Jazz/musique contemporaine : Les cordes à l’esprit

Pour « State of Mind », son 
deuxième album, le guitariste luxembourgeois Gilles Grethen convoque un orchestre à cordes pour dialoguer avec son quartet. Compte rendu d’écoute.

Un joyeux mélange : le Gilles Grethen Quartet avec ses cordes invitées lors de l’enregistrement de l’album. (Photo : Stephanie Baustert)

Il a d’abord pensé à un big band, avant que les cordes s’imposent à lui comme une évidence. C’est que Gilles Grethen a été bercé par la musique classique pendant son enfance et son adolescence : quoi de plus logique, alors, que d’associer aux cordes pincées de son instrument, la guitare, les cordes frottées de violons, d’altos, de violoncelles et d’une contrebasse avec archet ? Le jazzman a donc dirigé ses compositions – il en signe l’ensemble sur cet album – vers ce petit orchestre, en plus de son habituel quartet où officient Vincent Pinn à la trompette et au bugle, Gabriele Basilico à la contrebasse et Michel Meis à la batterie. Pendant l’élaboration des morceaux s’est aussi posée la question de l’improvisation : si cette dernière figure dans l’ADN d’un quartet de jazz, elle est évidemment plus difficile pour un orchestre de tradition classique. Grethen s’est décidé pour un partage des tâches, où les parties composées font la part belle aux cordes tandis que le quartet reprend la main lorsqu’une large marge de manœuvre est laissée aux interprètes.

Comme une démonstration de ce principe, le premier morceau, « Change », s’ouvre sur une ample mélodie aux cordes basses, soutenue par les trémolos continus des cordes aiguës. Entre ensuite en scène le quartet dans un numéro d’improvisation, rejoint par l’orchestre pour un pont très écrit, puis vient une nouvelle séquence d’improvisation avant une fin en accords dont les dissonances finissent par s’estomper. Dans cette plage d’un peu plus de huit minutes figure ainsi un condensé de la méthode adoptée par Gilles Grethen pour l’album, visant à procurer à tous les instruments l’occasion de s’illustrer au sein d’un collectif soudé. Le maître mot est évidemment l’équilibre, que le compositeur-guitariste parvient à maintenir grâce à ses choix d’écriture et d’interprétation.

Une recette que le morceau qui donne son nom à l’album, « State of Mind », applique également : introduction des archets, beaux unissons qui établissent des liens entre quartet et orchestre, jeu très rythmique des cordes ensuite, improvisation. Cette composition, par l’ampleur de son architecture et la diversité des sonorités rendues, suggère un esprit tantôt apaisé, tantôt saisi par la fièvre créatrice. Elle démontre en tout cas toute l’ambition du projet et tout le soin apporté à sa réalisation, puisque la partition a indéniablement demandé une mise en place méticuleuse (à noter que les cordes ont été dirigées pour l’enregistrement, en l’occurrence par Benjamin Schäfer). Dans une plage précédente, « Transcendence », la pulsation rythmique de l’orchestre, une constante tout au long de l’heure d’écoute, revêt même des allures de tango. C’est dire le programme varié que le jazzman luxembourgeois entend servir.

Tout album de jazz qui se respecte se doit d’explorer le registre de la ballade. Arrêtons-nous un instant sur « Until the Moon Went Down », qui montre aussi la subtilité de l’écriture de Grethen et l’apport bienvenu de l’orchestre qu’il s’est choisi pour compagnon. Le guitariste assure lui-même l’introduction, vite rejoint par des cordes acides et dissonantes avant un solo langoureux de trompette. Ce n’est pas une belle lune d’amour qui se trouve présentée là, mais plutôt une lune de sang. Il en va ainsi, au fond, de l’ensemble des pièces proposées : jamais univoques, elles comportent toujours en elles une contradiction, une tension inhérente à celle que crée la juxtaposition d’un quartet jazz et d’un orchestre classique.

Avec cet album ambitieux, Gilles Grethen offre une expérience d’écoute originale, ancrée dans une tradition jazzistique de collaboration avec des cordes, mais qui par moments fait également penser à de la musique contemporaine classique. La diversité des atmosphères et la sincérité de la démarche sont pour le moins rafraîchissantes. Et comme pour les enthousiastes de jazz rien ne remplace l’expérience du direct, le concert de présentation de l’album promet une belle ambiance la semaine prochaine à Bertrange.


« State of Mind » est sorti le 21 octobre 
chez Double Moon/Challenge Records.
Album release le samedi 3 décembre à 20h, 
à l’Arca Bertrange.

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