Après la conférence climatique COP24 : Sommet noir

Face aux intérêts économiques et aux inquiétudes populaires, la lutte contre le changement climatique bat de l’aile. L’urgence impose de marier la radicalité écologique à la radicalité sociale.

Entre espoir et résignation face à Gambia 2 : la manif du 8 décembre devant la Chambre. (Photos : Ekkehart Schmidt/Etika)

C’était mal parti. Quelle idée aussi d’organiser la COP24, la conférence annuelle sur le réchauffement climatique de 2018, en Pologne, un des pays les plus dépendants du charbon et qui refuse une décarbonisation rapide ! De surcroît Katowice, choisie comme ville hôte, a bâti sa prospérité sur le charbon, et la région alentour recense la plupart des mines polonaises encore actives. Les négociations sur la concrétisation de l’accord de Paris de 2015, relativement ambitieux, avaient mal avancé ces dernières années. Difficile d’espérer un bon résultat d’une « Conference of Parties » (COP) présidée par la Pologne, et qui a duré du 2 au 15 décembre.

Jaunisse planétaire

Mais la mise en question du processus mis en marche avec l’accord de Paris ne s’est pas arrêtée là. De manière inattendue, le mouvement des gilets jaunes en France, depuis la fin octobre, a donné une raison de plus de désespérer. Quelle que soit l’analyse sociologique et politique qu’on en fait, le mouvement a eu valeur de symbole dans le débat sur le réchauffement climatique. En effet, c’est la hausse des taxes sur les carburants, considérée comme une mesure antisociale, qui a mis le feu aux poudres. Dans la presse internationale, les interrogations sur la compatibilité des politiques climatiques avec celles de justice sociale se sont multipliées.

Dès les premiers jours de la COP24, d’autres mauvaises nouvelles sont tombées. D’une part, la Pologne s’est montrée encore plus restrictive envers les militant-e-s de la société civile que les instances de l’ONU, allant jusqu’à refuser l’entrée sur le territoire à une douzaine de participant-e-s. D’autre part, les États-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite et le Koweït ont bloqué une résolution qui devait « saluer » le rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement de 1,5 degré. Ce rapport spécial de l’Intergovernmental
Panel on Climate Change (IPCC ou Giec), publié début octobre, avait été considéré comme une sonnette d’alarme par rapport à la lenteur et à l’ambition insuffisante des politiques climatiques.

Le rapport étudie les différences entre un réchauffement atteignant 2 degrés par rapport au début de l’ère industrielle et celui limité à 1,5 degré. Comme on pouvait s’y attendre, les conséquences pour l’écosystème Terre sont nettement plus graves dans le premier scénario que dans le second. Notons que l’on parle de la température moyenne d’ici la fin du siècle, et que déjà aujourd’hui, cette température est environ 1 degré plus élevée qu’au 19e siècle.

Plus rien à faire ?

La recommandation officielle est donc claire : il faut maintenir l’augmentation en dessous de 1,5 degré parce que cela permettra de sauver au moins un dixième des récifs coralliens, réduira d’un tiers la probabilité d’étés de grande sécheresse et fera monter le niveau de la mer de dix centimètres de moins. Mais une lecture attentive et quelque peu cynique du rapport pourrait aboutir à une autre conclusion : celle que même avec un réchauffement de « seulement » 1,5 degré, on est mal, puisque deux étés sur cinq seront du type 2003 ou 2018, et que la montée de l’eau pourra atteindre un mètre.

Faut-il en conclure que faire mieux que 2 degrés est sans importance, parce que de toute façon, c’est foutu ? Non, car la différence entre 1,5 et 2 degrés est significative. Surtout, à 2 degrés, la probabilité d’atteindre des points de basculement (« tipping points »), qui déclenchent des cercles vicieux, est beaucoup plus élevée. Il s’agit notamment de la disparition de glace dans l’Arctique et de la libération du méthane des pergélisols, processus susceptibles de s’autoaccélérer.

La véritable conclusion à tirer du rapport spécial est donc qu’une limitation de l’augmentation de la température à 1,5 degré suffira à peine et que le scénarios à 2 degrés n’est plus une option. Rappelons que l’accord de Paris prescrit de contenir la température « nettement en dessous de 2 degrés (…) et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 degré ». En fait, mentionner la cible de 1,5 degré dans cet accord était considéré comme une percée dans le débat politique, mais du côté de la société civile et des expert-e-s, cette valeur était depuis longtemps considérée comme l’objectif à privilégier. Et dès 2015, on savait qu’il faudrait au plus vite changer de trajectoire de réduction des émissions mondiales de CO2. Pourtant, la révision des engagements officiels des pays – notoirement insuffisants – a été remise à 2020.

Quelle transition juste ?

Qu’est-ce qui dissuade la classe politique de se rallier à l’évidence scientifique et d’agir en conséquence ? D’un côté, de toute évidence, les intérêts économiques en jeu. Comme dans d’autres domaines, l’équilibre – ou déséquilibre – entre pouvoir démocratique et pouvoir de l’argent qui caractérise notre modèle de société conduit à une politique climatique qui n’est pas au service des intérêts du plus grand nombre. De l’autre côté, les hésitations des politicien-ne-s reflètent les hésitations de leurs électeur-trice-s face à la grande transition verte. Certes, ces hésitations proviennent en partie de l’aversion à tout changement, très humaine mais pas très rationnelle. Mais il est tout à fait rationnel de se demander, comme l’ont fait les gilets jaunes, si la taxation des carburants était socialement juste, alors que d’autres impôts, notamment celui sur la fortune, avaient été réduits ou abolis.

