Dessins : Le bal des 
damnés

« Joyeuse apocalypse ! » est le vœu que Jérôme Zonder nous adresse pour la visite de son plus récent travail au Casino de la capitale. Une expo qui nous invite à une danse macabre à plusieurs temps.

Expo sur mesure : « Joyeuse apocalypse ! » par Jérôme Zonder a été spécialement conçu pour le Casino à Luxembourg-ville. (COPYRIGHT : Nuno Lucas da Costa)

Jérôme Zonder a spécialement conçu l’exposition pour cet espace d’art contemporain de la ville de Luxembourg. Plus d’une centaine de dessins, fruits d’un travail minutieux au crayon graphite et au fusain, y sont exposés sous plusieurs formats. Le public verra aussi que la quasi-majorité des créations de l’artiste français s’intitule « Étude pour un portrait de Jean-François ». Jean-François fait partie d’une fratrie imaginaire et fictive, avec Garance et Baptiste (noms inspirés du film « Les enfants du paradis »). Appartenant à la génération Z, cette même fratrie est censée représenter les enfants de notre siècle. Le dessinateur se sert ici de Jean-François, né en l’an 2000, pour allégoriser notre époque. Néanmoins, quand on crée, on le fait souvent en se souvenant. Cela est notoire dans certaines parties de l’expo, dont les murs sont parsemés de références aux années 1980 et 1990, années de jeunesse de Jérôme Zonder, né en 1974 à Paris. La frontière entre le personnage de Jean-François et l’artiste Jérôme Zonder est ainsi ténue, mais l’atmosphère névrotique de l’expo est intemporelle.

En montant au premier étage, le public sera confronté à une dizaine de silhouettes de grande taille en bois découpé par l’artiste, mettant en scène une foule qui nous emporte vers une sorte de bal apocalyptique du Jugement dernier. En face ainsi que dans une ample salle à côté, un grand nombre de dessins se condensent du sol au plafond sur deux vastes murs. Nous sommes engouffré-es dans un zapping continu et anxiogène, reflétant les images de notre contemporanéité. Reproduites par les crayons de Jérôme Zonder, certaines références iconographiques sont facilement identifiables, en particulier la déflagration de la bombe atomique sur Hiroshima, Michael Jackson incarnant un zombie dans « Thriller », François Mitterrand et Helmut Kohl main dans la main lors d’une cérémonie en 1984 à Verdun, l’ancien footballeur Zinédine Zidane incarnant la France « black-blanc-beur », le personnage d’Alex dans « A Clockwork Orange » de Kubrick, lui aussi soumis à une torture d’images, Garry Kasparov battu en 1997 par le supercalculateur Deep Blue, et tant d’autres. Les dessins font l’objet d’une réinterprétation de l’artiste sous la rétine du personnage de Jean-François et dans le contexte de son époque. L’appropriation de paroles de chansons, de slogans publicitaires, d’images de presse ou de personnalités est constante. Les aficionados de la première heure du groupe britannique Radiohead reconnaîtront une des strophes de l’emblématique morceau « Creep » de l’année 1993, ou encore à la fin de l’exposition quelques vers de la chanson « L’homme pressé » des Français Noir Désir, également des années 1990.

Même si la danse à laquelle le public est convié se veut sinistre, sans parler des revolvers suspendus en forme de guirlandes foraines, les salles de l’ancien Casino bourgeois du 19e siècle lui confèrent une sorte d’aura aristocratique, rendant l’expérience moins suffocante malgré la noirceur du contenu. Toutefois, avec les influences assumées que l’artiste puise dans le cartoon et dans la bande dessinée, nous sommes plus dans une ambiance de pop art dystopique en noir et blanc que dans une scène dansante du film « Le guépard » de Luchino Visconti.

Apocalypse Now ?

En ce mois de novembre, avec une météo quasi ténébreuse, l’expo n’est pas la plus optimiste et printanière qui soit. Néanmoins, elle bénéficie dans la plupart des cas de réalisme historique, social et culturel. L’expérience nous confronte aussi avec notre condition humaine et surtout avec cette nouvelle ère d’images en rafales, sans parler de l’omniprésence des écrans et des réseaux sociaux, qui sont une pâtisserie pour le cerveau d’une certaine jeunesse (et des adultes aussi), car ils lui procurent du plaisir sans effort et lui permettent aussi de fausser son image.

Le vieil adage nous prévient sans cesse de ne pas nous fier aux apparences. Cela s’applique à la figure du hamster, présenté en tant que bestiole « mignonne ». Ce n’est pas le fruit du hasard si Jérôme Zonder a choisi cet animal pour figurer sur l’affiche officielle de l’expo. Dans la partie finale, l’artiste nous tend une sorte d’embuscade ludique au contenu déroutant, sociologiquement parlant. Comme dans une danse finale, nous sommes invité-es à participer à un jeu de l’oie à même le sol et sous nos pieds. À travers le personnage de Jean-François et en nous déplaçant sur les différentes cases, nous sommes finalement dépeints en tant que personnes condamnées à mener une vie de hamster, c’est-à-dire une existence de passivité, dans laquelle nous sommes pris dans l’engrenage d’une roue où déferlent des images en boucle et des diktats sociaux, professionnels et carriéristes à outrance.

Bref, l’estime de soi du personnage Jean-François n’est pas au rendez-vous et la nôtre ressort un peu titillée. Au milieu de toute cette névrose, la pandémie et les actuels conflits du globe ne sont pas mentionnés, sans parler du dérèglement climatique de plus en plus visible. Notons que l’expo, intitulée « Joyeuse apocalypse ! » a ouvert ses portes au public le 7 octobre dernier. Le même jour, le Hamas commettait l’innommable dans le sud d’Israël. S’est ensuivi ce que nous voyons tous les jours aux infos. Coïncidences prémonitoires ?

Jusqu’au 7 janvier 2024 au Casino.

Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Kommentare sind geschlossen.