Dans les bacs : Arthur Possing : ID:entity

Avec son premier album solo, Arthur Possing emmène les mélomanes qui goûtent le jazz dans un univers syncopé et mélodieux à la fois, fait de morceaux originaux et de reprises. Compte rendu d’écoute.

Seul mais pas égaré : le premier album solo d’Arthur Possing. (Photos : © Eric Engel)

Comme si son identité s’était quelque peu diluée dans son quartet, Arthur Possing revendique celle-ci haut et fort dès le titre de cet album. Mais « ID:entity », c’est aussi une entité unique, un seul instrument : rien d’autre que du piano ici, un exercice de style délicat sur un disque entier tant il demande d’éviter la monotonie. Le musicien luxembourgeois s’en sort avec les honneurs, en concoctant un mélange de plages qui stimule l’écoute.

« The Essence of Joy » ouvre le bal, dans un tempo lent et mélancolique, avec des suites d’accords complexes et dissonants qui surprennent l’oreille dans leur progression. Au moyen d’aplats de couleurs vives et sombres en alternance, le morceau ose quelques fioritures improvisées en son milieu pour mieux revenir à son étrangeté initiale. Le ton est donné : Arthur Possing prend son public au sérieux en lui attribuant la faculté d’une écoute active et intelligente, et la complexité sera de mise. On retrouve celle-ci d’ailleurs dès la deuxième plage, « Seven Days », une reprise de la chanson de Sting. Les arrêts subits, les rythmes chaloupés confèrent à ce titre pop un allant particulièrement réussi, là où les harmonies, quoique élaborées, n’atteignent pas la complexité du morceau précédent. Possing varie donc les plaisirs et distribue les défis d’écoute.

Côté reprises, on pourra trouver également un autre titre de Sting : « Fields of Gold » est ainsi proposé dans une version réharmonisée, qui donne beaucoup d’intensité à la mélodie. Le jazzman belge Éric Legnini, dont Possing dit qu’il a été « une figure décisive dans sa vie », se voit lui offrir une interprétation de sa composition « Cinematico ». Au sein de l’album, c’est cette ballade qui met le plus en valeur la mélodie. Celle-ci coule avec fluidité sous les doigts du pianiste, qui démontre à cette occasion son aptitude à se faire tendre, voire langoureux sur une plage entière. Le morceau qui clôt l’album, « Beatriz », est une chanson composée par Edu Lobo sur des paroles de Chico Buarque pour l’immense Milton Nascimento. Elle conclut le récital sur une note de douceur et de nostalgie, avec des accords suaves qui contrastent avec les aplats corsés du début. Une façon pour Possing de placer une madeleine de Proust, puisqu’il évoque pour sa maison de disques, à propos de ce titre, sa participation au combo brésilien lors de ses études à Bruxelles. En tout cas une fin d’écoute qui installe le calme après la tempête.

Commence, commence pas ?

Entre-temps, on sera en effet passé par pas mal d’émotions, toutes distillées avec maîtrise par l’artiste. Si « Midnight Light » reste dans la veine de la ballade, elle le fait dans un registre très ramassé, très compact, sans fioriture et sans beaucoup d’improvisation. « Folk Song » mélange les envolées romantiques et les rythmes syncopés, dans une sorte de résumé en miniature de l’album entier. De surcroît, les quatre interludes que glisse le pianiste, même s’ils sont brefs, stimulent plus avant la diversité des atmosphères. Deux sont joués avec le piano préparé pour exacerber sa sonorité d’instrument à cordes, avec parfois des effets semblables à des slaps de guitare. Le troisième, empli d’énergie, a des allures de petite pièce issue des « Mikrokosmos » de Béla Bartók tant il conduit sa ligne rythmique avec obstination, vers une fin éthérée toutefois. Influence réelle ou inconsciente, peu importe, au fond : ce qui compte, c’est cette volonté de varier les ambiances, laquelle est sans aucun doute présente.

Le morceau de bravoure de l’album semble alors être « Startin’ », au titre programmatique puisque, au début, on se pose la question : ça commence ou ça ne commence pas ? Évidemment, la musique se met en branle ; évidemment, les notes finissent par couler. Quoique. La virtuosité se voit contrecarrer par des interruptions, des changements de mesure, tandis que l’élan reste toujours précaire. S’il fallait chercher du côté des références classiques pour faire pendant à Bartók évoqué plus haut, on serait ici chez un autre Arthur, dans la « Pacific 231 » d’Arthur Honegger. À coups de touches noires et blanches, les notes toussotent, crachotent. On s’imagine la fumée abondante produite par une locomotive à vapeur à la marche hésitante au début, inexorable ensuite. Quatre minutes bluesy de musique illustrative qui célèbrent la complexité de la construction jazzistique, mais aussi la clarté des images qui s’en dégagent grâce à une exécution limpide.

La variété que parvient à proposer Arthur Possing avec son seul piano – accompagnée d’une précision quasi chirurgicale dans les passages rapides et d’une belle intensité émotionnelle lors des enchaînements d’accords – confère ainsi à « ID:entity » un plaisir d’écoute diversifié qu’amateurs et amatrices de jazz auront à cœur de se procurer.

Sortie de l’album ce vendredi 25 août chez Challenge Records/Double Moon Records.
En concert au Luxembourg : le 21 septembre à Neimënster, le 25 novembre au Brandbau à Wiltz.


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