenantes. Certes, Laura Zuccoli et Denis Scuto représentaient le volet progressiste et engagé. Mais si Fernand Kartheiser a bien incarné cette droite dure qui lui tient tant à coeur, le ministre a de temps en temps habilement su surfer sur les tendances et se poser comme grand réconciliateur. Son rôle dans le « storytelling » qu’il débite depuis qu’il a déclaré le débat ouvert – curieusement juste après avoir offert la nationalité luxembourgeoise à la nouvelle grande-duchesse héritière, ce qui avait provoqué des réactions controversées quant au principe d’égalité devant la loi sur l’obtention de la nationalité. Mais Biltgen tente clairement de surmonter cette polémique en même temps qu’il lance son débat.

Un débat dans lequel il essaie de s’imposer comme « faiseur » : « Je fais 500 Luxembourgeois par mois, donc je m’y connais en la matière. » Cette phrase, souvent répétée, soulignait en même temps une des plus grandes avancées de la loi de 2008 : que ce n’est plus la Chambre des députés qui décide – souvent à la tête du client, comme il l’admet délibérément – qui peut devenir Luxembourgeois, mais le ministre dans la tranquillité de son fauteuil et selon des critères plus fixes qu’avant : le test de langue et la durée de résidence obligatoire de sept ans.

Et il tente d’introduire son action dans l’historique dressé par l’historien Denis Scuto sur les lois successives qui ont façonné notre législation. Celles-ci partent – selon la thèse de Scuto – toutes du même principe : on s’inspire fortement de nos voisins, Français d’abord pour le code Napoléon et puis après 1839 du modèle belge pour se rapprocher à nouveau des Français vers la fin du 19e et l’industrialisation naissante qui changea les prérogatives, sans pourtant les copier dans tous les détails. « Il y a toujours eu une adaptation à nos besoins. C’est-à-dire que l’empirisme l’a presque toujours emporté sur le doctrinal en ce qui concerne l’obtention de la nationalité. En ce sens, pour nous, il y a toujours eu des transferts culturels dans la construction de la nationalité. » Malgré cela, Scuto distingue des périodes d’ouverture et des périodes de fermeture, voire de méfiance accrue dans l’évolution législative et sociétale qu’il a documentée. Et il a clairement identifié ces dernières tendances dans les discours du député ADR Fernand Kartheiser lors de la table ronde. En effet, Kartheiser voit l’obtention de la nationalité comme la dernière étape d’une intégration qui doit être exemplaire. A ses yeux, la langue luxembourgeoise est une condition sine qua non peu importe les difficultés rencontrées sur le terrain. Il met ensuite l’accent sur les « valeurs » luxembourgeoises auxquelles chaque nouveau citoyen devrait souscrire à plus forte raison, par exemple par le biais d’une signature sous un document. Que les « valeurs » du député ultra-conservateur soient plutôt de nature chrétienne et qu’il visait à travers cela les immigrés d’Etats tiers et surtout les musulmans, n’est pas vraiment compliqué à comprendre. D’ailleurs, quelques intervenants du public s’en sont fait l’écho et ont demandé un bannissement de la charia au Luxembourg, démontrant par là que les peurs insensées d’une islamisation rampante, d’une conspiration musulmane internationale, ont bien trouvé leur chemin dans le mainstream luxembourgeois.

Une législation inspirée de l’étranger

Mais les contre-feux à de telles conceptions ne se sont pas fait attendre et c’est surtout la présidente de l’Asti qui a pris les devants, en expliquant la situation sur le terrain où un intérêt réel pour le Luxembourg et surtout sa langue existe. Mais le problème est que les étrangers qui aimeraient bien s’intégrer davantage se heurtent souvent à un mur. « A quoi cela vous sert d’apprendre le luxembourgeois quand, dès votre sortie du cours, on s’adresse à vous en français ? », se demande Laura Zuccoli, qui pointe aussi le problème qui existe dans certains métiers, ceux décrits comme davantage « pénibles », où la langue véhiculaire est souvent le portugais et où les gens n’ont ni vraiment l’occasion, ni même le temps d’exercer cette langue. D’autant plus que la situation linguistique luxembourgeoise, avec ces trois langues administratives, est déjà assez compliquée. Si l’on y ajoute que l’Université du Luxembourg a démontré que la langue nationale allait parfaitement bien et que ses jours ne sont pas en danger, cela donne trois fois tort à ceux qui suspectent chaque étranger d’être réticent à tout ce qui est intégration.

Dans cette problématique, le ministre de la justice est ouvert à d’autres compromis. Pourtant : « Vu les résultats des tests de luxembourgeois – 70 pour cent de réussite, 20 pour cent des personnes qui réussissent ou l’oral ou l’écrit, et 10 pour cent d’insuffisants totaux, on pourrait être plus cléments avec ces 20 pour cent et voir leurs résultats de façon plus relative. On pourrait même aller jusqu’à un principe de vases communicants entre une durée de résidence respectée à la lettre et une plus grande clémence en ce qui concerne le test », a-t-il proposé, tout en refusant la revendication du Clae, qui veut bien des cours, mais réclame d’abolir les tests.

En ce qui concerne la durée de résidence, dont l’augmentation sur sept ans a été un des points les plus critiqués en 2008, Biltgen entend aussi trouver un nouveau consensus. Il veut mieux prendre en compte les migrations circulaires et accepter des « trous » dans la résidence – quand par exemple des jeunes nés au Luxembourg partent à l’étranger pour leurs études et veulent devenir Luxembourgeois à leur retour au pays.

Autre point de controverse sur lequel Biltgen a clairement admis que la loi de 2008 était erronée c’est la naturalisation par mariage. « En 2008, c’est la question des mariages arrangés qui nous a inspiré à rayer totalement cette option. Mais c’était une fausse route. Je veux reconsidérer cela, mais non sans avoir mis sur pied un dispositif qui peut mieux éviter la tenue de mariages blancs », a-t-il dit le lendemain au cours d’une seconde conférence à l’Université du Luxembourg. Mais tant que ledit dispositif reste vague, on ne pourrait dire qu’il s’agit d’une avancée réelle. Par contre en ce qui concerne le troisième critère d’accès – après la langue et la résidence – à savoir l’honorabilité, Biltgen aimerait encore alourdir les conditions d’accès, qui prévoient actuellement de refuser la nationalité à des personnes qui ont fait plus d’une année de prison. « Par exemple, cela me fait mal au ventre d’octroyer de temps en temps la nationalité à des personnes condamnées pour violences domestiques », a-t-il admis.

Cela démontre aussi qu’aux yeux du ministre chrétien-social, un certain deux poids, deux mesures persiste toujours à l’égard de l’étranger. Et aussi qu’il considère la nationalité luxembourgeoise comme une chose précieuse qu’il ne faut pas brader. On pourrait pourtant lui rétorquer qu’elle ne constitue qu’une étape vers une intégration complète, ce qui est une question de générations – une leçon que le Luxembourg devrait avoir comprise. Et puis, quid d’une nationalité européenne et du sentiment d’appartenance à des entités supranationales ? En tout cas, le vaste débat est lancé et les propositions du ministre, si certaines vont dans le bon sens, ne satisfont pas forcément l’importance de la cause.


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