Les représentants des mineurs polonais qui, durant la COP24, ont réclamé une « transition juste » étaient sans doute instrumentalisés par les compagnies charbonnières. Mais là encore, la Confédération syndicale internationale est dans son rôle quand elle se félicite du fait que cette question est enfin discutée. Au grand-duché, l’augmentation – enfin – annoncée des taxes sur les carburants donnera lieu au même débat, surtout si elle n’est pas accompagnée de politiques de justice sociale. L’apologie du « tourisme à la pompe » par le Groupement pétrolier luxembourgeois donne un avant-goût des discours tendancieux auxquels il faudra s’attendre (voir encart).

La « transition juste » n’est pas seulement un enjeu intérieur à chaque pays dans le cadre de sa propre politique climatique. Le grand manque de justice sociale risque de se manifester au niveau des rapports entre les pays, et notamment entre les populations appauvries du Sud et celles relativement aisées du Nord. L’orientation internationale des politiques climatiques doit être compatible avec l’amélioration des conditions de vie des populations les plus dans le besoin. C’est ce qu’a compris le Club de Rome qui, dans son récent rapport « Transformation is feasible », étudie comment concilier les objectifs du développement durable avec les limites écologiques de la planète. En fait, il faudrait une sorte de Green New Deal à l’échelle de la planète, qui impliquerait l’ensemble des populations dans la transition écologique indispensable, en leur promettant plus de justice sociale. Un maintien ou un renforcement des inégalités conduirait au contraire à un monde de plus en plus divisé et gouverné par la force – scénario peu propice au respect des limites écologiques.

Optimisme intempestif

« Un succès », c’est ainsi que la radio 100,7 a cité Carole Dieschbourg dès le lendemain de la COP24. Comme à son habitude, la ministre de l’Environnement a essayé de « positiver » en insistant sur le fait que la conférence avait accompli sa mission : adopter un « rulebook » pour l’accord de Paris. Effectivement, il s’agit là d’un préalable technique important afin de pouvoir coordonner les politiques décidées en 2015, et Dieschbourg elle-même a contribué à faire aboutir les négociations sur la plupart des points litigieux – sachant que la question du comptage des mesures forestières, notamment au Brésil, a été remise à 2019.

La colère des gilets verts.

On peut se demander si la présentation de l’avancement des politiques climatiques sous un jour favorable est vraiment une bonne idée. Car elle risque de faire oublier que, en ce qui concerne la trajectoire de réduction des émissions et la révision des engagements officiels des pays, on a perdu trois ans. De surcroît, un des arguments des optimistes a désormais été invalidé : le pic des émissions n’a toujours pas été atteint. En fait, la stabilisation apparente des émissions ces dernières années était sans doute due à la crise économique et est désormais plus que compensée par la conjoncture favorable et les politiques irresponsables des États-Unis et d’autres pays. D’ailleurs, comme l’a montré son intervention à la Chambre, la ministre est tout à fait consciente des insuffisances de la COP24 et de la nécessité de revoir les objectifs à la hausse (voir encart).

Du côté des ONG, le son de cloche est différent : elles sont unanimes pour critiquer l’inadéquation des négociations de Katowice. La déception a notamment été exprimée par la lycéenne suédoise Greta Thunberg, qui s’est adressée à l’assemblée plénière à Katowice : « Nous ne sommes pas venu-e-s pour implorer les leaders mondiaux de prendre conscience du problème. Vous nous avez ignoré-e-s par le passé et vous nous ignorerez encore. (…) Nous sommes venu-e-s pour vous dire que ça va changer, que vous le vouliez ou non. »

Voici les gilets verts

Thunberg avait entrepris une grève scolaire il y a quatre mois pour que son gouvernement applique les engagements de Paris. Cela a conduit à des initiatives semblables de jeunes dans d’autres pays. Et ce n’est pas le seul signe que « ça va changer ». Aux États-Unis, la politicienne Alexandria Ocasio-Cortez, nouvellement élue à la Chambre des représentants, a lancé l’idée d’un Green New Deal, avec l’appui de mouvements de jeunes. Certes, il s’agit d’une initiative à l’échelle du pays, mais si la logique du couplage entre justice et écologie réussit aux États-Unis, elle a des chances de s’imposer à l’échelle mondiale.

Quant au mouvement de désobéissance civile Extinction Rebellion, qui a entrepris des actions de blocage à Londres en novembre dernier, il s’est d’office situé dans une logique internationaliste, et des groupes se sont formés ailleurs en Europe. En France, en plein mouvement des gilets jaunes, les marches pour le climat du 8 décembre étaient également placées sous le signe de la convergence des luttes, c’est-à-dire la complémentarité des demandes de justice sociale et de protection de l’environnement.

Face à une classe politique léthargique et aux dangers d’une dérive populiste anticlimat, verra-t-on le grand soulèvement des gilets verts ? L’idée fait en tout cas son chemin – même au Luxembourg, paradis des automobilistes, une marche pour le climat a eu lieu malgré la pluie battante. Et ici comme ailleurs, le principe de ne plus séparer l’environnemental et le social est bien établi. Il ne reste plus qu’à convaincre les 99 pour cent.


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